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Crise des semi-conducteurs : Pénurie et recherche de souveraineté technologique

Malgré un carnet de commandes bien rempli, bon nombre d’entreprises sont amenées à réduire (voire cesser) leur activité en raison d’une pénurie de puces électroniques que personne n’a pu anticiper. Aujourd’hui la plupart des fournisseurs sont situés en Asie.  Ils ne peuvent faire face à la demande, contraignant ainsi les entreprises à revoir leur planning de production.

 

Aucune industrie n’échappe à cette nouvelle donne. Les constructeurs automobiles sont particulièrement impactés. RENAULT a vu ses ventes en retrait de 12 % durant le premier semestre 2022, à 1 million d’unités. La marque Renault recule de 16,9 %, à 716 720 unités. C’est aussi le cas de la plupart des acteurs européens du secteur. 

Comment expliquer cette situation ?

La crise sanitaire de la Covid 19 a fortement perturbé le secteur automobile entraînant une la baisse des demandes de semi-conducteurs alors que dans le même temps la demande explosait pour les équipements individuels (ordinateurs, smartphones, consoles de jeux vidéo, les capteurs de température pour climatiseurs …). L’industrie des semi-conducteurs s’est ainsi adaptée en se concentrant sur des produits à haute valeur ajoutée pour les marchés d’électronique grand public au détriment des autres secteurs. Ces derniers subissent aujourd’hui les effets du repositionnement des principaux fabricants de puces.

Avant d’entrer dans une analyse plus détaillée de cette situation et de ses conséquences peut-être est-il nécessaire de préciser un certain nombre de points.

Qu’entend-t-on par semi-conducteur ?

Un semi-conducteur est un matériel qui possède les caractéristiques électriques d’un isolant, mais pour lequel la probabilité qu’un électron puisse contribuer à un courant électrique est suffisamment importante. En d’autres termes, la conductivité électrique d’un semi-conducteur peut varier en fonction des matières premières utilisées dans sa composition (silicium, germanium, carbure de silicium…) et de son processus de fabrication (introduction d’impuretés pour modifier les propriétés électriques du semi-conducteur).

Leur production reste un processus couteux, complexe et long. Elle nécessite des années de recherche et développement pour concevoir, développer, produire, commercialiser une gamme de semi-conducteurs.

Qui sont les fournisseurs principaux de ces semi-conducteurs ?

En raison du processus de fabrication complexe nécessitant un volume d’investissement conséquent, on dénombre finalement peu d’entreprises spécialisées dans le monde qui ont la capacité de répondre aux demandes du marché. Basée à Taïwan, TSMC est la compagnie la plus importante du secteur, produisant à elle seule plus de 50 % des semi-conducteurs du globe. Elle détient 85 % du marché mondial des semi-conducteurs mesurant moins de 7 nanomètres. Le marché est attractif et suscite des convoitises au point qu’en juillet 2021, le chinois SMIC annonce avoir la capacité de produire des puces en 7 nanomètres afin d’équiper des mineurs de Bitcoin. Samsung, possède également la capacité de produire ce type de semi-conducteurs tout comme Intel qui a annoncé la fabrication de ses premières puces en 7 nanomètres pour 2023. La gravure des micro-composants électroniques ne cesse de s’affiner. Pour contrer cette nouvelle concurrence, TSMC prévoit d’ouvrir des lignes de production à 5 nanomètres dont Apple devrait être un bénéficiaire de premier rang pour ses ordinateurs et Iphones. On ne peut que déplorer la quasi-absence d’entreprises européennes sur le marché des semi-conducteurs. L’UE ne pèse que 8,3 % du marché mondial, et aucune entreprise européenne n’est capable de produire des composants de moins de 22 nanomètres.

Pour bien comprendre l’intérêt de ce segment et les enjeux qui en découlent, précisons que la course à la miniaturisation des semi-conducteurs et des circuits intégrés (dont les CPU et GPU qui équipent nos PC et nos smartphones) va permettre d’accroître la puissance et donc la performance de nos futurs équipements électroniques.

Quelles sont les raisons qui expliquent cette pénurie de semi-conducteurs ?

Les sources sont multiples à commencer par la crise de la Covid-19, qui a considérablement impactée les activités de production des entreprises de semi-conducteurs, alors que, qu’au même moment, en raison des confinements et la mise en place du télétravail la demande de matériels électroniques (dont les ordinateurs portables) s’envolait.

Parallèlement, la demande de puces électroniques explose en raison des phénomènes suivants : le déploiement de la technologie 5G, le développement d’une  nouvelle génération de smartphones compatible avec cette technologie, les ruptures technologiques de l’industrie automobile (voitures électriques, voitures autonomes, contrôle des airbags, des distances de sécurité, contrôle du moteur, de la batterie), la croissance du marché de la domotique et des loisirs (consoles de jeu, VR ainsi que le succès grandissant des objets connectés.

Le marché global des semi-conducteurs augmentera en 2022 de 13,7% comparé à 2021 pour atteindre 661 milliards de dollars. Rappelons que ce marché avait déjà connu une croissance de 25% en 2021 par rapport à 2020[1]

Un enjeu majeur de souveraineté technologique

A la lecture des éléments ci-dessus, il semble évident que le marché des semi-conducteurs servant à la fabrication des puces électroniques soit devenu un enjeu stratégique majeur pour les grandes nations. Les Etats-Unis, la Chine et les pays de l’Asie de l’Est représentent déjà 75 % de la capacité mondiale de fabrication de semi-conducteurs[2] et cherchent encore à sécuriser leurs approvisionnements.

