Une contribution de Hugues Bantigny, Head of TEAM LEWIS France
L’impact de l’Intelligence Artificielle sur nos vies reste aujourd’hui encore difficile à estimer. Les plus grandes entreprises et les leaders d’opinion de la Tech nous promettent une révolution dans notre manière d’accéder à l’information ou de réaliser certaines tâches. Mais notre relation à l’IA est toujours incertaine tant celle-ci a la capacité de changer de nombreux aspects de notre quotidien privé et professionnel, alors même que ça nous semblait encore immuable hier.
D’internet aux réseaux sociaux : évolution de l’accès à l’information
En regardant dans notre récente histoire technologique, il semble pertinent de comparer l’IA aux deux révolutions majeures que nous avons vécu ces trois dernières décennies. Tout d’abord les ordinateurs et internet. Puis les smartphones et les réseaux sociaux.
La première a donné à chacun la possibilité d’accéder facilement à l’Information (avec un grand i). Mieux, à la Connaissance (avec un grand C). L’arrivée d’Internet dans les foyers a largement ouvert le champ des possibles en matière d’auto-apprentissage, permettant à tous de se plonger dans des sujets jusqu’alors inconnus. Wikipédia est devenu une source inépuisable pour tous ces curieux, avides de savoirs et de découvertes. Preuve d’une volonté partagée d’en apprendre toujours plus, qu’importe la thématique, le bouton « Random Article » qui accède au hasard à une page de l’encyclopédie numérique a connu un incroyable succès devenant la 3ème page la plus visitée du site, encore aujourd’hui avec presque 8 milliards de clics. Grâce aux sites d’information, Internet a surtout permis, pour la première fois dans l’humanité, un débat global sur notre histoire ainsi que sur notre vision d’un événement en particulier. Alimenté par une communauté internationale de contributeurs toujours plus importante, multiculturelle et avide de sources vérifiées, Internet a largement participé à notre mondialisation, rapprochant les peuples et, de ce fait, les échanges culturels et économiques.
Les réseaux sociaux sont venus ensuite complémenter ces échanges, créant pour la première fois et en des temps records des tendances suivies aux quatre coins du globe ; tendances éphémères comme pérennes. Notre accès mobile et ininterrompu à nos réseaux a changé notre manière de communiquer et d’agir : du partage de mèmes visionnés par des générations entières aux révoltes populaires telles que le Printemps Arabe qui a vu neufs gouvernements se faire renverser ou s’affaiblir en quelques semaines. Cette deuxième révolution technologique a redéfini les principes du communautarisme créant des rassemblements coordonnés au-delà des frontières d’un pays, s’unissant face à des visions discordantes (Taylor Swift et ses fans versus Spotify) ou injustices sociales longuement ignorées (Mouvements MeToo et BlackLivesMatter). Le tout avec ces bénéfices mais aussi ces excès tant les algorithmes des plateformes sociales, boostés par les velléités d’engagement et de clics, ont compromis notre accès à une information neutre et diversifiée. Par leur action, les algorithmes apportent de l’eau au moulin des communautés attirées par le complotisme, renforçant leurs idéaux, accentuant l’enfermement sur soi et nourrissant malgré eux de multiples formes d’extrémismes.
L’exercice critique a-t-il disparu ?
À l’heure de l’Internet libéral et social mais aussi structuré par et pour la publicité et l’e-commerce, savons-nous alors encore nous questionner ? Notre capacité à nous remettre en question et à tenter non pas d’écouter mais de comprendre le point de vue de l’autre en a-t-elle pris un coup dans les deux dernières décennies ? Le sens d’auto-critique a-t-il survécu à Facebook et X ? Ces questions sont légitimes tant il apparaît parfois que la zone grise a disparu et qu’il n’y a seulement que deux choix dans tout questionnement : l’un pour et l’autre contre. Le clivage semble faire foi. Nous ne posons plus de questions ni sur Internet ni sur les réseaux sociaux. Nous recherchons les meilleurs hashtags et emojis pour nos publications, et tapons des mots clés pour nos recherches.
Alors, qu’est-ce que l’Intelligence Artificielle peut changer à cela ? Et a-t-elle la capacité de redonner ses lettres de noblesse au raisonnement – et non à la raison unidirectionnelle ?
La question complexe, galvanisante d’un raisonnement approfondi
Dans la veine des deux premières révolutions, l’IA amène avec elle une nouvelle pratique, un nouveau vase communicant. Sa compréhension des requêtes complexes met fin à la nécessité de réduire une pensée à une courte suite de mots-clés : l’IA donne réellement vie à la question pour la première fois dans l’histoire d’Internet. Et cela change tout.
