L’intelligence artificielle révolutionne la prévision du changement climatique et s’impose comme un outil incontournable pour anticiper, gérer et atténuer ses effets. Qu’il s’agisse de modéliser les risques d’inondation ou d’accompagner les villes dans la conception d’infrastructures plus résilientes, l’IA est désormais au cœur des innovations en matière de technologies climatiques.
Lors d’un récent événement à l’université de Virginie, un panel d’experts issus des sciences, de la technologie, de l’assurance et du journalisme a exploré le rôle de l’intelligence artificielle dans la gestion des risques environnementaux. Si la consommation énergétique de l’IA et des centres de données reste une source d’inquiétude, son potentiel pour aider à anticiper et atténuer les effets les plus graves du changement climatique apparaît indéniable.
Les modèles climatiques alimentés par l’IA offrent un niveau de précision inédit
« Notre objectif est d’anticiper les futurs niveaux d’inondation afin d’améliorer la préparation », explique Madhav Marathe, directeur exécutif du Biocomplexity Institute de l’université de Virginie. Son équipe développe des « similitudes numériques » de villes et de régions basées sur l’IA : des modèles virtuels capables de simuler divers phénomènes, de l’élévation du niveau de la mer à la consommation d’énergie en passant par les dynamiques de population. À l’image des jumeaux numériques, ces répliques utilisent toutefois des données synthétiques pour préserver la confidentialité des informations. Elles offrent ainsi aux urbanistes et aux décideurs un outil précieux pour tester différents scénarios et concevoir des stratégies plus intelligentes et durables avant qu’une catastrophe ne survienne.
Grâce à des collaborations avec la NASA, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et le département de la Défense des États-Unis, l’institut de Madhav Marathe applique déjà l’IA pour analyser les impacts sanitaires, optimiser les plans d’évacuation régionaux et renforcer la résilience des infrastructures énergétiques. « Nous développons des outils et des flux de travail basés sur l’IA et la simulation pour mieux appréhender ces systèmes en perpétuelle évolution », souligne-t-il.
Assurance et IA : anticiper les risques météorologiques avec une précision accrue
L’intelligence artificielle redéfinit la gestion des risques climatiques dans le secteur privé. Matt Coleman, directeur de la gestion des risques pour le cabinet de conseil en assurance The Demex Group, explique comment l’apprentissage automatique affine la prévision des pertes assurées.
« Nous exploitons l’apprentissage automatique et d’importants volumes de données météorologiques et de demandes d’indemnisation pour mieux anticiper les pertes assurées », détaille-t-il. Selon lui, l’industrie de l’assurance s’attache de plus en plus à mesurer les impacts économiques du changement climatique.
Demex s’intéresse en particulier à ce que M. Coleman appelle les « entailles et coupures » du risque climatique : ces événements fréquents, comme les orages, qui, bien que moins spectaculaires que les ouragans ou les tornades, pèsent davantage sur les assureurs en raison de leur accumulation. « La fréquence des orages a été multipliée par cinq depuis 1980, creusant un déficit de protection qui fragilise les revenus des assureurs », souligne-t-il. Ce risque, autrefois couvert par les réassureurs, est aujourd’hui de plus en plus délaissé.
Grâce à des modèles alimentés par l’IA, les assureurs peuvent désormais adapter leurs polices à des risques spécifiques et rouvrir des marchés jugés trop imprévisibles. Alors que le secteur s’appuyait depuis plus de trente ans sur des données fragmentées concernant les événements météorologiques rares, Demex mise sur des données horaires et quotidiennes, complétées par des ensembles synthétiques et stochastiques, pour affiner ses analyses et éclairer les décisions des assureurs.
L’IA, un outil pour l’humain, pas un substitut
Aussi performante soit-elle, l’intelligence artificielle ne peut se substituer à l’expertise humaine dans les applications climatiques. « L’IA ne peut pas prendre seule des décisions critiques aux lourdes conséquences », prévient Madhav Marathe. En revanche, elle peut jouer un rôle autonome dans la vérification et la validation des analyses. Son véritable atout réside dans son usage comme outil d’aide à la décision, en fournissant des simulations et des données exploitables par les experts.
Matt Coleman partage cette vision, soulignant que dans l’assurance, « l’un des atouts majeurs d’un météorologue est sa capacité à reconnaître les schémas ». L’intervention humaine reste essentielle pour valider les prévisions et assurer un contrôle qualité rigoureux. Pour garantir la fiabilité de ses modèles, Demex applique une approche de « hindcasting », testant ses prédictions sur des événements passés avant de les utiliser en situation réelle.
L’éthique et l’équité de l’IA climatique
Jess Reia, professeure adjointe à la School of Data Science de l’université de Virginie, a offert une perspective critique sur l’utilisation éthique de l’IA dans l’adaptation au changement climatique. « Pour lutter contre la crise climatique, les systèmes d’IA doivent reposer sur des données ouvertes et fiables, et les humains ont besoin de mécanismes de transparence solides », a-t-elle souligné. Elle a averti que les biais algorithmiques et la prise de décision descendante pourraient exacerber les inégalités si les modèles ne sont pas conçus et déployés avec soin.
« Les systèmes d’IA jouent un rôle clé dans la gouvernance urbaine et l’atténuation du changement climatique », a ajouté Mme Reia. « Ils offrent des solutions à des défis complexes, mais peuvent aussi contribuer aux problèmes. Les questions d’équité, de responsabilité et de conception inclusive doivent absolument faire partie du débat sur l’IA climatique. »
L’empreinte énergétique de l’IA et des centres de données
L’ironie n’échappe à personne : les outils d’IA qui aident à résoudre les défis climatiques sont eux-mêmes gourmands en énergie. Les centres de données qui alimentent les modèles d’apprentissage automatique se multiplient, entraînant une consommation d’énergie de plus en plus insoutenable.
Cependant, l’IA joue également un rôle dans l’amélioration de l’efficacité énergétique des centres de données et des bâtiments, en optimisant la gestion des charges, en prédisant la demande et en réduisant les gaspillages. Mais comme l’a souligné M. Marathe, « si des changements significatifs ne sont pas apportés, l’augmentation de la consommation d’énergie risque de ne pas être compensée ».
Face à cette situation, certaines autorités américaines locales, notamment en Virginie, étudient actuellement des politiques pour limiter la consommation énergétique des centres de données, afin de préserver la stabilité du réseau et garantir l’accès aux services pour la communauté.
L’IA et le changement climatique : la voie à suivre
À mesure que l’IA s’intègre dans nos stratégies de planification, d’assurance et de gestion des risques climatiques, son potentiel à accélérer l’adaptation et la résilience face au changement climatique devient de plus en plus manifeste. Ce qui est désormais nécessaire, c’est une conception réfléchie, inclusive, et une gestion responsable de l’énergie.
Chris Mooney, le journaliste qui a reçu un prix Pulitzer et qui a animé le débat à l’université de Virginie, a posé une question clé : « Sommes-nous parvenus au point où nous pouvons modéliser une façon d’éviter une catastrophe future ? »
Les membres du panel ont répondu avec un optimisme mesuré, tout en soulignant de solides avertissements. « Au fond, il s’agit de systèmes coévolutifs », a expliqué M. Marathe. « La compréhension humaine des phénomènes peut entraîner des actions capables d’influencer le système. »
L’IA transforme la prévision du changement climatique. Avec l’implication humaine, les garanties appropriées, et une priorité donnée à la transparence et à l’équité, l’IA pourrait devenir notre alliée la plus puissante dans la lutte contre le changement climatique.
Une contribution de Heather Wishart-Smith pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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