Rechercher

Avec le lancement de New Glenn, Jeff Bezos veut briser la mainmise d’Elon Musk sur l’espace

jeff bezos
Jeff Bezos, le fondateur de Blue Origin. | Source : Getty Images

La fusée lourde du milliardaire d’Amazon, Jeff Bezos, est sur le point d’effectuer son premier vol spatial. En cas de réussite, cette fusée offrira aux opérateurs de satellites et au Pentagone une alternative à SpaceX, un souhait de longue date, et ce à moindre coût, révèle Forbes.

Article de Jeremy Bogaisky pour Forbes US

 

En 2021, Elon Musk s’est moqué de la lenteur de son rival, la société Blue Origin de Jeff Bezos, à lancer une fusée dans l’espace. Il a écrit sur Twitter : « Impossible de (l’)envoyer en l’air, LOL ».

Aujourd’hui, près de 25 ans après la création de la société par Jeff Bezos, Blue Origin est sur le point de riposter. Sa puissante fusée New Glenn se trouve au centre spatial Kennedy de Floride en vue de son lancement inaugural, qui pourrait avoir lieu dès lundi 13 janvier.

De nombreux acteurs de l’industrie spatiale et du gouvernement américain se réjouissent de son succès et de la fin du quasi-monopole de SpaceX sur la mise en orbite des satellites américains.

« L’industrie spatiale aime avoir le choix », explique Caleb Henry, analyste chez Quilty Space. « Et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il n’y a que SpaceX. » Et Blue Origin vend des lancements à un prix par satellite nettement plus abordable que celui de SpaceX, a déclaré un ancien employé à Forbes.

Cette tentative de lancement intervient moins de deux semaines avant le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Au cours de son premier mandat, l’ancien président américain a attaqué Jeff Bezos à propos d’une couverture négative dans le Washington Post, dont le milliardaire est propriétaire. Aujourd’hui, Donald Trump, avec Elon Musk comme bras droit, promet un bouleversement des dépenses publiques et de la réglementation qui pourrait faire pencher la balance du côté de l’industrie spatiale commerciale… et menacer certains des contrats publics de Blue Origin !

 

Le lièvre et la tortue

Jeff Bezos a positionné Blue Origin comme l’alternative plus lente et régulière à l’éthique de SpaceX, qui consiste à « aller vite et échouer rapidement ». Sa devise est « gradatim ferociter », ce qui signifie en latin « pas à pas, férocement », et son logo représente deux tortues. Jusqu’à présent, la tortue a été battue à plate couture par le lièvre de SpaceX.

Au cours de la dernière décennie, SpaceX a porté sa cadence de lancement à des niveaux sans précédent, tandis que ses concurrents étaient largement mis à l’écart. Les anciens poids lourds du lancement spatial (United Launch Alliance, une coentreprise de Boeing et Lockheed Martin, et l’entreprise européenne Arianespace) ont dû faire face à des retards dans le développement de nouvelles fusées, et les sanctions occidentales ont éliminé les fusées russes de leur liste d’options.

Les fusées Falcon de SpaceX ont propulsé des marchandises en orbite 133 fois en 2024, avec un seul échec, soit la grande majorité des 145 lancements tentés aux États-Unis l’année dernière et plus de la moitié des 263 dans le monde, selon le traqueur d’activités spatiales Jonathan McDowell.

Cependant, la fusée New Glenn, annoncée pour la première fois en 2016, promet d’être un concurrent féroce. Comme le Falcon 9 de SpaceX, il s’agit d’un engin de transport lourd à deux étages, dont le premier est conçu pour revenir sur terre afin d’être réutilisé. Cependant, selon Blue Origin, un cône de nez plus large permet à la fusée de disposer d’un volume de chargement deux fois plus important que celui de Falcon 9, et ses puissants moteurs sont conçus pour propulser une masse de charge utile deux fois plus importante.

Selon un ancien employé qui travaille aujourd’hui pour un concurrent et qui a parlé à Forbes sous le couvert de l’anonymat, Blue Origin fixe ses prix de manière à ce que les clients en aient plus pour leur argent que SpaceX.

Selon lui, Blue Origin facture environ 110 millions de dollars par lancement, contre 70 millions de dollars pour un Falcon 9, offrant ainsi la possibilité de transporter deux fois plus de satellites pour environ 50 % de plus.

Blue Origin n’a pas répondu à une demande de commentaire de Forbes.

La fusée New Glenn s’avère déjà intéressante pour les entreprises qui construisent de grandes constellations de petits satellites pour l’orbite terrestre basse, d’autant plus que ces satellites sont de plus en plus gros, a déclaré Caleb Henry.

Blue Origin a remporté plusieurs contrats pour utiliser la fusée afin de lancer des satellites pour toutes les grandes constellations, à l’exception, bien sûr, de Starlink de SpaceX. Cela inclut AST Mobile, qui développe un réseau pour fournir des services cellulaires depuis l’espace. La société a déclaré que New Glenn pouvait transporter huit de ses satellites Block 2, qui seront les plus grands jamais placés en orbite terrestre basse. Falcon 9 ne peut en transporter que quatre.

