Chaque CES met en avant son lot d’innovations, qui, bien sûr, ne résisteront pas toutes à l’épreuve du temps. Cependant les grandes thématiques dévoilées se sont souvent avérées pérennes. On se souviendra des drones qui couvraient tout un étage du CES 2016, des voitures autonomes en 2017 ou encore des assistants vocaux en 2018. Chacune de ces technologies est maintenant sur des rails, avec des échéances plus ou moins rapprochées, certes, mais au pouvoir de disruption certain.
Paradoxalement presque, ces innovations à forte capacité de transformation ne sont pas à chercher à l’Eureka Park, la zone des start-up au CES. Dommage, car la French Tech y a brillamment atteint le rang de premier exposant. Mais il faut passer à l’échelle, et chercher dans les autres allées du CES les signes des technologies assez mûres pour « renverser la table ».
D’ailleurs, ces technologies ne renversent pas que la table du « Consumer Electronics ».
Les technologies digitales ont en effet pour propriété d’installer des changements de paradigme qui vont au-delà des secteurs industriels qu’elles transforment de prime abord. En ce sens, tout acteur économique devrait y envoyer son patron de la prospective, à même d’inférer, en parcourant les 4500 stands, les prochaines vagues qui vont durablement modifier son secteur d’activité, pour s’y préparer au mieux.
Car on touche maintenant à la quatrième transformation digitale : les collaborateurs ont été les premiers concernés dès les années 1990 et l’informatique personnelle, puis la relation client à partir des années 2000 et Internet, avant celle des process à partir des années 2010 et l’IoT mariée à l’IA. La décennie qui s’annonce verra – voit déjà – le bouleversement de l’offre de produits et services de chaque entreprise. Parce qu’on travaille maintenant en écosystèmes, qui ont deux caractéristiques : la première est qu’ils épousent partout les tendances initiées isolément.
Un seul exemple : l’« entreprise plateforme », mise à la mode par Amazon, Uber, AirBnB et quelques autres, devient l’alpha et l’omega de toute stratégie digitale, quel que soit le secteur. La seconde est qu’ils bousculent en permanence les chaînes de valeur où chacun cherche le maillon le plus rentable au regard de son ADN. Un seul exemple là aussi : le fabricant de voiture achète habituellement les technologies à des équipementiers, mais c’est Waymo, développeur de technologie de véhicule autonome, qui achète des voitures (62 000 à Fiat Chrysler et 20 000 à Jaguar) pour son service de mobilité autonome. La « disruption » comme dans les livres…
Alors, quels indices nous livre la session 2019 du CES pour les – toutes – prochaines années ?
La première tendance qui saute aux yeux est la présence des robots, partout. Ils ne sont pas encore plus nombreux que les visiteurs, mais leur performance démontrée atteste de leur maturité : partenaires de ping-pong ou de boxe, porteurs de charges diverses, majordomes capables de saisir et d’apporter sans encombre des cannettes de bière, compagnons qui lisent nos émotions, écrivains ou dessinateurs, mobiles et habiles, et surtout autonomes : logiques héritiers de la mécanisation du 19ème siècle, ils nous aident au plus près de nos capacités. Et s’ils représentaient bientôt une part significative des futurs clients des entreprises ?
Objectivement, la commande d’un nouveau paquet de lessive par l’appui sur un dash-button pourrait très bien être générée directement, et plus efficacement, par le lave-linge lui-même (ce que fait d’ailleurs Whirlpool avec Amazon). Il faut imaginer les robots autonomes comme de prochains acteurs économiques à part entière, et en tenir compte dans sa stratégie, quel que soit son secteur d’activité.
La seconde tendance apparaît au détour des zones sport, fitness et santé. Quand un simple miroir nous indique notre rythme cardiaque ou nos émotions. Quand un peu de salive nous permet de recevoir par email notre analyse ADN avec identification de quelques-uns de nos risques de santé (avec une hôtesse qui insiste sur la saisie d’un email personnel), quand les analyses de sang se font à la maison, quand nos lunettes nous décrivent le monde qui nous entoure, quand notre montre peut prendre notre tension, quand une bague peut remplacer notre carte de crédit et nos clés, quand un bandeau nous aide à gérer nos ondes cérébrales pour mieux dormir, quand nos paroles sont traduites en temps quasi réel pour faciliter les échanges avec un étranger : la technologie devient notre intime, que nous la portions ou qu’elle nous entoure.
