En 2022 le monde découvre un merveilleux gadget, ChatGPT. Mais ne nous y trompons pas, la révolution n’est pas là. Les chatbots fondés sur les IA génératives ne sont que le bac à sable d’un phénomène bien plus transformateur. En 2025, ça y est. La maturité des IA générative arrive et une nouvelle ère s’ouvre : l’assistant s’autonomise, l’outil devient actif, la technologie devient collaborateur. En 2025, l’IA devient agent.
Des chatbots aux agents : un cas concret pour comprendre
Nous sommes en 2021. Les IA génératives n’ont pas encore déferlé sur le monde. René ne sait pas que son travail va bientôt changer de visage. René est consultant en financement de l’innovation. Le cœur de son métier consiste à échanger avec des entrepreneurs, à identifier les aspects innovants de leurs projets, et à rédiger des dossiers permettant de les expliquer à l’administration pour obtenir des aides de financement, comme les fameux « crédits impôt recherche ».
Il fait tout à la main. Les rendez-vous en tête à tête, la prise de note, l’analyse de la documentation de l’entrepreneur, l’identification des éléments innovants, la rédaction des dossiers, l’envoi des dossiers… En moyenne, la construction d’un dossier lui prend 4 jours plein.
Et puis en 2022, les IA génératives sont arrivées. René est un geek, alors René a testé. Et René a été drôlement impressionné ! Après avoir apprivoisé la bête et appris à lui parler correctement en « promptant » comme il faut, il a pu se faciliter la vie. Il fait toujours les rendez-vous en tête-à-tête. Mais c’est son IA qui prend les notes automatiquement. Puis il passe les notes et la documentation dans une autre IA qu’il a conçue pour proposer une synthèse et identifier les aspects innovants du projet. Puis lorsqu’il écrit le dossier, il demande souvent à l’IA de rédiger certains paragraphes, de structurer l’information ou d’améliorer le style. Il gagne en moyenne 1 journée sur la création du dossier, et en plus… Celui-ci est de meilleure qualité !
Et nous voilà en 2025. René est toujours un geek. Et René entend parler d’ « agents IA » un peu partout depuis quelques mois. Alors il veut tester. Son objectif est simple : automatiser complètement le cœur de son métier. René veut que son agent discute avec l’entrepreneur en posant toutes les questions pertinentes. Puis que son agent récupère la documentation de l’entrepreneur en fouillant ses mails et ses dossiers. Puis que son agent analyse l’ensemble pour identifier toutes les informations pertinentes. Puis que son agent rédige le dossier pour l’administration, l’envoie à un second agent « critique » qui identifie les points faibles, puis à un troisième agent qui l’améliore à partir des retours de l’agent critique. Puis que son agent l’envoie à l’administration.
Pour l’instant René n’arrive pas à mettre en place toutes les briques de façon efficace. Mais son agent est déjà capable d’analyser l’ensemble de la documentation et d’écrire un dossier de qualité en toute autonomie. Résultat, il arrive à traiter un dossier en moins de 2 jours !
Les prochaines briques viendront sûrement bientôt avec la maturation de la technologie. Alors René commence à développer une nouvelle offre de consulting stratégique pour aider les entrepreneurs à orienter leur business model vers plus d’innovation. Mais il réfléchit déjà à un agent qui fera ça en autonomie… !
Alors, un agent, qu’est-ce que c’est ?
« Autonomie » : c’est bien là le mot clé. Les IA actuelles sont uniquement capables de répondre à une demande et ne peuvent donc automatiser que des tâches simples et superficielles. Elles sont bien plus des assistants de réflexion que de vrais collaborateurs capables de créer de la valeur par eux-mêmes. Mais avec les avancées de la technologie, il devient possible de faire mieux, beaucoup mieux. Le concept d’ « agent » a émergé pour décrire des systèmes d’IA capables, d’une part, de planifier et d’enchaîner à la suite de nombreuses actions, et d’autre part de manipuler des « outils » leur permettant d’agir sur le monde numérique ou physique.
Planification et enchaînement d’actions
Afin d’enchaîner plusieurs actions ou pensées numériques, on construit un « échafaudage » (scaffolding) qui représente le processus à faire accomplir à l’agent, puis fait simplement plusieurs appels de suite à une IA générative comme GPT, o1 ou Mistral. L’intérêt est, à chaque étape, d’utiliser les réponses précédentes de l’IA comme contexte pour la demande de l’étape en cours. On peut par exemple construire un agent rédacteur d’articles avec l’échafaudage :
- Etape 1 : à partir de la thématique de l’utilisateur, proposer un angle d’attaque original
- Etape 2 : à partir de cet angle d’attaque, proposer un plan
- Etape 3 : à partir de ce plan, écrire la première partie de l’article
- Etape 4 : à partir du plan et de la première partie, écrire une deuxième partie cohérente
- Etape 5 : à partir du plan et des 2 premières parties, écrire une troisième partie cohérente
- Etape 6 : revoir l’ensemble de l’article, améliorer le style et éliminer les redondances
On peut même généraliser l’approche pour que l’agent puisse répondre à n’importe quelle demande, avec un échafaudage du type :
- Etape 1 : à partir de la demande de l’utilisateur, définir les tâches à réaliser pour obtenir un résultat de qualité
- Etape 2 : exécuter la première tâche
- Etape 3 : en fonction du résultat de la première tâche, vérifier que la liste de tâches est toujours pertinente et la modifier si ce n’est pas le cas
- Etape 4 : exécuter la tâche suivante
Puis on continue en boucle jusqu’à avoir terminé toutes les tâches.
