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Claude Calmon (Calmon Partners) : « Il ne faut pas être entrepreneur pour lever de l’argent mais pour créer de l’emploi et un produit adapté à son marché »

Claude Calmon, fondateur de Calmon Partners Group et business angel
Claude Calmon, fondateur de Calmon Partners Group et business angel

La French Tech traverse depuis plus de deux ans une crise des financements en capital-risque. Un contexte qui signe un « retour à la raison » pour les start-up qui doivent s’adapter pour espérer assurer la pérennité de leur activité. L’occasion pour Claude Calmon, fondateur de Calmon Partners Group et business angel, d’offrir plusieurs conseils et directives aux entrepreneurs.

 

Comment expliquer cette contraction des investissements dans les start-up ?

Nous avons connu un boom d’investissements et de recrutements dans la tech jusqu’en 2021. Mais la crise économique post-Covid a provoqué une hausse des taux qui n’a plus permis de se financer « quasi gratuitement ». Il suffisait d’une bonne idée pour lever en amorçage et beaucoup de start-up ont ensuite eu du mal à retrouver un bon niveau d’activité et ont survécu grâce à des aides comme le PGE (Prêt garanti par l’État). Sur le fond, c’était une bonne idée mais avec du recul c’est devenu un caillou dans la chaussure des start-up qui n’arrivent encore aujourd’hui plus à se refinancer.

Ces dernières avaient pour habitude de lever fréquemment sans se fixer des objectifs de rentabilité à moyen et court terme. Tant que de nouveaux tours de table – ou bien des exit – étaient assurés, la machine pouvait continuer de tourner. Puis, elle s’est enrayée car les fonds d’investissement ne pouvaient plus emprunter avec un bénéfice plus important que le coût de la dette.

Dans ce contexte, les fonds ont fait le tri dans leur portefeuille et les business angels – qui avaient l’habitude de sortir assez rapidement – se sont retrouvés coincés avec leurs participations et donc avec de moins en moins de cash pour réinvestir. Ainsi, les start-up ont été tenues du jour au lendemain d’apporter la preuve que leur crise de trésorerie peut être surmontée avec un plan rapide de retour à la rentabilité. Évidemment, il reste des exceptions comme le secteur autour de l’intelligence artificielle (IA) par exemple, mais la grande majorité du reste du marché est soumis à ces nouvelles contraintes.

« Le plus important reste d’arriver avec un produit qui a trouvé son marché. Cela paraît évident dit comme ça mais cela s’est perdu ces dernières années. »

 

Certains parlent d’un retour à la raison et aux valorisations plus saines… Êtes-vous d’accord ?

Il y a effectivement un mouvement naturel vers un rééquilibrage des pratiques. Si vous ne réalisez pas aujourd’hui un minimum d’un million de chiffre d’affaires et si votre produit n’est pas adéquat avec son marché, ce sera presque impossible de lever – en tout cas lors des séries A et au-delà. Bien sûr, des projets complexes en deeptech ou en cybersécurité vont nécessiter beaucoup d’argent pendant une période véritablement longue mais il faut montrer quelques signes encourageants de rentabilité.

Sur l’IA encore une fois, les méga levées récentes sont des exceptions et on peut se demander si les start-up en question représentent vraiment cette valeur. C’est un effet FOMO (« Fear Of Missing Out ») qui est assez connu quand un secteur d’investissement prend de l’ampleur. Il y aura forcément des plantages car certains modèles se font faussement passer pour de l’IA et nous avons vu des levées de dizaines de millions d’euros pour des start-up qui n’auraient jamais dû voir le jour.

Une autre tendance est à noter : on voit de plus en plus de fonds revenir sur des sujets moins attrayants dans le tissu français des PME et ETI régionales. Ces entreprises font moins vibrer l’écosystème parisien mais elles ont le mérite d’être robustes et d’être familiales – donc avec une logique de transmission sur le long terme.