Et comme ces systèmes ne sont en général intelligents qu’à la mesure de ce qu’ils transmettent dans le cloud, on touche très vite à la limite de la protection des données personnelles : ces objets vont alimenter en temps réel notre « jumeau digital », qui va intéresser bien sûr les commerçants, ce qui ne pose de problème à personne, mais aussi les partis politiques, ce qui va gêner les Occidentaux, et enfin les assureurs, ce qui peut amener une remise en cause brutale et profonde : La société des hommes mutualise les risques imprévisibles. Va-t-elle se déliter à mesure que l’imprévisible se réduit ?
Nous n’avons cependant pas tous envie de nous exposer, même aux Etats-Unis, où Apple communiquait sur le Strip : « ce qui est dans votre iPhone reste dans votre iPhone ». Cependant, au-delà de sa problématique « juge et partie » (qui le croit ?), ça laisse quand même 1 milliard et demi d’humains sous Android, qui a besoin de connaître vos données pour « améliorer le service rendu ». Face au risque, a minima de perception, il faut probablement s’attendre à la montée en puissance des dispositifs de protection crédibles (comme le « capuchon » qui rend sourd les assistants vocaux) et donc penser à se passer du cloud. Surtout pour des objets toujours connectés. Et se souvenir que la donnée privée, si on y est sensible quand elle touche notre santé, concerne également la donnée industrielle.
Enfin, s’il fallait voir une non-tendance au CES cette année, ce serait celle des villes intelligentes : dans la zone qui leur est réservée tout au nord du Convention Center, les allées y sont les moins animées du salon et les stands les moins nombreux. Dans une ambiance et des posters qui ressemblent à s’y méprendre à ceux de l’année précédente. Ces signes disent surtout une chose : la ville se transforme malgré elle, presqu’inconsciemment, et en tous cas loin du leadership des élus : il faudra en chercher les tendances chez les nombreux constructeurs automobiles qui voient dans les magasins mobiles un débouché rapide des technologies de conduite autonome (Toyota, Hyundai, Ford, …).
Chez les innombrables propositions de mobilité personnelle (de la valise électrique à la plaque à roulette) qui visent à détrôner la voiture, mais aussi par effet rebond les transports publics ; en parcourant les allées achalandées des zones « smart home » et « entertainment », qui promettent un domicile que l’on n’aurait plus besoin de quitter : de la commande (dash button, cabine d’essayage virtuelle….) et livraison sans couture (Amazon/Key) de tous produits à la cuisine ultra efficace et source de plaisir, en passant par le spectacle sur des écrans toujours plus grands, des expositions sur des tableaux connectés, l’accès au monde extérieur « à la voix » , que ce soit celle d’Alexa, de Google, mais aussi de Bixby (Samsung), DuerOS (Baïdu), Xiao AI (Xiaomi) ou Xiaowei (Tencent), la baignoire qui vous met en lévitation (Toto), le jardin automatique intérieur, et bien sûr la gestion toujours plus précise des « utilités » eau et énergie, voire déchets, les domaines pourtant régaliens des territoires.
Même l’air sera plus pur à la maison, voire aromatisé, et les bruits seront atténués. On ne reviendra pas sur les robots compagnons, qui vont personnifier ces maisons et en améliorer le confort, voire qui vous applaudissent (sic !) quand vous rentrez à la maison, ni sur le suivi de sa santé de chez soi.
Chacun se trouve ainsi à l’intersection de plusieurs communautés technologiques qui visent à « améliorer nos vies » (« Enhancing your life » et ses déclinaisons étaient le moto le plus affiché sur les stands). Le message subliminal ultime de cette civilisation algorithmique en est peut-être l’une de ses marques présentes au CES : « 37°C Smart Home », ou la régression radicale.
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