De plus en plus, les robots trouvent leur place dans divers domaines du monde du travail. Pourtant, nous sommes nombreux à ne pas nous sentir en sécurité à leurs côtés, quels que soient les véritables risques qu’ils représentent. Sangseok You et ses collègues ont su tirer parti de la réalité virtuelle afin de nous rassurer.
Pas de panique, la police n’a pas encore déployé de Robocops dans les rues ! Mais les machines intelligentes sont de plus en plus présentes dans certains secteurs. Elles permettent, entre autres, de remplacer les employés sur des affectations dangereuses ou rébarbatives. Dans les domaines ouvriers, tels que le bâtiment ou la manufacture, elles soulagent les humains de certaines tâches risquées, comme la pulvérisation de peinture pour les protéger des émanations nocives, ou leur permettent de se concentrer sur des missions à valeur ajoutée, la conception, par exemple.
Cependant, les employés contraints de travailler à proximité de ces machines intelligentes s’exposent parfois à de véritables risques. En décembre 2018, 24 ouvriers d’un entrepôt Amazon ont dû être hospitalisés, lorsqu’un robot a accidentellement perforé un bidon de répulsif à ours dans le complexe de Robbinsville, dans le New Jersey, aux États-Unis. En 2015, un ouvrier a été tué par un automate dans une usine de métallurgie en Inde. La machine préprogrammée a transpercé l’abdomen de l’homme de 24 ans avec une baguette à souder. La même année, un jeune technicien de 21 ans a trouvé la mort après qu’un robot d’une usine Volkswagen en Allemagne l’a frappé au thorax. Fort heureusement, les accidents d’une telle gravité sont extrêmement rares. D’après le gouvernement américain, il serait en réalité huit fois plus dangereux de travailler dans un bar aux États-Unis que dans le secteur manufacturier.
« Être en sécurité » et « se sentir en sécurité », deux notions bien distinctes
Bien que les normes de sécurité progressent au fil des avancées technologiques de la robotique, il existe aujourd’hui un véritable fossé entre les risques tels que les travailleurs les perçoivent et le danger réel que représentent les machines intelligentes. Nos craintes sont bien souvent disproportionnées.
Jusqu’à présent, la recherche sur la sécurité robotique s’est principalement concentrée sur la gestion des problèmes techniques. La perception de la sécurité, quant à elle, a été laissée de côté, sans doute parce que la conception de prototypes de robots et de scénarios de test requiert beaucoup de temps et d’argent. Il arrive donc que les inquiétudes des employés, jugées secondaires, soient négligées. Pourtant, ces angoisses sont importantes, car la machinerie lourde est l’une des principales causes d’accidents sur les sites de construction. Les ouvriers du bâtiment peuvent éprouver une réelle crainte de se blesser avec ce type d’équipement. Or vivre dans la peur est non seulement désagréable et néfaste pour la santé, mais cela peut aussi conduire les employés à prendre des risques inutiles ou à quitter leur entreprise.
Les avantages du monde virtuel
Afin d’apporter des solutions à ce problème, nous nous sommes servis de la réalité virtuelle pour tenter de rassurer les ouvriers qui travaillent avec des robots. La réalité virtuelle a récemment fait ses preuves en aidant des enfants atteints d’autisme à affronter leurs phobies dans un environnement virtuel immersif. L’expérience leur a permis de surmonter leurs frayeurs dans la vraie vie. Nous nous sommes demandé si la même technologie pourrait amener les ouvriers à vaincre leurs réticences vis-à-vis de leurs « collègues » mécaniques.
Un environnement virtuel immersif présente de nombreux avantages par rapport aux tests sur prototypes physiques utilisés d’ordinaire dans la robotique : coûts de production réduits, davantage de réalisme, meilleur contrôle sur l’expérience… Le coût d’une expérience en réalité virtuelle se limite principalement au temps nécessaire pour coder l’environnement. Comparé aux ressources requises pour construire un prototype de robot et le tester dans des conditions de laboratoire, l’investissement est négligeable.
Comprendre comment les travailleurs perçoivent la sécurité
Afin d’évaluer la perception de la sécurité et son impact sur la collaboration entre humains et robots, nous avons conçu le « modèle de perception de la sécurité robotique » (Robot Safety Acceptance Model), qui repose sur trois principes clés. Premièrement, nous avons émis l’hypothèse qu’une barrière de sécurité entre humains et robots permettrait aux premiers de se sentir davantage en sécurité. Deuxièmement, nous avons émis l’hypothèse que cette installation faciliterait l’identification avec le robot et la confiance envers celui-ci. Troisièmement, nous avons émis l’hypothèse que plus les humains se sentiraient en sécurité en travaillant avec des robots, plus ils seraient susceptibles de souhaiter reproduire l’expérience à l’avenir.
Travailler avec des robots
Afin de tester notre modèle, nous avons créé un environnement virtuel immersif au sein duquel 30 étudiants d’une université américaine ont essayé de bâtir un mur, en collaboration avec un robot. Humain et robot devaient travailler de concert, en plaçant tour à tour une brique sur le mur virtuel toutes les 7 secondes. L’expérience a été menée en espace ouvert, puis avec une barrière séparant l’humain du robot.
Comme nous le supposions, les étudiants se sentaient bien plus en sécurité lorsqu’une barrière physique les séparait du robot. Nos données suggèrent que l’identification et la confiance établies avec le robot ont permis d’obtenir ce résultat.
L’identification correspond au degré de ressenti d’un individu par rapport à un lien fort, à une connexion. La confiance est le degré de conviction d’un individu par rapport aux compétences, à la crédibilité et à la fiabilité du robot. Nous avons également pu observer que, si les étudiants ont le sentiment que l’espace de travail est sûr, ils sont alors plus enclins à collaborer de nouveau avec le robot. En réduisant les facteurs d’angoisse et de peur, nous permettons à l’humain de former plus facilement une identité commune avec le robot et de lui faire confiance.
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METHODOLOGIE
Nous avons développé un modèle conceptuel pour nous aider à comprendre les circonstances qui rassurent les humains lorsqu’ils travaillent à proximité de robots. Nous avons testé notre modèle par le biais de la réalité virtuelle en créant un environnement immersif.
APPLICATION
Notre recherche comporte des implications pour le milieu de l’industrie, comme celui du bâtiment, qui tend de plus en plus à utiliser des robots pour aider les ouvriers. Nos découvertes suggèrent que les entreprises pourraient tirer parti de l’installation de barrières de sécurité entre robots et humains, et d’un système s’assurant que les mouvements des robots et des humains ne se chevauchent pas. La réalité virtuelle pourrait être une façon rentable de tester le système, en éliminant la nécessité de construire un modèle physique pour chaque étude de cas.
Par Sangseok You, professeur assistant à HEC Paris
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