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Deux ans de Chat GPT : « La révolution ne s’essouffle pas, elle se met à notre portée »

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POLAND - 2024/09/13: In this photo illustration, the Chat GPT logo seen displayed on a smartphone. (Photo Illustration by Mateusz Slodkowski/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

Le 30 novembre, Chat GPT fêtera ses deux ans. Où en sommes-nous de la révolution promise par l’intelligence artificielle et notamment des grands modèles d’iIA génératives ? Forbes fait le point avec Stéphane Distinguin, fondateur du groupe Fabernovel, spécialisé dans en transformation numérique, et associé en charge de l’innovation et responsable des activités IA pour la zone Europe Ouest d’EY. 

 

Forbes : Vous qualifiez l’IA générative de première « révolution digitale native ». Qu’entendez-vous par là ?

Stéphane Distinguin : Moi qui fais partie des derniers “digital migrants”, ceux qui sont nés, ont grandi, appris et même commencé à travailler avant les usages massifs d’internet, je mesure l’avant et l’après. L’IA générative est une rupture technologique majeure qui s’appuie sur près de 30 ans de transformation numérique. Ce sont les usages, données, algorithmes, infrastructures, acteurs et modèles économiques du numérique qui ont rendu possible la révolution IA générative en cours.

Après deux ans de ChatGPT, de Dall-E et de Suno AI, l’IA générative est-elle à la hauteur de nos attentes ? 

S.D. : Oui et non. La puissance d’une technologie est souvent révélée par son aspect “magique”, qui nous surprend au point de dépasser nos attentes : on se souvient forcément de sa première interaction avec ChatGPT, Dall-E ou Suno AI comme lors de la première fois qu’on a fait une recherche sur Google ou fait appel à une app sur un iPhone. Mais, pour autant, cette technologie n’a pas encore changé nos vies, on “joue” avec elle, on fait mieux nos traductions, on a des réponses mieux articulées plus rapidement mais nous pressentons tous – est-ce un mirage ? – que cette technologie sera amenée à jouer un rôle bien plus décisif dans nos vies.

On a parfois l’impression que l’on stagne depuis deux ans : le soufflé est-il retombé ? 

S.D. : Je ne crois pas. Et c’est un sentiment déjà largement étudié. D’abord parce que les attentes sont encore très fortes comme je l’évoquais dans votre précédente question. Maintenant que nous possédons le feu, la magie, qu’allons-nous en faire ? Il y a aussi, le moment inéluctable où une technologie semble stagner voire régresser pour vraiment s’inviter dans nos vies et massifier ses applications. La sagesse populaire dit “reculer pour mieux sauter”. C’est bien ça.

Enfin, c’est un des rares invariants de l’histoire de l’intelligence artificielle. Le terme est apparu il y a 70 ans et a recouvert des réalités et des développements très différents mais à chaque phase, on a parlé d’hiver de l’IA après un engouement débridé. Personnellement, je crois que nous en sommes encore au printemps, et comme on sait, les printemps ne sont pas encore l’été, le temps y est plus incertain mais la certitude c’est que l’été est à venir.

On voit aussi des entreprises lever des millions, sans être à la hauteur en termes de rentabilité : sommes-nous face à une bulle ? Risque-t-elle d’éclater ? Quels risques pour l’économie mondiale si cette bulle éclate ? 

S.D. : Ne m’en voulez pas si je vous dis que cette question, je l’entends systématiquement depuis la première et seule bulle que j’ai connue, celle des “dotcoms” en 2000. Me parleriez-vous aussi de bulle des cryptomonnaies depuis quelques jours où le bitcoin et ses semblables sont au plus haut après avoir connu une traversée du désert ? Je ne crois pas que nous ayons affaire à une bulle, mais il y a bien un risque pour l’économie mondiale : d’abord, il y a encore moins d’appelés et donc bien moins d’élus que dans le cycle précédent. La start-up Mistral représente par exemple à elle seule 15 % (600 millions d’euros) des 4,1 milliards levés au 1er septembre 2024 selon le baromètre 2024 d’EY et de France Digitale sur la performance économique et sociale des start-up. Les investissements sont colossaux et bien plus concentrés, ensuite, ou en conséquence, peu d’acteurs et de pays ont les moyens de rester dans la course. Le risque, c’est le déclassement prévisible de certains et la suprématie d’autres.

Dans une note d’analyse récente pur EY, le cas d’Open AI en particulier vous interroge. Pour vous, le fait que OpenAI soit une entreprise à but non lucratif est-il antinomique avec la mission originelle que lui avait attribuée son fondateur et prix Nobel de physique Geoffrey Hinton pour « faire progresser l’intelligence numérique de la manière la plus susceptible de bénéficier à l’humanité dans son ensemble » ? 