Amazon.com, propriété de Jeff Bezos, s’appuie fortement sur Blue Origin pour réaliser ses projets concernant son réseau de satellites Kuiper. Blue Origin devrait lancer au moins 23 % de la constellation, voire la moitié. Amazon prévoit de verser à Blue Origin 2,7 milliards de dollars jusqu’en 2028, comme indiqué l’année dernière dans un document financier.

Le gouvernement américain souhaite également disposer d’une autre option pour le lancement de ses satellites de renseignement et de communication. En juin, le département de la Défense a choisi Blue Origin, ainsi que SpaceX et United Launch Alliance, pour participer à un appel d’offres afin de décrocher des lancements d’une valeur maximale de 5,6 milliards de dollars jusqu’en 2029.

 

Une machine à cash

Il s’agit d’une manne financière bienvenue après des années de dépenses considérables pour construire la société. Pour le seul programme New Glenn, Blue Origin a dépensé environ dix milliards de dollars, selon l’ancien employé de la société. Hormis quelques contrats avec la NASA, cet argent provient des fonds personnels de Jeff Bezos, qui s’est engagé à utiliser l’immense fortune qu’il a tirée d’Amazon pour réaliser les rêves spatiaux de son enfance. Forbes estime sa fortune nette à 233 milliards de dollars, ce qui le place loin derrière Elon Musk et ses 416 milliards de dollars.

Bien qu’il ait fallu un quart de siècle à Blue Origin pour effectuer sa première sortie dans l’espace, la société a obtenu des résultats impressionnants en cours de route, tout en construisant des infrastructures pour les lancements massifs de fusées que SpaceX ne mettait en place que progressivement, après avoir atteint l’orbite. La société a mis au point un puissant moteur-fusée, le Be-4, qui a alimenté deux lancements réussis de la nouvelle fusée Vulcan de United Launch Alliance.

Avec sa fusée réutilisable New Shepard, conçue pour emmener des touristes aux confins de l’espace, Blue Origin est devenue la seule société de fusées, en dehors de SpaceX, à réussir l’exploit de faire atterrir son premier étage. Elle a également mis en place des installations de fabrication qui devraient permettre de produire plus de 100 moteurs Be-4 en 2025, ainsi que de nombreux boosters pour soutenir un rythme de 12 lancements par an.

« Il est facile de se laisser aller à dire que SpaceX a fait tant de choses et que Blue Origin n’en a pas fait beaucoup, mais la situation est nuancée », a déclaré Carissa Christensen, PDG de la société de conseil spatial BryceTech.

Un lancement réussi serait une validation puissante pour Blue Origin, mais cette prochaine tentative s’inscrit dans un contexte politique trouble. Donald Trump a chargé Elon Musk de mener une action visant à réduire les dépenses publiques et la réglementation. Un assouplissement des règles dans l’industrie spatiale fortement réglementée aiderait tous les participants, mais les concurrents craignent un traitement préférentiel pour SpaceX.

Le candidat désigné par Donald Trump pour diriger la NASA, le milliardaire Jared Isaacman, en est un parfait exemple. Sa société Shift4 Payments a investi dans SpaceX et Jared Isaacman a financé deux vols spatiaux privés à bord de fusées Falcon.

En mars dernier, Jared Isaacman s’est interrogé sur la décision de la NASA de financer le développement d’atterrisseurs lunaires à la fois de SpaceX et de Blue Origin, au cas où l’un d’entre eux échouerait.

Cependant, Jeff Bezos s’est dit convaincu qu’Elon Musk n’utiliserait pas son influence au sein du gouvernement Trump pour avantager SpaceX aux dépens de Blue Origin.

« Je prends pour argent comptant ce qui a été dit, à savoir que [Elon Musk] ne va pas utiliser son pouvoir politique pour avantager ses propres entreprises ou désavantager ses concurrents », a déclaré Jeff Bezos en décembre lors d’une conférence du New York Times.

Quoi qu’il en soit, Jeff Bezos voit bien au-delà des quatre prochaines années. Il souhaite que Blue Origin contribue à la création d’une économie spatiale grâce à laquelle la fabrication et l’exploitation minière se feront dans l’espace : « La Terre ne sera plus que zones résidentielles et industries légères. » Un jour, il pense que cela fera de Blue Origin une entreprise plus importante qu’Amazon, a-t-il déclaré lors de l’événement organisé par le New York Times. Toutefois, tout cela repose sur la réduction du coût de l’accès à l’espace, en commençant par New Glenn.

« Nous savons comment voyager dans l’espace. Nous savons comment atterrir sur la Lune. Nous devons être capables de le faire cent fois moins cher », a déclaré Jeff Bezos au Youtubeur de l’espace Tim Dodd en septembre. « C’est ce qui ouvrira vraiment les cieux à l’humanité. »

 

Une traduction de Flora Lucas

 


À lire également : Jeff Bezos décolle avec succès lors du premier vol spatial avec équipage de Blue Origin

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC