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Escroquerie numérique dans les urnes : comment la technologie Deepfake menace les élections de 2024

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Close up of woman's hand typing on computer keyboard in the dark against colourful bokeh in background, working late on laptop at home

L’intégrité des processus démocratiques se trouve à la croisée des chemins à une époque où l’innovation numérique influence profondément tous les aspects de notre vie. Outre les avancées technologiques, on assiste à l’avènement d’un mécanisme sophistiqué de tromperie, élaboré par des acteurs invisibles qui manipulent le paysage numérique dans le but de remettre en cause les fondements mêmes de la démocratie.

Une contribution de Xavier Duros, expert cybersécurité chez Check Point Software

 

À l’heure où la moitié de la population mondiale est appelée aux urnes, nous sommes exposés à un phénomène nouveau et sans précédent qui transcende les simples abus technologiques : la menace de fraude électorale, organisée par un réseau clandestin œuvrant dans l’ombre, grâce à l’intelligence artificielle et à la technologie « deepfake » dont les cybercriminels se servent habilement. Force est de constater une forte augmentation des services « deepfake » sur le darknet et sur Telegram. Loin d’être l’œuvre de loups solitaires, ce phénomène est l’initiative coordonnée d’un réseau d’escrocs et de pirates informatiques qui ne laissent aucune empreinte numérique et opèrent en toute impunité derrière leur clavier et leur écran. Ce réseau tisse une toile complexe de désinformation et de manipulation qui complique considérablement les efforts entrepris pour préserver l’intégrité des élections et maintenir la confiance du public dans le processus démocratique.

 

Le défi du Deepfake

La technologie deepfake permet de créer un contenu audiovisuel hyperréaliste mais entièrement fabriqué. Il s’agit d’un outil puissant pour ceux qui cherchent à manipuler l’opinion publique ou à discréditer des personnalités politiques. On dénombre plus de 3 000 référentiels liés à la technologie deepfake sur des plateformes telles que GitHub, preuve que son potentiel de développement et de diffusion est largement répandu. Telegram héberge des centaines de canaux (entre 400 et 500 environ) et de groupes qui proposent des services de deepfake, allant de bots automatisés pour guider les utilisateurs tout au long du processus à des services personnalisés assurés directement par des particuliers. Le prix de ces services varie. Il démarre à 2 dollars la vidéo et peut atteindre 100 dollars pour plusieurs vidéos et tentatives. En d’autres termes, ces contenus trompeurs sont extrêmement abordables.

 

Au-delà de la technologie : démasquer les architectes invisibles de l’escroquerie électorale

Pour bien comprendre la menace imminente que représente la technologie deepfake lors des prochaines élections européennes et américaines de 2024, une chose est sûre : le défi ne se résume pas seulement au niveau de sophistication technologique, mais bien à un mécanisme de tromperie plus large et plus insidieux. Un réseau souterrain d’acteurs sévit derrière les écrans. Ces technologies ne sont pas de simples outils, mais des armes au service d’une stratégie globale pour compromettre l’intégrité de la démocratie. Ce mécanisme obscur, articulé en quelques clics, manipule la perception et la conscience du public avec une efficacité qui fait froid dans le dos. Quant aux auteurs, ils restent dans l’anonymat et ne laissent pratiquement aucune empreinte numérique derrière eux.

Ajoutons que sans aucune empreinte numérique, difficile de lutter contre ces pratiques fallacieuses. Les mesures traditionnelles de cybersécurité ne suffisent pas s’il n’y a aucune trace numérique claire à suivre, aucunes adresses IP à mettre sur liste noire ou signatures de malwares à détecter. Le conflit s’est déplacé. Au lieu de se limiter à des contre-mesures techniques, le combat se déroule désormais sur un terrain plus complexe, celui de la guerre psychologique et de la sensibilisation de l’opinion publique.

 

Le succès du clonage vocal

Le clonage vocal représente une composante significative de la technologie deepfake, car il fait appel à l’apprentissage automatique et à l’intelligence artificielle pour reproduire avec une précision remarquable la voix d’une personne. Cette technologie analyse des échantillons audio pour identifier les caractéristiques de la voix ciblée, telles que la hauteur, la tonalité et le style d’élocution. Elle est ensuite capable de générer un message qui reproduit ces caractéristiques, et permet ainsi de créer de faux clips audio convaincants.

Ces « deepfakes » audio sont particulièrement efficaces pour diffuser des informations fausses, comme en témoignent les incidents provoqués par des robocalls, dont les messages de dirigeants politiques qui ont été fabriqués de toutes pièces. Contrairement aux deepfakes vidéo qui nécessitent une manipulation complexe des données visuelles, les deepfakes audio sont beaucoup plus faciles à réaliser et à partager. Ils présentent donc un risque considérable pour les électeurs, car ils peuvent les induire en erreur et compromettre leur confiance dans le processus électoral.

Parmi les exemples les plus récents, on peut citer un appel téléphonique robotisé adressé aux électeurs du New Hampshire, avec la fausse voix de Joe Biden, le président des États-Unis, leur demandant de ne pas voter.

 

Réponses légales et incidences sur l’avenir

Au vu de cet exemple et de l’essor du clonage vocal, les États-Unis ont interdit les appels vocaux générés par l’IA. La mesure adoptée traduit l’inquiétude croissante que suscitent les manipulations numériques et leur impact sur l’intégrité des élections. Cependant, la progression constante de la technologie deepfake et de ses applications souligne la lutte constante entre le progrès technologique et la nécessité d’une gouvernance éthique.

En Europe, Meta, propriétaire de Facebook et d’Instagram, a annoncé qu’il formerait une équipe pour lutter contre les contenus trompeurs liés à l’intelligence artificielle (IA) lors des prochaines élections européennes de juin.

Si l’on examine de plus près les conséquences des « deepfakes » sur les élections de 2024, il apparaît clairement que la préservation des processus démocratiques à l’ère numérique nécessite une approche multidimensionnelle. Cela passe à la fois par des mesures légales, par la sensibilisation de l’opinion publique, des solutions technologiques et par une coopération internationale. Le défi ne consiste pas seulement à lutter contre la technologie en tant que telle mais surtout à préserver la confiance qui est essentielle à toute société démocratique.

 


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