Alors que s’est ouverte l’édition 2021 du One Planet Summit, Forbes en a sondé les enjeux avec Francesco Bellino, directeur associé au Boston Consulting Group en charge des activités Social Impact du cabinet à Paris.
Forbes France : Lundi s’est ouvert le One Planet Summit 2021, le premier sommet climat depuis la fin de cette retentissante année 2020. En quoi la crise du coronavirus renforce-t-elle l’importance de protéger l’environnement ?
Francesco Bellino : La crise du coronavirus, tout comme les cinq autres pandémies que le monde a connu au cours des 50 dernières années, a émergé de l’impact d’activités humaines sur l’environnement. Cela a rappelé les liens entre la destruction des écosystèmes et les risques sur la santé humaine. La protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique sont aujourd’hui plus que jamais en haut des agendas des dirigeants politiques et économiques malgré le contexte socio-économique difficile. La prise de conscience citoyenne s’est également accrue : selon une étude du BCG menée dans huit pays (dont Chine, Brésil, France, USA), 70 % des citoyens se disent aujourd’hui plus conscients qu’avant la crise que l’activité humaine porte atteinte à l’environnement et que, réciproquement, la dégradation de l’environnement affecte la santé humaine.
Cette édition est centrée sur la protection de la diversité. Qu’est-ce qui justifie ce choix selon vous ?
F. B. : Des deux grands chantiers de l’environnement, climat et nature, nous avons beaucoup progressé sur le premier au cours des vingt dernières années. Nous avons en effet aujourd’hui des leviers à mettre en œuvre, des indicateurs partagés (l’équivalent TCO2), des cibles et une trajectoire. En revanche cela n’existe pas sur la nature et la protection de sa biodiversité – sujet qui relève aussi de l’urgence : selon le dernier rapport du WWF, entre 1970 et 2016, la taille moyenne des populations de vertébrés sauvages a décliné de 68%. Et l’enjeu n’est pas que pour la faune sauvage – 95 % des calories que l’être humain ingère viennent d’une très courte liste de 30 espèces, qui sont de plus fragilisées par une très faible diversité génétique.
Et pourtant, les problématiques de biodiversité restent complexes à appréhender : à la différence du CO2 pour le climat, il n’existe pas d’indicateur unique pour mesurer l’impact des activités humaines sur les écosystèmes naturels et les externalités sont souvent multiples et parfois indirectes. Accélérer les efforts en matière de compréhension, préservation, voire restauration de la diversité en incluant toutes les parties-prenantes est aujourd’hui fondamental face à cette urgence.
Quels sont les autres principaux enjeux de ce sommet ?
F. B. : L’alignement de nombreux acteurs – ONG, Etats, entreprises, financiers – est un des défis de ce sommet. Seule une action collective et concertée permettra de fixer de nouveaux standards et des objectifs communs, indispensables à une action rapide et de grande échelle. C’est aussi le premier rendez-vous d’une année 2021 cruciale pour l’environnement.
Face à la crise économique actuelle, les entreprises sont-elles en mesure d’investir massivement dans la transition écologique ? Pensez-vous que les entreprises peuvent faire assez, et assez vite pour sauver la planète ?
F. B. : On en vient d’abord à la question du « pourquoi ». Il faut en effet aller au-delà de toute notion de philanthropie. Nous sommes convaincus au BCG que la transition écologique est avant tout un enjeu de performance et de résilience des entreprises. A titre d’exemple : une analyse BCG menée entre 2014 et 2018 montre que les entreprises les plus performantes en termes d’émissions CO2 ont une meilleure valorisation par rapport aux moins performantes. Dans la chimie par exemple, le 1er quartile a une valorisation rapportée au chiffre d’affaires de 12% supérieure à la médiane du secteur, tandis que celle du quatrième quartile est 11% en dessous de la médiane.
La crise du coronavirus ne change pas ce paradigme, et elle a d’ailleurs montré la nécessité de construire des modèles économiques plus résilients et plus durables. Dans ce contexte, les entreprises et en particulier les grands groupes, ont un rôle de premier plan puisqu’ils peuvent agir sur l’ensemble de la chaîne de valeur et transformer les modes de production, de distribution et les produits finaux pour qu’ils soient plus respectueux de l’environnement. De nombreux changements peuvent se faire à des coûts limités (développer l’économie circulaire, améliorer l’efficience énergétique, augmenter l’utilisation des énergies renouvelables) – une étude BCG de 2019 a montré que 80% des objectifs de l’accord de Paris sont atteignables avec les technologies existantes – et pour les transformations plus coûteuses, il faut prioriser les investissements (hydrogène, technologies de capture de carbone…).
Et en parlant d’investissements, il est aussi important de mentionner la finance « verte » qui accompagne cette transition même en période de crise – pour la première fois en 2020, les investissements marqués ESG ont dépassé la barre du Trillion de dollars. Cet apport financier, et les choix que porteront ces investisseurs, sera un élément clé de la transition écologique dans les années à venir.
Quelles sont les grandes tendances en termes de projets de transformation écologique au sein des entreprises ?
F. B. : Trois tendances principales se dégagent : la transformation écologique n’est plus un sujet ‘annexe’, mais un vrai enjeu stratégique pour les Comités Exécutifs, avec des impacts réels sur le cœur de métier de ces entreprises (leurs achats, leur innovation, la relation client…) ; ensuite, de plus en plus, ces transformations sont menées de manière ‘inclusive’ vis-à-vis des collaborateurs, en résonance avec la raison d’être de l’entreprise ; enfin elles redéfinissent aussi les frontières des entreprises, qui travaillent de plus en plus en coalition (par exemple sur les achats) pour traiter ces sujets à la bonne échelle
L’agriculture aussi doit se réinventer. Quelles sont vos pistes de réflexion ?
F. B. : D’abord un constat : l’agriculture est responsable de 80% de la déforestation mondiale et d’après l’IUCN 30% des terres agricoles sont dégradées. Ainsi, ce secteur qui joue un rôle vital dans nos sociétés, source de nos alimentations, se retrouve perçu du côté du problème… donc oui, il doit effectivement se réinventer.
Deux pistes nous semblent aujourd’hui essentielles : d’abord, la mise en place à grande échelle de pratiques d’agriculture « régénérative » – qui en quelque sorte restaure la qualité du sol et du paysage plutôt que de la dégrader. Des initiatives portées par les entreprises existent – par exemple la coalition One Planet Business for Biodiversity, dont les membres développent des actions de ce type, mais il faut en accélérer le déploiement ;ensuite, il y a un enjeu de digitalisation de l’agriculture, qui là aussi doit s’accélérer. Drones, imagerie satellite, intelligence artificielle… se développent aujourd’hui de nombreuses solutions qui permettent d’optimiser l’utilisation de ressources (eau, engrais, phytosanitaires), améliorer le bien-être animal, augmenter de manière durable et écologique les rendements
Évidemment ces pistes se confrontent aujourd’hui à des défis majeurs : la fragmentation/diversité des exploitations agricoles de par le monde rend une transformation à l’échelle extrêmement complexe, et le partage actuel de la valeur ne permet pas toujours aux agriculteurs de soutenir de telles transformations. Les entreprises, en tant que clientes du modèle agricole actuel, ont un rôle clé à jouer pour permettre cette réinvention. Elles doivent continuer à faire évoluer leurs pratiques d’achat, s’engager sur l’impact que leurs produits engendrent sur la biodiversité, et mettre en place des modèles de répartition de valeur qui permettent aux agriculteurs de s’engager sur cette transition.
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