La pénurie de semi-conducteurs a amené les principales puissances mondiales, dont l’UE, à établir des plans d’action afin de diminuer leur dépendance vis-à-vis des pays asiatiques.  En février 2022, les Etats-Unis ont pris une longueur d’avance en négociant avec TSMC la construction d’une usine de dernière génération dans l’Arizona afin de sécuriser les filières d’approvisionnement américaines en puces.

De son côté, le géant américain du secteur, Intel, annonce la construction de deux usines de semi-conducteurs aux Etats-Unis. Un plan d’investissement massif pouvant aller jusqu’à 80 milliards d’euros au cours des dix prochaines années comprenant l’implantation de deux nouvelles usines en Europe est aussi prévu afin de développer les capacités de production de semi-conducteurs.

La Chine qui produit 36 % à elle seule de l’électronique mondiale (mais n’exporte que 7,6 % des semi-conducteurs vendus à travers le monde) entend profiter de son hégémonie technologique et territoriale pour faire de « l’indépendance technologique » une priorité de son 14ème plan quinquennal (2021-2025).

L’Union européenne nourrit de grandes ambitions dans le domaine. Elle entend légiférer sur un « European Chips Act » pour défendre et surtout étendre sa souveraineté technologique sur le marché des semi-conducteurs d’ici à 2030. L’objectif est de produire 20 % des semi-conducteurs dans le monde. En d’autres termes, l’UE veut augmenter sa part de marché d’un facteur de 2.5. Pour y arriver l’Union européenne a décidé un vaste plan de mesures, d’un montant de 43 Md€ d’investissements publics-privés, soit la moitié des investissements prévus par Intel.

Quelles sont les conséquences économiques de cette crise des semi-conducteurs ?

Bien des industries sont impactées par cette crise des semi-conducteurs, ce qui a pour effet immédiat de paralyser certains types de production (automobile, électronique, etc.). Au mieux peut-on espérer des délais de livraison qui s’allongent. Cette pénurie alimente également une inflation induite par la « rareté » des produits disponibles et par la flambée des coûts du transport maritime (l’indice composite de Drewry qui mesure le coût de transport des conteneurs a été multiplié par trois entre 2021 et 2021.[3]

Toutefois, la tendance de certains indicateurs semble s’inverser. Notamment les cours du transport maritime ont diminué de 60% sur un an ramenant le coût moyen d’un conteneur maritime en dessous des 4000 Dollars (ce qui reste très cher). De plus, le marché des semi-conducteurs ne devrait augmenter que de 7,4% en 2022, soit près de la moitié de ce qui était prévu initialement avant de connaître un recul en 2023, en raison de la chute des ventes de PC et de smartphones, et ce malgré la croissance sur les segments des datacenters et de l’automobile.[4]

Après avoir connu une explosion de la demande (+26,3% en 2021 durant la pandémie liée à la Covid-19) on constate sur cette année 2022 un ralentissement des ventes de smartphones et de PC. L’inflation, la hausse des taxes et des taux d’intérêts ainsi que l’augmentation du coût de l’énergie et du carburant affectent le revenu disponible des clients qui réduisent leurs achats notamment sur les produits électroniques. Les ventes d’ordinateurs portables devraient chuter de 13,1% en 2022 comparé à 2021 entraînant ainsi une baisse des ventes de semi-conducteurs estimée à 5,4% en 2022. La demande de smartphones aussi tend à ralentir avec seulement une croissance de 3,1% en 2022 contre +24,5% en 20214

Le marché des semi-conducteurs entre donc dans un cycle industriel baissier qui aura pour effet de raccourcir les délais d’approvisionnement et voir les prix s’infléchir progressivement.

Conclusion

Si la demande de semi-conducteurs servant à la fabrication de puces pour les ordinateurs et smartphones est en recul, la demande reste soutenue pour les « data centers » en raison de la poursuite des investissements dans le cloud.

De même, le développement des véhicules électriques et autonomes conduisant nécessairement à une utilisation plus importante de l’informatique embarquée soutiendra la demande de semi-conducteurs destinés à l’industrie automobile.
Le retour à une situation « normalisée » reste tout de même largement dépendant de la reprise progressive de la production de semi-conducteurs en Asie. Celle-ci n’a toujours pas retrouvé son rythme d’avant Covid en raison des confinements ponctuels des unités de production chinoises. Toutefois, la pleine utilisation des capacités de production installées interviendra dans un contexte de fort ralentissement du dynamisme de ce marché et d’une probable récession des principales économies du monde. Est-il pertinent dans ce contexte de substituer à l’initiative privée des grands plans institutionnels comme celui de l’UE ? La question mérite au moins d’être posée.

 

[1] Etude IDC’s Worldwide Semiconductor Technology Supply Chain Intelligence – 8 juin 2022

[2] Etude Semiconductor Industry Association et le Boston Consulting Group – Avril 2021 

[3] Drewry – World Container Index 6 Octobre 2022

[4] Etude Gartner – 27 juillet 2022

 

Article rédigé par :

 Pascal Montagnon, Directeur de la Chaire de Recherche Digital, Data Science et Intelligence Artificielle – OMNES EDUCATION

Eric Braune, Professeur associé – INSEEC Bachelor

 

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