OPINION // La notion « d’expérience client » est apparue il y a plus de quarante ans, en 1982 avec les travaux de Holbrook et Hirschman qui l’avaient alors définie comme « un état subjectif de conscience accompagné d’une variété de significations symboliques, de réponses hédonistes et de critères esthétiques ». Cette première définition sera complétée en 1998 par Gilmore et Pine. Pour eux, « il s’agit de l’idée d’un nouveau type d’offres, qui dépasse le stade des services pour proposer aux consommateurs des expériences singulières, mémorables et économiquement valorisées ». Depuis 1998, de l’eau a coulé sous les ponts de l’expérience client en visant inlassablement une amélioration expérientielle, de nombreux outils sont apparus en mesure de servir une amélioration des « expériences singulières » évoquées. L’outil en ce sens le plus révolutionnaire ayant permis le développement d’outils spécifiques au service d’une évolution de l’expérience client étant naturellement Internet ainsi que toutes les solutions technologiques et applications en mesure de compléter, voire de se substituer – pour partie – à une expérience client traditionnelle, nous pensons naturellement aux technologies permettant l’immersion du client (réalité virtuelle).
Crise et expérience client : le digital indument magnifié ?
C’est un fait établi que la transformation digitale s’est accélérée durant la crise au service de la préservation de l’expérience client dans de nombreux secteurs Click & Mortar – par opposition aux Pure Players –. Cette accélération et les solutions mises en œuvre n’ont pu toutefois se substituer totalement à l’expérience client traditionnelle. Pour autant durant la période, le digital a été magnifié, la crise traversée aura donné aux vendeurs de solutions palliatives à la régression drastique du présentiel des opportunités de développement inédites. Le fait est que les restrictions diverses et variées conditionnant la relation à l’autre a plus malmené l’expérience client qu’autre chose ! Le digital nous est apparu comme un erzatz, comme l’usage d’un Flash-ball dans l’expérience client, au sens strict (Le Flash-ball est une arme à létalité atténuée désignant un lanceur de balles de défense ou LBD. Le terme Flash-ball est une marque déposée, mais sert couramment à désigner tous les lanceurs de balle de défense…). Si l’analogie peut paraître audacieuse, n’est-elle pas à même de se rapprocher de la réalité vécue ? Pour ce qui est de l’expérience client, le digital n’est pas la panacée – tant s’en faut. S’il a en quelque sorte eu une opportunité inédite de prendre le pouvoir, il n’est pas souhaitable à terme qu’il configure et s’impose comme un nouveau modèle de société et d’interaction entre êtres humains et il est peu probable que cela se produise ; il nous apparait plus vraisemblable qu’il soit appelé à reprendre sa juste place.
Le digital a confronté les consommateurs à de véritables obstacles cognitifs en exigeant par exemple un niveau d’attention plus soutenu que dans le monde réel. Les marques ont dû dès lors faire preuve de créativité et d’imagination pour concevoir ou développer des interfaces online plus simples, plus intuitives et facilitatrices dans la navigation, les choix, les alternatives de décisions et les achats. C’est également en parallèle le principe même du concept d’omnicanalité qui a pris tout son sens dans cette période délicate durant laquelle tous les points de contact (touchpoints) sont devenus subitement plus importants encore, en devant réduire paradoxalement le contact physique à, à proprement parler, son plus simple appareil (smartphones, tablettes, ordinateurs… Libre à vous de choisir pourvu que vous ayez lavé vos mains préalablement). Le sans contact est devenu le grand gagnant de l’expérience client suite au confinement et aux règles de distanciation sociale.
Offrir une expérience intégrée, sans couture, sans raccord, complète et longiligne en étant à chaque moment de vérité capable de répondre, d’anticiper, de rassurer, de guider et de continuer à faire son métier, à vendre en minimisant les craintes, les angoisses, en gérant toutes les émotions que peut ressentir le consommateur. La recherche d’émotions positives étant comme une quête du Graal au service de l’excellence de la relation client, de la satisfaction, et de la fidélité mise mal en point, elle aussi, dans un contexte pour le moins hostile aux clubs de rencontres des clients fidèles 😉
Digitalisation le choix temporel du moins pire ?
