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États-Unis : l’instruction à domicile va-t-elle sauver les technologies de l’information ?

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Un petit garçon suivant un programme d'instruction à domicile. Getty Images

Aux États-Unis, de plus en plus d’États donnent de l’argent aux familles qui retirent leurs enfants de l’école publique. Ces fonds peuvent ainsi être dépensés pour l’instruction à domicile et les programmes de micro-écoles.

Un article de Emma Whitford pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

En septembre, Sandra Testo a retiré son fils de 14 ans, Keaton, de son collège public de Trinity, en Floride, en réponse, dit-elle, à des années de harcèlement qui ont créé tant d’anxiété chez lui qu’il avait fini par se cacher régulièrement à l’infirmerie du collège. Keaton passe désormais ses journées à la maison, à suivre ses cours de 8e année (l’équivalent de la quatrième en France) via Outschool, une plateforme d’apprentissage en ligne qui propose des cours virtuels en direct pour les élèves de la maternelle à la 12eannée (terminale). Le mardi, il participe à une coopérative chrétienne avec d’autres enfants de son âge pour étudier l’art et jouer au basket. « C’est la meilleure chose qui soit », déclare Sandra Testo. « Son comportement a changé. Il est tellement calme maintenant. » Sandra Testo paie environ 300 dollars (275 euros) par mois pour Outschool sur un compte d’épargne-études (ESA) financé par la Floride.

 

L’insatisfaction des familles à l’égard des écoles publiques aux États-Unis

L’instruction à domicile est en plein essor pour diverses raisons, dont les principales sont le mécontentement à l’égard des écoles publiques, qui s’est accru aux États-Unis lors de la pandémie de Covid-19, et les 5 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) par an (et de plus en plus) versés par l’État aux familles qui optent pour des solutions alternatives à l’école publique. Il peut s’agir d’écoles privées traditionnelles, de cours en ligne, d’instruction à domicile ou de micro-écoles, c’est-à-dire de réseaux de « modules » d’apprentissage en personne avec un enseignant et une dizaine ou une vingtaine d’enfants, qui utilisent souvent des cours en ligne.

Selon Michael Moe, fondateur et PDG de GSV Ventures, qui soutient les jeunes entreprises du secteur de l’éducation, tout cela se traduit par un marché en pleine expansion pour l’industrie des technologies de l’information et de la communication, axé sur les parents. « Personnellement, je pense que l’opportunité la plus intéressante se trouve dans les micro-écoles, mais l’instruction à domicile, les charter schools et les écoles privées à bas prix sont toutes bien positionnées pour ce boom à venir », déclare-t-il.

 

L’essor de l’école à la maison

En 2019, avant la pandémie, 3,7 % des enfants âgés de 5 à 17 ans étaient scolarisés principalement à la maison, soit par les parents, soit par des classes virtuelles, contre 2 % en 1999, selon une enquête du Centre américain des données statistiques en éducation (NCES, National Center for Education Statistics), qui attribue cette augmentation en partie aux technologies de l’information qui rendent l’enseignement à domicile plus réalisable. Le NCES ne dispose pas encore de données plus récentes, mais une analyse du Washington Post a révélé que le nombre d’enfants scolarisés à domicile a bondi de 51% depuis l’année scolaire 2017-2018. Pendant ce temps, les inscriptions dans les écoles privées n’ont augmenté que de 7 %, tandis que les inscriptions dans les écoles publiques ont diminué de 4 %. La grande poussée de l’instruction à domicile s’est produite pendant les années scolaires 2019-2020 et 2020-2021. Depuis lors, les écoles publiques étant revenues (plus ou moins) à la normale, le nombre d’élèves scolarisés à domicile a quelque peu baissé, mais a conservé une grande partie de ses gains de l’époque de la pandémie. Notamment, certains des élèves qui ont quitté l’école publique pour la maison pendant la pandémie s’inscrivent aujourd’hui dans des micro-écoles.

