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Bourse-Finances | Enjeux et perspectives pour les cryptomonnaies et la blockchain

Le secteur bancaire : une chance pour les Cryptomonnaies

Comme tous les domaines de la vie des citoyens et de celle des entreprises, la transition numérique, démarrée à la fin du 20ème siècle, a engendré des évolutions structurantes du monde bancaire.

 

Cette transition, initialement marquée par la rupture engendrée par le développement à grande échelle et l’accroissement à grande vitesse des capacités de l’internet fixe et mobile, est loin d’être achevée. Un grand nombre d’innovations technologiques plus ou moins matures aujourd’hui sont susceptibles d’entraîner dans un futur proche de nouvelles révolutions avec un impact significatif sur différents pans d’activité du monde bancaire, que ce soit en termes de produits gérés, de modes de commercialisation ou de processus de traitement.

 

Parmi ces évolutions technologiques, celles qui se basent sur la blockchain et sur le développement de l’intelligence artificielle (IA) présentent probablement le potentiel de disruption le plus important. L’actualité récente concernant ces deux technologies a toutefois été pour le moins contrastée. Si avec l’IA conversationnelle ChatGPT, premier outil donnant au grand public une vision concrète de la puissance de cette technologie, l’IA bénéficie d’un buzz mondial et globalement positif, la blockchain en général, et son utilisation la plus populaire – les cryptomonnaies en particulier, ont vu leur image ternie par la série de scandales qui ont touché certains acteurs de « l’écosystème crypto » depuis le second semestre 2022.   

 

Dans ce contexte, l’objectif sera ici de faire un focus sur les technologies basées sur les blockchains et d’envisager les conséquences que les éléments mis en lumière par l’actualité récente pourraient avoir sur les usages potentiels qui pourraient en être faits dans le monde bancaire. Plus généralement, un point sera effectué sur les initiatives conduites par différents acteurs (banques commerciales, banque centrales, clearers / custodians …) pour le déploiement de ces technologies dans les domaines des paiements et des activités de marché.

 

Tout d’abord, la blockchain (ou chaîne de blocs) peut être schématiquement définie comme une gestion décentralisée, n’impliquant pas de tiers de confiance, de l’information qui y est stockée, ceci via la mise en œuvre de techniques cryptographiques permettant à chaque acteur intervenant sur la chaîne de garantir l’intégrité de l’ensemble de ces informations. Une blockchain est souvent associée à une cryptomonnaie : celle-ci, créée et gérée sur la blockchain, permet souvent de rémunérer les intervenants qui consacrent des ressources informatiques pour y contrôler l’intégrité des données. Mais dans la pratique son utilisation peut être étendue à la rémunération de toute prestation ou échange réalisés sur la blockchain ou en dehors de celle-ci. La plus célèbre des cryptomonnaies, le bitcoin, est ainsi gérée via une blockchain permettant de créer ces bitcoins et d’assurer un système de vérification permanent des informations qui y sont stockées.

 

Ce « monde crypto » a récemment basculé. Il a en effet connu depuis mi-2022 des remous aux conséquences importantes sur la crédibilité de ces nouveaux actifs. Parmi les scandales retentissants ayant émaillé l’actualité, on peut en particulier citer :

  • d’abord l’effondrement en mai 2022 de la valeur du stablecoin TerraUSD de la plateforme Terra / Luna,
  • en juillet 2022, la faillite du hedge fund spécialisé dans les cryptomonnaies, Three Arrows, entrainant par ricochet d’énormes difficultés voire la faillite d’autres acteurs de l’écosystème crypto,
  • en juillet 2022 également, Celsius Network (qui effectuait notamment des opérations de prêt / emprunt de cryptomonnaies) s’est déclaré en faillite.
  • C’est toutefois en novembre 2022 que l’écosystème des cryptomonnaies tout entier a basculé avec la faillite totalement inattendue d’un de ses principaux acteurs, la plateforme FTX, qui a entrainé dans la foulée celles des plateformes Genesis et BlockFi.

 

Déjà historiquement caractérisées par une extrême volatilité de leurs cours, les cryptomonnaies sont donc désormais considérées par un nombre croissant d’acteurs du monde financier comme des instruments purement spéculatifs, gérés dans un écosystème peu ou mal contrôlé et générant un risque élevé d’utilisation abusive voire frauduleuse. 