Contre mauvaise fortune bon cœur, quand il n’y a pas d’autres choix que « le moins pire » pour survivre, la raison impose de le choisir. Pour autant, par-delà les discours lénifiants semblant vouloir parfois imposer un Nouveau Monde sur ces bases, nous pouvons raisonnablement espérer que l’expérience client retrouvera rapidement une forme de normalité, le digital reprenant la place qu’il – sans le covid – n’aurait jamais dû quitter. L’expérience client avec le digital en appui est une chose, l’expérience client reposant exclusivement sur le digital est une expérience de client qui, par-delà toutes les fonctionnalités offertes, aussi innovantes soient-elles, demeure et demeurera paupérisée. C’est la raison pour laquelle nous évoquons l’effet d’un Flash-ball dans l’expérience client qu’a provoquée le Covid en accélérant souvent dans l’urgence le développement de boutiques online, du drive et de la livraison à domicile. Le digital a été un palliatif et a indéniablement progressé pour tenter d’offrir une expérience client la moins altérée possible. Il n’en demeure pas moins que l’aspiration de notre humanité est à retrouver la joie des interactions humaines. Imaginez-vous un monde où la poignée de main serait à jamais proscrite, l’accolade interdite, la bise n’en parlons pas…. Plus sérieusement, avez-vous observé chez vos commerçants de proximité, les échanges entre client et commerçant, dès lors que le retour dans les commerces a été autorisé à nouveau ? N’avez-vous pas remarqué la qualité des échanges ? N’avez-vous pas noté des échanges augmentés lors desquels, par-delà l’achat à proprement parler, le temps d’échange était devenu plus conséquent : le client se souciant du commerçant, le commerçant se souciant de son client par-delà la tractation strictement commerciale. N’est-ce pas là le signe d’une aspiration du plus grand nombre à un retour à des relations humaines normalisées ?
L’exemple du secteur vestimentaire
Bien sûr des solutions de substitution ingénieuses et remarquables ont été mises en place pour pallier entre autres la distanciation. Dans le domaine vestimentaire, par exemple la start-up Fitle, en est une illustration édifiante : cette start up offre aux marques qui le souhaitent un outil permettant à leur client une recommandation de taille personnalisable. Comme l’affirme la start-up : « Nos partenaires utilisent notre outil de recommandation de taille pour ne pas perdre de ventes, éviter les retours et offrir la meilleure expérience d’achat à leurs clients. » Pour autant, ce type de prestations est-il appelé à devenir à terme et en situation post-covid dominante ? Rien n’est moins sûr… Le client est, si nous prenons cet exemple, naturellement privé du plaisir de flâner dans les rayons, privé de la joie de l’essayage, privé du regard neutre et des conseils avisés d’un vendeur expérimenté, du regard posé par un(e) amie sur ses choix. Autant de points expérientiels que le digital ne pourra remplacer.
Le digital et l’allégresse client
Certes, les entreprises se devaient dans la période d’orienter leurs moyens et leurs processus vers le client. La digitalisation était un moyen. Cette digitalisation, aussi augmentée soit-elle, n’en demeure pas moins un pis-aller, ces solutions « extra-ordinaires » adaptées à une situation de crise sans précédent ne pourront s’imposer sur le long terme comme la norme, mais bien comme une solution de recours pour une majorité de consommateurs…. et retrouver la place qui leur est dévolue. Pour ceux et celles qui douteraient qu’un retour en arrière ne soit pas la solution, et ne puisse en aucune manière être envisagé, nous les invitons à penser aux tramways qui ont un temps disparu de nos villes avec l’arrivée de l’automobile, pour plusieurs décennies, pour plus tard les réinvestir… La digitalisation de l’expérience client induit, quelle que soit sa qualité, une rupture de lien social. Si la période n’a eu de cesse de l’améliorer à marche forcée, il n’en demeure pas moins qu’elle ne saurait se substituer post-crise à l’expérience client traditionnelle. Ces solutions pourront être choisies par confort par certain peu enclins à la fréquentation des magasins, mais, dans une société en quête vitale de lien social et d’échange humain après de cruelles privations, nous parions que l’allégresse client retrouvera toute sa place, une allégresse client qui ne saurait se contenter d’interactions via ordinateurs, aussi développées et pointues que soient ces interactions.
Tribune rédigée par Yannick Chatelain : Professeur Associé Digital / IT, GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM) & Laurent Mandica : Professeur Associé Relation Client et Management, Grenoble École de Management (GEM).
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