Alors que la french tech traverse une période d’incertitude persistante quant à son financement, certaines pépites prometteuses ont tout de même réussi à obtenir la confiance d’investisseurs en capital-risque. Forbes France vous propose les clés de la réussite d’un premier amorçage à travers quelques témoignages édifiants.
Un article issu du numéro 28 – automne 2024, de Forbes France
L’âge d’or de la french tech semble révolu. Un cycle de contraction des investissements persiste depuis plus de deux ans, engendrant une chute drastique des fonds levés par les start-up tricolores. Face au contexte d’incertitude (tantôt sanitaire puis inflationniste et géopolitique), les investisseurs en capital-risque restent frileux. Résultat : en 2023, les entreprises innovantes de 10 ans ou moins ont récolté 8,3 milliards d’euros, soit 5 milliards de moins que l’année précédente, d’après le recensement des levées de fonds de Maddyness. Une vague d’assainissement de l’écosystème entamée en 2022 mais dont les effets se mesurent seulement aujourd’hui. Selon la Banque de France, 1 239 start-up ont déposé le bilan ces 18 derniers mois. Dans ce climat qui est source d’inquiétude, les entrepreneurs doivent donc redoubler d’efforts s’ils souhaitent se financer sur le marché non coté. Forbes France vous propose plusieurs témoignages de start-uppeurs qui ont réussi à décrocher leur premier amorçage ces derniers mois. Des retours d’expérience précieux pour les entrepreneurs qui souhaitent mettre toutes les chances de leur côté afin de décrocher un premier tour de table.
Les secteurs hautement stratégiques privilégiés
Il faut d’emblée préciser que les chances de décrocher un amorçage dépendent beaucoup du secteur dans lequel la start-up est investie. En effet, des secteurs porteurs touchant à la transition environnementale, la réindustrialisation, l’intelligence artificielle ou encore la transformation de la santé possèdent un avantage non négligeable. La biotech Biophta, par exemple, qui développe un petit comprimé en polymère à poser sur la surface de l’œil dans le cadre d’un traitement ophtalmologique, fait partie de ce lot de « chanceux ». En 2019, le fondateur, Jean Garrec, a pris le risque de quitter son job pour déposer un premier brevet et se lancer. Il a obtenu la confiance de quelques relations dans l’industrie pharmaceutique et le secteur ophtalmologique pour rassembler quelques fonds.
En 2021, il remporte le concours i-Lab de Bpifrance et obtient ensuite d’autres financements non dilutifs pour un total de 1,5 million d’euros. « Il faut beaucoup de fonds pour lancer une biotech et ce sont les relations avec des industriels qui nous ont sauvés », développe Jean Garrec. Ces industries auraient grandement aidé à financer les débuts du programme en R&D. Début juin dernier, Biophta a bouclé 6,5 millions d’euros en amorçage auprès d’UI Investissement (conseillé par Mérieux Equity Partners), Elaia et Go Capital, avec la participation de deux grands industriels du secteur, Unither Pharmaceuticals et HTL Biotechnology.
Pour autant, rien n’était gagné d’avance. « Notre “roadshow” [destiné à se faire connaître auprès des investisseurs] devait durer neuf mois et cela a pris plus de deux ans, partage Jean Garrec, fondateur et PDG de la start-up. L’année 2023 a été très incertaine et j’ai même dû piocher dans mon compte épargne en attendant un closing. » Au total, « une centaine de fonds » ont écarté le dossier mais finalement, quelques-uns ont repris contact lorsque toute l’attention s’est portée sur le projet. « Le plus dur reste de convaincre le premier investisseur et ce n’est pas parce qu’un fonds a initialement décliné qu’il faut arrêter de le solliciter par la suite », détaille-t-il. Il explique avoir présenté en premier lieu un cas d’usage sur le traitement du glaucome en permettant de remplacer « les gouttes par de petits comprimés ». Mais certains investisseurs et industriels se demandaient s’il était possible de trouver une alternative aux traitements via des piqûres de la rétine. « Nous avons donc formulé en cours de route une preuve de concept pour un second programme dans la rétine qui a permis d’ajouter en bout de course 2 millions d’euros à notre tour de table pour financer ce projet, assure Jean Garrec. Le pire est de rester dans sa bulle avec une idée fixe ; les fonds veulent justement dialoguer avec l’entrepreneur et apporter bien plus que “juste” du financement. »
Challenger son business plan