 

Pour adresser ces questions ainsi que d’autres aspects problématiques tels que la prise en compte des risques de crédit et le contrôle de la manipulation des cours, les régulateurs d’un grand nombre de pays (Etats-Unis, Europe et Royaume-Uni) ont ainsi annoncé sans surprise une accélération des projets de mise en œuvre de règlementations ayant pour objectifs d’encadrer les activités d’émission, de conservation, de trading et de commercialisation des cryptomonnaies. On peut souligner, par exemple, dans une approche relativement similaire à celle mise en œuvre pour l’encadrement et le contrôle des activités des acteurs du monde bancaire, la mise en place de procédures d’agrément par les régulateurs et le renforcement des obligations en termes de KYC (Know Your Customer) ou de lutte contre le blanchiment.

 

C’est dans ce contexte agité que des projets visant une utilisation des technologies de type blockchain par des acteurs plus institutionnels sont actuellement à l’étude, notamment le développement par des banques centrales de devises numériques (Central Bank Digital Currency ou CBDC) ou, à un niveau privé, la mise en œuvre par les banques commerciales d’environnements de type blockchain pour la conduite des opérations post marché (règlement-livraison de titres par exemple).

 

Une monnaie numérique de banque centrale est une unité de compte nativement dématérialisée dont la valeur est strictement équivalente à celle de la monnaie classique émise par la banque centrale concernée, par exemple sous forme de pièces ou de billets. Ainsi un hypothétique Euro numérique de banque centrale stocké dans un portefeuille numérique aurait donc exactement la même valeur qu’une pièce d’un Euro. Les trois principaux objectifs visés par ce type d’initiatives sont assez bien perçus : accroître la rapidité et réduire les coûts des transactions de paiement (notamment transfrontalières), développer des solutions de paiement instantané disponibles 24H/24 et 7J/7 et enfin développer des solutions de paiement alternatives au cash et utilisables par des personnes défavorisées ou ayant du mal à accéder au système bancaire traditionnel.

 

On compte 11 CBDC opérationnelles[1], 21 sont en phase pilote et une trentaine en phase de développement ou de recherche[2]. Les solutions technologiques sous-jacentes sont soit totalement basées sur de la Distributed Ledger Technology (DLT) ExBlockchain soit sur des solutions plus classiques ou hybrides. En Europe, un premier rapport sur l’opportunité de lancer un Euro numérique a été publié sous l’égide de la BCE en octobre 2020 et une phase d’étude a été formellement lancée en octobre 2021 avec pour objectif de définir ses fonctionnalités et usages prioritaires. Les conclusions de cette étude, rendues publiques le 18 octobre 2023, sont les suivantes : l’Euro numérique pourrait dans un premier temps être utilisé pour des opérations entre particuliers, dans des points de vente physiques, en ligne ainsi que pour des transactions avec des administrations publiques de la zone Euro et il serait disponible via les applications bancaires classiques ainsi que via une autre application directement reliée à l’Eurosystème. Ces choix s’orientent donc certainement vers une utilisation de l’Euro numérique centrée sur la clientèle retail, l’étude précisant notamment que les paiements hors ligne et les paiements de personne à personne au sein de la zone Euro sont perçus comme des fonctionnalités potentielles très appréciées. En définissant ces grandes orientations qui cadrent et limitent le périmètre d’utilisation d’un éventuel Euro numérique tout en accordant aux banques et intermédiaires financiers agréés un rôle prépondérant dans sa gestion opérationnelle, la BCE vise donc à permettre la poursuite du projet tout en limitant le risque de voir émerger un système trop décentralisé de la gestion des données et des transactions pouvant conduire, par exemple, à des perturbations dans l’efficacité de la transmission de la politique monétaire, à une impossibilité de conduire des processus de contrôles clés sur les plans KYC ou AML (Anti-Money Laundering), voire à une augmentation du risque de « bank run » en situation de crise.

 

Compte tenu du cadre relativement contraint et limitatif qui semble émerger des réflexions de la BCE, de nombreux spécialistes des cryptomonnaies et de la blockchain s’interrogent toutefois sur la réelle valeur ajoutée d’un tel Euro numérique dans les cas d’usage actuellement envisagés et se demandent si, au fond, une utilisation des technologies de type blockchain centrée sur la filière titre ne serait pas plus efficiente.

 

Les arguments en faveur de ces technologies pour la filière titres ne manquent pas et de nombreux tests ont été effectués au cours des dernières années afin de valider la possibilité de gérer des émissions et règlement livraison de titres « tokenisés » via des DLT/Blockchain.