Tout d’abord, cela implique de savoir poser correctement ladite question pour éviter tout contre-sens. La capacité de compréhension d’un contexte et des implications humaines subtiles ne sont aujourd’hui encore qu’à leur prémisse. Et, telle une personne qui en connaît une autre, il sera nécessaire pour l’IA de mieux nous connaître, chacun que nous sommes, pour appréhender nos visions personnelles du monde et nos manières respectives de nous exprimer. L’effort est donc d’abord à réaliser côté humain en apprenant à formuler correctement nos requêtes aux IA qui feront partie de notre quotidien. Il nous appartient de prendre le temps de réfléchir à notre question et ses implications du point de vue des IA. Et ainsi de structurer nos requêtes pour arriver au résultat souhaité. Des méthodologies de requêtes existent déjà pour guider ces outils dans le cheminement de notre pensé : Rôle – Tâche – Format, Tâche – Action – Objectif, Contexte – Action – Résultat – Exemple, Problème – Agitation – Résolution, pour n’en citer que quelques-unes. Améliorant ainsi notre sens critique et notre capacité à raisonner pour poser des questions pertinentes et compréhensibles par une IA.
Preuve du progrès, déjà aujourd’hui la rédaction de prompt se complexifie plus qu’elle ne se simplifie. Et cela va dans le sens de l’histoire : complexification des fonctionnalités, professionnalisation des agents synthétiques ; nous partons d’un modèle large pour se diriger vers une infinité de modèles plus précis qui nécessitent un apprentissage préalable pour les manier. Un nouveau métier de prompteurs professionnels apparaît déjà sur des sujets de niche, capables de paramétrer ces modèles vers un usage restreint et spécialisé pour créer des interactions plus qualitatives avec l’IA. Ces nouveaux métiers seront portés par des profils mêlant le sens analytique au sens de la rhétorique (est-ce que ces gens existent encore ?). Cela va aussi chambouler des métiers existants, ne serait-ce que les experts de l’achat d’espace en ligne. Exerçant une profession encore récente, ils ont eux-mêmes émergé à l’heure des réseaux sociaux et du boom du e-commerce. Ces experts sont partis d’outils de paramétrage simples, pour en faire des machines complexes aux segmentations multiples et nourries par des sources de données tout aussi nombreuses. À nouveau, ils vont fortement subir la transition de la recherche par mots clés à une recherche que l’on pourrait qualifier de dynamique, à la fois sémantique et contextuelle. Et leurs outils aussi vont devoir s’adapter à l’évolution des requêtes portées par les utilisateurs.
La nécessité d’apprendre à mieux raisonner
Ensuite, échanger avec une IA induit la nécessité de construire un raisonnement par étapes. Tel un humain qui pose une question à un autre Homo sapiens, déconstruire un problème semble plus logique et productif que de le résoudre directement dans son ensemble. Les méthodologies de requêtes évoquées plus haut en sont les premiers exemples. S’en suit une forme d’argumentation avec l’IA pour l’aider à comprendre et à fournir un résultat valide en la guidant vers sa propre critique. Résoudre chaque partie de problème pour ensuite rassembler l’ensemble des sous-apprentissages en une hypothèse tangible n’est pas une tâche aisée mais elle est néanmoins essentielle pour que l’IA puisse effectivement nous être utile. Qui fait le test se retrouve vite à discuter naturellement avec l’outil, à argumenter au lieu de chercher à convaincre – pourquoi tenter de convaincre une IA ? Elle ne va pas voter, elle –, à discuter au lieu de débattre, et à être claire dans sa demande au lieu d’induire sans dire.
Nous pouvons donc aider l’IA à apprendre. Pour ensuite mieux nous instruire. Et cela aussi pourrait encore plus s’accentuer. La prochaine avancée, pour certains experts, se prénomme LAM pour Large Action Models. À la différence des LLM (Large Langage Model), les LAM vont faciliter la tâche des humains à guider l’IA dans l’enrichissement de ses connaissances. Ces modèles pourront entre autres nous permettre l’apprentissage par l’exemple : en montrant via une simple vidéo tutoriel comment naviguer sur un site internet plutôt que d’essayer de le comprendre en analysant son code. C’est-à-dire en choisissant le point de vue de l’utilisateur plutôt que celui du développeur. Et en créant ainsi des commandes automatisées de réalisation de tâches ex situ pour se soustraire aux limites et à la complexité des intégrations actuelles entre applications – les API. Enfin, rappelons que l’IA peut analyser de grandes quantités de données, nous aidant à prendre des décisions éclairées et à découvrir des tendances ou des relations complexes que nous, humains, pourrions manquer.
La rationalisation des enseignements
En enseignant, nous apprenons mieux nous-même. Nous devenons plus critiques, plus ouverts, plus rationnels, et dans une certaine mesure, oui, nous devenons plus intelligents. C’est en tout cas le souhait que nous pouvons faire à l’humanité avec l’arrivée de l’Intelligence Artificielle dans nos vies. N’oublions pas que nos capacités de réflexion et d’adaptation sont l’essence du succès de l’Homo sapiens. Elles sont d’autant plus importantes aujourd’hui qu’il est essentiel de vérifier l’information et de s’en faire son propre avis. Qu’importe la source, IA comprise avec ses fameuses hallucinations. Le doute est encouragé, surtout si nous nous concentrons sur une source unique plutôt que des sources diverses et variées. L’intelligence pratique et la dextérité humaine doivent être galvanisées par l’arrivée de ces nouveaux outils, et non pas reléguées au second plan. Comme avec tout interlocuteur, l’IA offre une nouvelle opportunité de s’élever et d’être meilleur, à condition de conserver un sens raisonnablement critique.
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