 

Lors du salon Vivatech de 2022, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire avait annoncé l’objectif de créer 100 licornes et 10 « décacornes » d’ici 2030… Cet objectif vous paraît-il toujours réaliste aujourd’hui ?

Nous avons réalisé ces dernières années des méga levées qui ont permis un rattrapage de la France par rapport au Royaume-Uni ou même un dépassement par rapport à l’Allemagne sur le marché du capital-risque. Mais ces milliards levés pendant les belles années de la French Tech ont surtout profité à une poignée de grands acteurs. Ainsi, l’objectif ambitieux de la France en termes de licornes reste à mon sens surtout de la communication pour attirer les investisseurs à l’international ; et cela semble avoir fonctionné.

Mais quelle est la logique économique derrière cet objectif de 500 licornes d’ici 2030 ? Ce chiffre donné est arbitraire et ne prend pas réellement en compte la réalité économique. Je suis pour ma part convaincu que courir après des valorisations est le meilleur moyen de se planter car cela implique de lever trop de fonds et trop vite. Et surtout, si les business model en cause ont besoin de lever régulièrement des fonds pour survivre, ce n’est manifestement pas résilient au vu du contexte.

 

Que doit prioriser l’entrepreneur pour convaincre les investisseurs qui sont en ce moment particulièrement frileux ?

Tout dépend le niveau de développement de l’entreprise en question. Mais je dirais que le plus important reste d’arriver avec un produit qui a trouvé son marché. Cela paraît évident dit comme ça mais cela s’est perdu ces dernières années. Évidemment, ce n’est pas possible d’être rentable dès le début mais il faut toutefois rassurer ses investisseurs avec un scénario crédible permettant à moyen ou long terme d’atteindre la rentabilité. En complément, les investisseurs sont aussi plus regardants sur la gestion de la trésorerie de la start-up. Même des boîtes de renom sont tenues de faire attention à leurs dépenses.

Le sujet de l’entrepreneuriat est devenu extrêmement sexy auprès des jeunes diplômés, notamment avec cette perspective de pouvoir lever rapidement des millions et espérer un exit permettant de devenir riche. Mais ce n’est pas la réalité car une entreprise se tient sur le long terme et si une crise des financements comme celle que nous traversons survient, il faut être prêt à renégocier sa dette pour payer ses salariés.

Cet effet de mode reste pour autant très bénéfique pour attirer des talents dans l’entrepreneuriat. Néanmoins, il ne faut pas devenir entrepreneur pour lever de l’argent mais pour créer de l’emploi et un produit adapté à son marché. Le but n’est pas non plus de décourager les aspirants entrepreneurs mais il serait bon ton de mettre en valeur les bonnes raisons de se lancer et rappeler que l’entrepreneuriat c’est aussi de la gestion de prestataires ou encore de dossiers administratifs assez fastidieux.

 

Quels conseils donner aux entrepreneurs qui s’entêtent malgré un assèchement dangereux de leur trésorerie et des perspectives de levées limitées ?

Quand on y met son cœur et sa vie, il est très difficile d’avouer l’échec et mettre la clé sous la porte. Ce n’est pas une issue naturelle et en général l’entrepreneur cherche toujours à faire pivoter son business pour trouver un modèle plus viable.

Néanmoins, il n’y a rien de pire que l’entêtement et c’est bien là que le scénario peut virer au drame, notamment quand il ne peut plus assumer ses dépenses et qu’il repousse le paiement de ses charges sociales par exemple. Éventuellement, il peut espérer un bridge défensif pour obtenir une bouffée d’air, mais le modèle sera-t-il pour autant rentable après ça ?

D’autres alternatives existent comme le fait de vendre sa R&D auprès de grands groupes ou de start-up. C’est un plan de sortir très intéressant à avoir en tête même si rien n’est garanti au vu du contexte. Pour éviter ce scénario catastrophe, il faut donc à tout prix en finir avec cette idée de pouvoir devenir riche en quelques années mais plutôt favoriser la construction d’un modèle sain et adapté sur le court, moyen et long terme.


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