Un sondage réalisé en août pour le Washington Post a révélé que l’instruction à domicile s’est répandue bien au-delà des conservateurs chrétiens les plus associés au mouvement au cours des dernières décennies. Aujourd’hui, les familles qui font l’école à la maison évoquent de plus en plus souvent l’inquiétude que suscite la sécurité à l’école (y compris les brimades et la violence) et la conviction que ce qui est disponible en ligne est meilleur que l’enseignement dispensé dans les écoles publiques locales, une majorité d’entre elles utilisant désormais des cours en ligne, en direct ou enregistrés.

Cette opportunité offerte par les parents est une rare lueur d’espoir pour un secteur des technologies de l’information et de la communication qui se débat encore dans la crise qui a suivi la pandémie de Covid-19. Le financement des startups américaines dans les technologies de l’éducation en 2023 s’est élevé à 3,2 milliards de dollars (2,9 milliards d’euros), soit une baisse considérable par rapport aux 9,5 milliards de dollars (8,7 milliards d’euros) levés en 2022 et aux 20,3 milliards de dollars (18,6 milliards d’euros) en 2021, selon les données de Crunchbase. En 2019, avant la pandémie, le secteur a reçu 2,2 milliards de dollars (2 milliards d’euros) d’investissements. La frénésie de financement de l’ère Covid est survenue alors que trois plans de relance fédéraux ont accordé 190 milliards de dollars (174 milliards d’euros) aux écoles primaires et secondaires. L’argent a été dépensé sur tous les aspects, du renforcement de la technologie pour l’apprentissage en ligne à l’amélioration de la sécurité physique des écoles, en passant par le soutien à la santé mentale et l’enseignement de rattrapage pour les élèves. (Les écoles doivent dépenser le reste du financement lié au Covid-19 d’ici le mois de septembre).

 

Les comptes d’épargne-études (ESA) soutiennent les technologies de l’éducation 

Alors que la manne fédérale prend fin, les comptes d’épargne-études financés par les États apportent un soutien à l’essor de l’éducation parentale. En 2020, il n’y avait que quatre programmes d’ESA dans les États, qui servaient environ 25 000 enfants et distribuaient quelque 100 millions de dollars (91,5 millions d’euros) par an, explique Joe Connor, fondateur et PDG d’Odyssey, une plateforme qui vise à mettre en relation les programmes d’ESA des États avec les parents et les fournisseurs de services éducatifs. Aujourd’hui, 13 États ont des programmes (certains ont plus d’un programme, avec des conditions d’éligibilité et de financement différentes) qui fournissent 5 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) par an aux parents, dit-il. Ces chiffres sont susceptibles d’augmenter. La National Conference of State Legislatures indique que 33 assemblées législatives d’État ont envisagé des programmes d’ESA l’année dernière et qu’elle suit actuellement près de 100 propositions de ce type.

En août 2022, Melissa Shah, mère de trois enfants à Gilbert, en Arizona, a utilisé un compte d’épargne-études financé par l’État pour inscrire son fils de 16 ans dans une micro-école KaiPod. Il est neurodivergent et excelle en mathématiques, mais a du mal à écrire et à comprendre la lecture. « Le fait de pouvoir personnaliser l’éducation de son enfant permet à ce dernier et à sa famille d’améliorer leur qualité de vie », explique Mme Shah. « Mon fils se sent enfin stimulé en mathématiques, mais il lui a fallu attendre la onzième année (première). « Il a passé tant d’années à s’ennuyer dans cette matière, mais ce n’est que lorsque nous sommes passés à une école privée en ligne accélérée associée à KaiPod Learning qu’il a vraiment brillé. » Son fils envisage maintenant d’aller à l’université, ce que Mme Shah ne pense pas qu’il aurait envisagé sans l’opportunité qu’il a eue de forger sa propre voie éducative.

S’il est clair que les ESA augmentent les fonds mis à la disposition des parents, Amar Kumar, fondateur de la société KaiPod, basée à Boston, estime qu’il s’agit en fait d’une « indication tardive » de la demande croissante des parents d’avoir plus de contrôle sur l’éducation de leurs enfants. « Selon moi, les ESA suivent ce qui se passe sur le terrain. Lorsque de plus en plus de familles disent : « Je veux adapter l’éducation de mon enfant comme je l’entends », c’est à ce moment-là que les responsables politiques interviennent ».