S.D. : Ça me semble une évidence. C’était d’ailleurs le nœud de la tragi-comédie du très bref licenciement puis du retour triomphal de Sam Altman à la tête de l’organisation l’année dernière. Ce n’est pas moi mais OpenAI qui le dit en changeant de statut et en renonçant à son département d’éthique et de contrôle des usages de ses technologies.

Vous pointez également du doigt le financement « sans garde-fou » d’OpenAI : c’est-à-dire ? 

S.D. : Ils étaient nombreux, dont Elon Musk (co-fondateur d’OpenAI et désormais un des principaux clients de Nvidia avec son entreprise xAI) à demander un moratoire sur les développements des IA génératives. Même la Maison-Blanche a émis un “excutive order” pour limiter la puissance de calcul mise en œuvre.

On ne peut que se poser la question du risque et de son contrôle quand une organisation s’est créée avec une mission précise et une gouvernance idoine il y a 9 ans pour radicalement les changer de son propre chef lorsque les milliards de dollars ont commencé à pleuvoir ! De fondation, OpenAI est devenue l’entreprise occidentale non cotée la plus capitalisée de l’Histoire. On pourrait aller jusqu’à dire que le marché lui-même ne la contrôle pas ! Vertigineux.

Vous pensez aussi que nous allons vers un abandon des grands modèles de langage au profit des IA génératives plus spécialisées ? 

S.D. : Les deux coexisteront. Toutefois, je ne sais pas si autant de grands modèles seront amenés à coexister, ça oui. Des grands systèmes “qui font papa maman” comme disaient les vieux informaticiens sont extrêmement onéreux à développer et maintenir. D’autres, plus spécialisés, donc plus adaptés et précis émergeront. Des modèles ouverts aussi. Enfin, des modèles embarqués, dits “edge” – qui feront le traitement en local sur votre appareil (sans doute une des pistes pour des calculs moins énergivores d’ailleurs). À titre d’exemple, on dit qu’une des avancées majeures sur le front ukrainien est l’intégration de l’intelligence artificielle pour rendre les drones plus autonomes et donc difficiles à abattre.

Selon vous, de la crainte d’être remplacé par l’IA, nous sommes très vite retombés dans le cycle des innovations incrémentales : la révolution est-elle en train de s’essouffler ? 

S.D. : Non, elle se met à notre portée. Nous sommes plus lents qu’elle… mais toujours aussi impatients ! C’est la nature humaine, non ? Si ChatGPT a fait grand bruit auprès du grand public lors de son lancement il y a deux ans, en coulisses, ce sont les entreprises et les différents métiers qui se forment et commencent à développer des cas d’usages. C’est moins spectaculaire quand cela touche l’entreprise, elle reste la partie la moins visible de l’iceberg. Néanmoins, ce sont les entreprises qui détiennent véritablement les clés pour à la fois ancrer dans les usages mais aussi payer les investissements de cette nouvelle technologie.

Dans quelles directions va se développer désormais l’IA générative ? 

S.D. : Je vois quatre grands champs à suivre de près. D’abord, les usages. Ils s’inventent, se développent. Ensuite, la bataille des modèles : les LLM seront-ils, en tant que “General Purpose Technology” (GPT) comme l’électricité de la précédente révolution industrielle, commoditisés ? Nous les appellerons par des API sans bien avoir conscience de leur présence… Troisième domaine, celui des modèles économiques. Internet avait trouvé ses (des)équilibres, rien qu’à regarder par exemple l’écosystème de la presse et des moteurs de recherche ou des réseaux sociaux. Mais là, la donnée est tellement enfouie et retraitée par les modèles, que nous n’avons plus forcément sa source et encore moins accès à son intégrité, en droit mais aussi en matière de modèle économique : que va advenir le modèle publicitaire des sites de médias, si nous n’avons plus besoin de nous y rendre ? Alors, il va falloir réinventer de nouveaux modèles de partage de la valeur. 

Enfin, le sujet de l’énergie, a fortiori dans un contexte de crise climatique, va s’affirmer comme de plus en plus critique. Auriez-vous imaginé que des start-uppers californiens deviennent aussi pronuke après l’apparition de l’IA et de ses besoins gargantuesques en électricité ? Ce qui me fascine ici, c’est que l’IA n’impose pas seulement son modèle d’innovation (ce qu’on avait pu remarquer avec Tesla dans le domaine automobile, qui se comportait en GAFA face à une industrie qui fonctionnait sur des principes vieux d’un siècle). Non, l’IA confère une qualité de technologie à un domaine qui était devenu une commodité : à savoir l’énergie. Nucléaire, fusion et fission, énergies renouvelables, stockage, hydrogène… le secteur va devoir innover de façon radicale ! 

Finalement, l’IA générative sera sans doute un partenaire intime dans nos vies, de l’intime au professionnel, mais son impact est déjà manifeste dans d’autres industries que celle de la tech.

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