L’étape du premier « roadshow » est donc décisive mais surtout enrichissante. C’est ce que confirme Alexandre Cleret, cofondateur et COO de Decade Energy, une start-up qui conçoit, finance, construit et exploite des infrastructures de recharge et de stockage d’électricité par batteries et installations solaires, pour camions électriques. « Cela permet de challenger sérieusement notre business plan et tous les feedbacks sont intéressants pour progresser », avance-t-il. Le but principal de ce projet étant de rendre la mobilité électrique accessible et rentable et donc plus avantageuse que le transport thermique. Mais Decade Energy s’est rendu compte qu’une de leurs idées retenait particulièrement l’attention d’investisseurs. À savoir un logiciel dont le but, entre autres, est de trouver de l’énergie moins chère sur les « marchés spot et de la flexibilité » (permettant de négocier le prix de l’électricité) et donc d’abaisser la facture. « Certains investisseurs estimaient que cette solution devait être encore plus centrale, poursuit Alexandre Cleret. Nous ne pensions pas lever autant de fonds donc cela a été plutôt facile de prendre en compte toutes les demandes. »
Le jeu de compromis semble avoir fonctionné puisque l’entreprise a bouclé 3,6 millions d’euros début juin, soit près de quatre mois après l’ouverture du « roadshow », auprès d’Ananda Impact Ventures et Contrarian Ventures. Un succès en partie lié au contexte européen : une réglementation baptisée « Vecto » a imposé un objectif de réduction nationale d’au moins 40 % des émissions de CO2 d’ici à 2030 par rapport à 1990 dans le transport routier. « Le plus important reste la transparence et l’honnêteté intellectuelle, défend Alexandre Cleret. Nous n’avons pas essayé de survaloriser notre modèle et cela a joué en notre faveur. » Si certains investisseurs leur ont reproché de ne pas être assez « ambitieux ou agressifs », le cofondateur explique avoir souhaité demeurer « raisonnable ».
L’impact ne suffit pas
Parfois, il ne suffit pas non plus de répondre à des enjeux cruciaux pour systématiquement boucler un amorçage dans la foulée. Fondée à Lyon en 2023, Oligofeed commercialise un complément alimentaire destiné aux abeilles afin de contrer le déclin actuel de l’espèce. A priori, ce projet deep tech issu de la recherche académique peut trouver preneur : environ 40 % de ce que nous mangeons dépend directement de la pollinisation des abeilles. Pour financer son premier laboratoire, la start-up a d’ailleurs remporté des fonds dans le cadre du concours i-Lab et obtenu d’autres prêts bancaires et soutiens d’investisseurs privés pour un total de 2 millions d’euros. « Les subventions liées au prix i-Lab ont permis de soulager notre trésorerie, mais nous avons dû attendre plus d’un an avant le premier amorçage », déplore Aneta Ozierańska, présidente et cofondatrice de l’entreprise. En avril 2024, la start-up a récolté 600 000 euros auprès de The Yield Lab, le CCI Capital Croissance et plusieurs business angels. Deux fonds spécialisés dans l’impact « mais aussi intéressés par des indicateurs financiers tangibles ». Ainsi, étant donné que le marché de l’apiculture reste assez restreint, Oligofeed a dû convaincre qu’elle pouvait s’adresser à d’autres verticales, y compris à l’international.
« Cette période d’attente d’un amorçage est assez compliquée psychologiquement et nous nous étions fixé un horizon de deux ans, le temps maximum pour pouvoir tenir sans se payer de salaire, raconte Aneta Ozierańska, tout en évoquant des barrières légales d’autorisation de mise sur le marché qui empêchent de pouvoir commercialiser son produit dès la première année. Il faut être résilient et chercher à mieux comprendre les refus : mon projet est-il mal présenté ? Que peut-on ajouter au pitch pour rassurer les investisseurs ? » L’entrepreneure explique enfin la nécessité de récupérer le plus de retours d’expérience possible dans son secteur.
Un amorçage plus sélectif pour les start- up de niche
Le monde de l’innovation est évidemment très vaste et les entrepreneurs peuvent aussi choisir de répondre à un besoin très ciblé dans une niche précise. C’est le cas d’Alexis Gendreau qui a lancé l’an passé à Bordeaux la solution GoStan, un éditeur de logiciel de gestion de stock de boissons et caves à vin. La start-up a depuis levé 350 000 euros en pré-amorçage auprès de business angels (et en prêt bancaire). « Le processus a pris six mois, il aurait pu être plus rapide mais je n’étais pas pressé », explique le fondateur et CEO du projet. Le secteur de la wine tech reste dynamique mais il est évident que l’engouement des investisseurs n’est pas le même que pour des secteurs hautement stratégiques.