 

De nombreux programmes éducatifs voient le jour

Depuis son lancement en 2021, avec un financement de départ de Y Combinator et EO Ventures, entre autres, KaiPod a aidé des enseignants indépendants à mettre en place 49 modules et a ouvert 19 modules gérés par l’entreprise elle-même dans cinq États. Environ la moitié de ses élèves actuels étaient scolarisés à domicile avant de s’inscrire, tandis qu’un autre quart a apporté son programme d’enseignement en ligne à temps plein à KaiPod et que le dernier quart a quitté des écoles publiques ou privées traditionnelles, explique M. Kumar. Chaque classe est généralement composée de 12 à 14 élèves et d’un éducateur. La classe couvre un large éventail de matières scolaires, des mathématiques à la lecture en passant par les sciences, chaque élève suivant son propre rythme et le programme choisi par sa famille. Les frais de scolarité varient d’un module à l’autre. À Nashua, dans le New Hampshire, un programme de cinq jours, du lundi au vendredi, coûte 6 600 dollars (6 000 euros) par année scolaire. À Rosewell, en Géorgie, le même plan coûte aux parents 9 000 dollars (8 200 euros) par an. Les parents ont également la possibilité d’acheter des forfaits de deux, trois ou quatre jours dans la plupart des établissements.

« Si les parents n’ont pas encore choisi un programme d’enseignement à domicile, KaiPod les aide à en élaborer un. Ils peuvent choisir un programme à la carte – Khan Academy pour les mathématiques, Lexia pour la lecture ou autre chose pour les sciences », explique M. Kumar.

Outschool, un service d’apprentissage en ligne basé à San Francisco, a vu son activité s’envoler grâce aux ESA, le nombre d’utilisateurs payant avec ces comptes ayant été multiplié par six en 2023, selon le fondateur et PDG Amir Nathoo. Au cours de l’année 2023, les recettes hebdomadaires d’Outschool provenant des fonds ESA sont passées de quelques dizaines de milliers de dollars à des centaines de milliers de dollars. Actuellement, environ la moitié des 100 000 utilisateurs mensuels de la plateforme sont scolarisés à domicile, tandis que d’autres l’utilisent pour compléter leur enseignement public ou privé. (Le service, lancé par la promotion 2016 de Y Combinator, a levé 110 millions de dollars (100 millions d’euros) à une valeur de 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) en 2021, ce qui porte son financement total à 242 millions de dollars (221,5 millions d’euros) provenant de plus d’une vingtaine d’investisseurs).

Tony Wan, responsable de la plateforme chez Reach Capital, une société de capital-risque spécialisée dans l’éducation qui a investi dans Outschool, cite les ESA financés par l’État comme l’une des tendances américaines les plus importantes à suivre cette année dans le domaine de l’éducation de la maternelle à la terminale. « Nous nous attendons à ce que la demande d’ESA augmente, car les parents continuent à chercher des alternatives pour leurs enfants qui, selon eux, ne sont pas bien servis par les options existantes et locales », explique M. Wan, dont la société a également investi dans d’autres plateformes telles que l’application d’apprentissage Preply.

« Nous avons vu le nombre de clients potentiels qui demandent à payer avec l’ESA et d’autres fonds publics augmenter considérablement », rapporte Felipe Izquierdo, fondateur et PDG de Quest, basée à San Francisco, qui utilise des jeux en ligne pour enseigner les mathématiques aux préadolescents. Il considère qu’il s’agit là d’un important domaine de croissance pour sa startup créée il y a un an et qui compte aujourd’hui 500 clients. Il en va de même pour Garrett Smiley, cofondateur et PDG de Sora Schools, une école privée virtuelle accréditée de niveau collège et lycée, basée à New York, qui prévoit d’augmenter ses effectifs à 1 000 élèves l’année prochaine, contre 335 aujourd’hui.