 

Les impacts économiques positifs seraient nombreux, la tokenisation, avec son épine dorsale – la blockchain, permettrait d’améliorer la rapidité et la fiabilité des mécanismes de règlement / livraison et in fine de réduire des coûts de traitement opérationnel dont une large part correspond actuellement aux différentes tâches nécessaires à la gestion des « matching » d’instructions et résolutions de suspens. En améliorant la sécurité des transactions et en réduisant ainsi le risque de fraude, cette technologie renforcerait la confiance des investisseurs. L’interconnexion entre les différents marchés mondiaux, actuellement très complexe, serait également plus aisée. En somme, en accroissant la rentabilité des intermédiaires financiers concernés tout en ouvrant la porte à de nouveaux modèles commerciaux et à de nouvelles opportunités d’investissement, cette technologie accroîtrait l’efficience des marchés financiers et renforcerait donc le potentiel de croissance économique.

 

Parmi les tests réalisés afin de valider la faisabilité technique de ce type de dispositifs, on peut citer à titre d’exemple celui coordonné par Forge, filiale de la Société Générale spécialisée dans les crypto assets, qui a procédé en 2020 à l’émission d’un covered bond[3] sur une blockchain et a participé en 2021 à l’émission par la Banque Européenne d’Investissement (BEI)  d’une obligation tokenisée[4] dont le règlement-livraison est effectué sur une blockchain publique contre une CBDC émise à titre expérimental par la Banque de France. En novembre 2022, la BEI a procédé à une deuxième émission d’obligations digitales, cette fois-ci sur une blockchain privée, avec un dénouement le jour même[5] et un listing sur le Luxembourg Stock Exchange. Un autre test impliquant de nombreux acteurs (dont la Banque de France et l’Agence France Trésor) et couvrant un large spectre de fonctionnalités a également été réalisé en octobre 2021 via une permissioned blockchain[6] et a permis de valider la faisabilité et l’efficacité de cette technologie dans le traitement d’une émission d’OAT tokénisée et dénouée là aussi contre une CBDC expérimentale émise par la BDF : en plus de l’émission initiale et de sa distribution aux SVT[7] participant au test, des achats / ventes en secondaire, des opérations de repo et d’auto collatéralisation, des paiements de coupons et des tests de gestion des suspens de règlement-livraison[8] ont été réalisés, avec des résultats très positifs faisant envisager des perspectives prometteuses en matière de réduction des coûts et des délais des différents processus étudiés.  D’autres tests de plus ou moins grande ampleur continuent à être réalisés périodiquement, par de plus en plus d’acteurs qui souhaitent tous développer une expertise afin d’être prêts en cas de déploiement effectif de ce type de technologies sur le périmètre des activités post-marché.

 

Certes, nous en sommes encore à des phases d’expérimentation, et il faut avoir en tête certains échecs récents. Un certain nombre de projets visant à implémenter des infrastructures de type blockchain pour la gestion de processus post-marché ont ainsi été récemment abandonnés après constatation de leur manque de viabilité technique et/ou financière. we.trade, un projet conduit par un consortium de douze banques et visant à implémenter une solution de type blockchain dans le domaine de la trade finance, a été stoppé en juin 2022. Dans la foulée, en juillet 2022, c’était au tour de B3i de se déclarer en faillite et de stopper son activité : ce projet, conduit par un groupe de quinze compagnies d’assurance et de réassurance, visait à développer une solution d’optimisation des processus de paiement de prime et de remboursements associés aux contrats d’assurance via l’utilisation de smart contracts gérés sur une blockchain. Enfin, en novembre 2022, ASX Settlement, entité en charge du règlement livraison des titres traités sur la bourse australienne ASX, a annoncé (après 7 ans de développement et plus de 150 millions d’euros de dépenses) l’arrêt d’un projet de plateforme de clearing basée sur une blockchain.

 

S’il ne faut pas tirer de conclusion hâtive et générique de ces échecs, ils démontrent néanmoins la difficulté que peut représenter le déploiement d’une nouvelle technologie hautement disruptive pour remplacer des infrastructures quelquefois datées sur le plan technique mais assurant généralement de façon robuste les processus complexes mis en œuvre dans des traitements post-marché impliquant de nombreux d’acteurs, des volumes très importants et la gestion d’une grande variété de types d’opérations. Par ailleurs, même si cela peut sembler paradoxal de prime abord, certaines évolutions permises sur le plan technique par les DLT/blockchain ne sont pas forcément toutes adaptées aux différents processus de gestion déployés par les banques pour la gestion de leurs opérations et ressources : à titre d’exemple, on peut ainsi noter que la gestion de la liquidité, domaine crucial s’il en est pour une banque, est un processus qui nécessite un minimum d’anticipation des besoins et n’est donc pas forcément compatible avec le traitement quasi instantané des règlements-livraisons qu’il serait techniquement possible d’implémenter sur des plateformes de type DLT / blockchain.