« Il y a cinq ans, un projet SaaS comme le nôtre n’aurait jamais eu de problème à lever, poursuit-il. Depuis notre naissance en juin 2023, nous avons pris un an pour développer tranquillement notre solution, avant même de vouloir la commercialiser. Le plus important a été de s’assurer que le produit fonctionne et qu’il reçoive l’approbation du marché. » Cette proposition de valeur adoubée par les restaurateurs et professionnels du secteur CHR aurait grandement joué en leur faveur pour le décrochage de leur première levée. Une étape décisive pour un projet SaaS qui a « besoin de beaucoup de clients récurrents pour rémunérer ses équipes », d’où l’apport en trésorerie. « Si nous vendions des abonnements à plusieurs milliers d’euros par mois, cela serait plus simple, mais ce n’est pas notre cas », développe-t-il. Alexis Gendreau a donc fait le choix d’écarter les investisseurs qui exigeaient de couper dans les effectifs pour dégager plus de chiffre d’affaires, au risque de ne pas lever de fonds.
Ce sont d’ailleurs des business angels, en partie spécialisés dans le secteur adressé, qui ont choisi de soutenir le projet plutôt que des fonds plus traditionnels qui « n’ont pas trouvé le projet assez attrayant ». Un nouveau tour est éventuellement envisagé courant fin 2025 ou début 2026 pour accélérer, recruter davantage et se donner une meilleure visibilité sur le marché. Mais là encore, Alexis Gendreau est catégorique : « On prendra le temps qu’il faudra. »
Guillaume Philipson s’est aussi intéressé à une niche. Il a cofondé en 2021 Otami, une start-up paloise spécialisée dans les logiciels de gestion pour boulangers-pâtissiers et restaurateurs. En juin dernier, il parvient à boucler un tour de table de 800 000 euros auprès du fonds The Moon Venture, complété par des subventions et un prêt PAI de Bpifrance (prêt d’amorçage investissement). Fait toutefois hors du commun : Otami a commercialisé sa solution dès ses débuts et a pu générer du chiffre d’affaires assez rapidement. « Nous avions injecté 15 000 euros dans l’entreprise mon associé et moi, puis nous avons très vite atteint l’équilibre, se félicite Guillaume Philipson. En 2023, nous avons connu une forte demande et nous nous sommes rapprochés d’investisseurs à ce moment-là pour éviter de nous essouffler. » La levée ayant ici pour objectif de passer un nouveau stade de croissance et structurer une équipe commerciale dédiée pour répondre à la demande grandissante.
Ainsi, il n’aura fallu que deux mois de roadshow à Otami pour recevoir deux propositions d’investissement sur la table. Étape administrative par ailleurs encadrée à l’aide de l’Agence de développement et d’innovation de la Nouvelle- Aquitaine (ADI Nouvelle-Aquitaine). « Nous avions participé au salon Innovaday en novembre 2023 et nous pensions être de petits poucets à côté des pépites montantes de la french tech, confie Guillaume Philipson. Mais notre preuve de concept était déjà faite et notre chiffre d’affaires a convaincu ! » Il admet que toutes les start-up n’ont pas la chance de pouvoir vendre et sortir une preuve de concept avant leur premier amorçage. « Mais la levée n’est pas une condition de réussite, il faut avant tout être aligné avec ses valeurs et son business, prétend Guillaume Philipson. De la même manière, la rentabilité n’est pas le seul critère pour les investisseurs qui cherchent avant tout à ce qu’on leur raconte une histoire humaine et cohérente. » Il faudrait donc être raisonnable et clair sur ses intentions : Guillaume Philipson explique même avoir été transparent sur sa volonté dans les cinq à dix ans auprès de ses investisseurs.
Si la série A est une possibilité, elle ne reste pas pour autant « une obligation ». « Il y a eu ces derniers temps beaucoup de faillites dans les start-up qui ont été propulsées trop vite, conclut-il. Il faut garder les pieds sur terre et ne pas s’enflammer si on veut survivre. » Un appel à la raison qui résonnera forcément au vu du contexte d’incertitude persistant.
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