Bien que les propositions d’ESA aient donné lieu à d’importantes luttes politiques dans certains États et qu’elles n’aient été adoptées jusqu’à présent que par des États contrôlés par les républicains, elles semblent bénéficier d’un soutien public plus large que le modèle plus ancien des bons d’études privés. Dans un sondage réalisé en juillet par l’Institut Hunt auprès de 1 300 électeurs susceptibles de voter en 2024, 56 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables à l’utilisation de l’argent des contribuables pour financer des comptes d’épargne-études, contre 49 % pour les bons d’études. (L’Institut Hunt, qui est affilié à la Sanford School of Public Policy de l’Université Duke, a reçu des aides des fondations de Jeff Bezos, de Bill Gates, et de Mark Zuckerberg).

Le choix des élèves éligibles à l’ESA, le montant qui leur est alloué et l’utilisation que les parents peuvent faire de l’argent varient considérablement d’un programme à l’autre. Le Montana et la Caroline du Nord ont créé des comptes réservés aux élèves ayant des besoins particuliers. Le New Hampshire a créé son ESA en 2021 pour les familles dont le revenu est inférieur ou égal à 350 % du taux de pauvreté (soit un revenu familial inférieur ou égal à 105 000 dollars, soit 96 000 euros, pour une famille de quatre personnes). Les comptes ne sont pas populaires auprès des syndicats d’enseignants. La New Hampshire American Federation of Teachers a intenté un procès pour bloquer le programme, affirmant qu’il viole la constitution de l’État. En novembre, un juge de la Cour supérieure a rejeté l’action en justice.

 

Un élargissement de l’éligibilité 

Le programme Hope Scholarship de Virginie-Occidentale, lancé en 2022 et récemment confirmé par la Cour suprême de l’État, fournit des comptes (égaux à la contribution par habitant de l’État aux écoles publiques locales) uniquement aux élèves qui ont déjà été scolarisés dans des écoles publiques ou qui commencent la maternelle. Cette année, les comptes fournissent 4 489 dollars (4 109 euros) aux élèves éligibles pour payer les frais de scolarité, le programme d’enseignement à domicile et d’autres dépenses liées à l’éducation individualisée. Mais la loi pourrait éventuellement rendre ces comptes plus largement disponibles.

Cette mesure s’inscrit dans une tendance à l’élargissement de l’éligibilité. L’Arkansas, par exemple, a lancé cette année des ESA dont l’éligibilité est limitée à certains élèves, tels que ceux qui sont handicapés ou qui fuient les écoles publiques les moins bien classées, et dont la participation totale est plafonnée. Les comptes sont égaux à 90 % du financement par élève de l’État pour l’année précédente dans les écoles publiques, soit 6 600 dollars cette année. Mais d’ici à l’année scolaire 2025-2026, l’État prévoit de mettre ces comptes à la disposition de tous les élèves qui souhaitent quitter l’école publique.

« En général, les États veulent s’assurer que les programmes sont opérationnels et qu’il n’y a pas de fraude, de gaspillage ou d’abus avant d’élargir les catégories », observe M. Connor. « Mais je pense que si l’on prend un peu de recul, la politique consiste généralement à donner plus de pouvoir aux parents. Et historiquement, ce que nous avons vu, c’est qu’il s’agit plus d’une expansion que d’une contraction. »

Les ESA de l’Arizona ont été créés en 2011 pour les étudiants handicapés. Pour l’année scolaire 2022-2023, les enfants handicapés pouvaient prétendre à un financement ESA allant jusqu’à 43 000 dollars (39 000 euros), en fonction de leur handicap. Mais en 2022, l’État a mis des comptes plus petits (allant désormais de 6 000 à 9 000 dollars, selon le montant de l’aide de l’État qui aurait été versée à un système scolaire public ou à une charter school si l’élève avait été inscrit) à la disposition de tout élève résident non handicapé de la maternelle à la terminale, quel que soit le revenu familial, tant qu’il n’est pas inscrit dans une école publique ou dans une charter school financée par l’État. Les parents peuvent utiliser cet argent pour payer les frais de scolarité d’une école privée, les programmes d’études, l’enseignement à domicile ou le tutorat, pour ne citer que quelques exemples. 

 

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