 

Encore plus que pour d’autres types de projets, une évaluation précise de la capacité pour une plateforme DLT/blockchain de gérer de façon industrielle des traitements et processus post-marché préalablement validés en environnement de test sera donc indispensable avant tout déploiement à grande échelle de ces technologies.

 

 

Si les différents bémols évoqués ci-dessus incitent à une approche prudente des différents projets de CBDC et de tokenisation des actifs financiers actuellement en cours, il n’en reste pas moins que l’on peut raisonnablement rester optimiste quant aux bénéfices que ceux-ci pourront apporter à l’écosystème financier. En effet, le développement de ces nouvelles technologies pourra probablement engendrer des progrès concrets, directs ou indirects, du monde bancaire et financier en général :

 

  • Progrès directs dans la mesure où il est probable que ces technologies pourront trouver à relativement court terme des applications qui leur sont particulièrement adaptées sur des activités financières spécifiques.
  • Progrès indirects dans la mesure où l’émergence de ces technologies servira a minima « d’aiguillon » en incitant les banques à sortir de leur zone de confort dans certains domaines pour lesquels peu d’évolutions en termes de coûts ou de fonctionnalités ont été réalisés depuis de nombreuses années. De la même manière que la crise Covid a rendu possible en un laps de temps très court l’émergence de projets dont la mise en œuvre semblait jusqu’alors très (voire trop) coûteuse ou complexe (l’acceptation de plus en plus large et pour des montants de plus en plus faibles des paiements par carte bancaire par exemple), des évolutions en termes de paiements instantanés ou des améliorations (en termes de coûts ou de délai) des conditions dans lesquelles sont effectués les paiements transfrontaliers sont ainsi probablement également envisageables sans révolution technologique majeure.

 

Une approche pragmatique de ces évolutions technologiques permettra ainsi idéalement d’avoir le meilleur des deux mondes en identifiant les usages (existants ou nouveaux) pour lesquels elles présentent une valeur ajoutée significative et ceux pour lesquels les améliorations ou innovations qu’elles permettent seraient envisageables moyennant des adaptations et évolutions des technologies et infrastructures existantes.

C’est donc un chemin sinueux qui s’annonce : la mise en place d’un Euro Numérique pose beaucoup de questions qui devront trouver réponse, afin de structurer ce marché du futur de façon optimale et sécurisée pour tous ses utilisateurs, que ce soit les acteurs techniques traditionnels ou innovants (par exemple les systèmes de paiement ou de règlement / livraison de titres), les banques centrales et commerciales ou les particuliers.

 

Plus particulièrement, pour les banques commerciales, les impacts pourraient s’avérer majeurs et concerner aussi bien leurs rôles que leurs organisations, locales et globales, ainsi que les Target Operating Models  des différents métiers qui les composent et les infrastructures informatiques qui les soutiennent aujourd’hui.

 

Cet article a été écrit avec la Contribution de la practice BFI représentée par Gwenn Le Pavic

 

[1] Par exemple au Nigéria, où le taux de bancarisation est faible (e-Naira basé sur une permissioned DLT, i.e. une DLT accessible à un nombre limité d’intervenants autorisés) et dans des pays de la zone Caraïbes tels que les Bahamas, https://fr.cointelegraph.com/news/blockchain-would-prevent-nigeria-naira-scarcity-effects-local-experts.

[2] www.atlanticcouncil.org

[3] Obligations collatéralisées par un pool d’actifs de très bonne qualité.

[4] Gérée sous forme de jeton numérique.

[5] Alors que le standard de marché actuel est un règlement-livraison en deux jours ouvrés (« J+2 ») après la réalisation d’une transaction.

[6] Chaîne de blocs dont l’accès est réservé à un certain nombre d’acteurs autorisés et dont les rôles sur la chaîne sont clairement définis.

[7] Spécialistes en Valeurs du Trésor, groupe de banques agréées pour procéder à l’achat des OAT sur le marché primaire.

[8] Opérations non dénouées en raison de soucis au niveau de la réconciliation entre les ordres transmis par les deux contreparties.

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