Dans le code Open Source de l’agent « Claude-engineer », par exemple, on trouve les instructions (traduites en français par l’auteur) :
« Tu es en mode automatique !!!
Quand tu es en mode automatique :
Fixe-toi des objectifs clairs et réalisables en fonction de la demande de l’utilisateur.
Traite ces objectifs un par un en utilisant les outils à disposition si nécessaire.
… »
L’agent devient ainsi capable de planifier et de construire lui-même l’échafaudage spécifique à la demande en cours. Les logiciels AutoGPT et BabyAGI sont d’autres exemples Open Source d’implantation de ce type d’architecture. A ce jour, les agents spécialisés bien construits peuvent déjà être très performants. En revanche, les agents généralistes planifiant eux-mêmes leurs tâches ne sont pas encore suffisamment robustes pour être utilisés sérieusement. Il leur arrive de progressivement diverger par rapport à l’objectif initial, de se perdre dans des sous-tâches sans importance, ou même de tourner en boucle sur une tâche qu’ils ne sont pas capables de réaliser… Ces problèmes viennent des limites des modèles d’IA sous-jacents, et l’amélioration de ces derniers devrait à l’avenir rendre les agents plus robustes. On note déjà une amélioration significative avec les derniers modèles dits « de raisonnement » comme o1, DeepSeek-R1 ou Grok3, qui sont bien plus performants pour planifier des tâches.
Manipulation d’outils
Tout comme un humain a besoin d’une calculette pour faire des opérations, d’un navigateur web pour chercher de l’information ou de AirBnB pour réserver un logement, on peut donner aux agents la capacité d’utiliser des outils externes pour réaliser les tâches qu’ils auront planifiées. On peut par exemple leur permettre d’exécuter du code, d’accéder à une base de données ou un CRM, de naviguer sur Internet, d’utiliser un service spécifique comme AirBnB (grâce à son API), ou… d’utiliser un autre agent spécialisé ! Grâce aux objets connectés, on peut même leur donner la possibilité d’agir sur le monde physique.
Un des sujets d’innovation important du moment est le « computer use ». Il s’agit de donner à un agent la possibilité de comprendre les interfaces graphiques des ordinateurs, et de clicker, scroller ou taper du texte pour réaliser des actions comme le ferait un humain. Avec de telles capacités, un agent IA pourrait réaliser toutes les tâches qu’un humain peut réaliser sur un ordinateur, même lorsqu’elles nécessitent de se connecter sur un portail. Le potentiel d’automatisation est immense.
La startup Anthropic qui édite la solution d’IA Claude a été la première à sortir une démo de computer use en 2024. Début 2025, OpenAI, la société derrière ChatGPT, lui a emboîté le pas avec son agent Operator qui intègre cette fonctionnalité. Toutefois, aucune des deux solutions n’est à ce jour suffisamment robuste pour pouvoir être utilisée en production : la probabilité que l’agent commette des erreurs ou se perde en route est trop grande. Mais les performances s’améliorent vite ! La startup française H Company a d’ailleurs annoncé que son agent, Runner H, qui devrait sortir en 2025, atteint le niveau de robustesse de l’humain en la matière.
Ces deux simples idées : la planification permettant d’enchaîner des actions, et l’utilisation d’outils changent complètement la donne concernant les capacités des systèmes d’IA. On peut imaginer les limites que rencontreraient un humain, même particulièrement intelligent, s’il n’était capable que de répondre du tac au tac, sans réflexion, planification, ni utilisation d’outils. Ces limites sont celles qui étaient imposées jusqu’à aujourd’hui aux systèmes d’IA comme ChatGPT ou Claude.
En 2025, nous rentrons dans une nouvelle ère pour les IA. En leur donnant ces nouvelles capacités, on débloque une grande partie de leur potentiel, jusqu’alors inexploité. OpenAI a par exemple récemment dévoilé Deep Research, un agent capable, en toute autonomie, de chercher de l’information sur Internet de manière très pointue, sur plusieurs dizaines de sites sources, et de rédiger des rapports de bon niveau à partir des informations collectées. Il a été testé sur la plus difficile des évaluations de connaissance, le « Humanity Last Exam ». Alors qu’o3-mini, la meilleure IA d’OpenAI, n’atteint qu’un score de 14%, l’agent Deep Research atteint 26% (le meilleur score à ce jour) !
À partir de 2025, l’amélioration des systèmes d’IA ne consiste plus uniquement à améliorer les modèles sous-jacents, mais aussi à créer des architectures logicielles dans lesquelles ces modèles sont mis à profit de manière efficace. Avoir une tête remplie ne suffit pas. Il faut avoir une tête bien faite !
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