L’assurance est-elle la cible parfaite du « dégagisme » ? La présence d’irritants ou d’aspirations fortes pour l’utilisateur face à l’inertie d’un secteur est le critère majeur qui permet de douter de la pérennité d’un « business-model » à l’ère du numérique. Le produit assurantiel, en tant qu’achat contraint et immatériel, sans bénéfice immédiat et dont le retour sur investissement peut se présenter des années plus tard, voire pas du tout, et de surcroît au cours d’une expérience (cambriolage, accident, sinistre…) dont le souvenir sera inévitablement négatif, paraît figurer en bonne position sur la liste des secteurs « ubérisables ».
C’est sans compter sur la grande inertie du consommateur et sa faculté d’oubli. Dans la science du « nudge »*, l’irritant que vous croisez une fois par an quand vous payez votre prime d’assurance n’est que peu incitatif à changer ses habitudes. Les assureurs peuvent-ils pour autant dormir sur leurs deux oreilles ?
Une « réintermédiation » en marche depuis longtemps
Bien avant Internet, l’assurance s’est déjà frottée à la concurrence de nouveaux acteurs qui profitaient du lien avec le consommateur et qui disposaient de la capacité à respecter les contraintes règlementaires fortes du secteur : les banques. L’arrivée des moteurs de recherche dans les années 2000 a favorisé la logique de comparaison des offres et des prix, entraînant une « réintermerdiation » par des sites tels qu’Assurland, Meilleurtaux, Les Furets… Cependant, ce phénomène n’a pas abouti à l’émergence de plateformes régissant l’offre et la demande comme a pu le faire Booking sur le secteur du voyage. La barrière à l’entrée règlementaire a cette fois joué, laissant un peu plus de répit aux assureurs que ne l’ont vécu les hôteliers. Et pourtant des irritants et des gains jalonnent les différentes étapes du parcours client. Chaque irritant ou gain peut être résolu par des ruptures technologiques qui améliorent l’expérience client. Si vous combinez ces deux dimensions à de nouvelles offres et méthodes de distribution ou de « pricing », vous en tirez les pistes d’ubérisation du secteur. J’en vois au moins trois.
L’assurance comportementale
L’assurance comportementale se fonde sur l’aspiration très libertaire du consommateur à ce que son assurance soit personnalisée et le prix de la prime, dépendant de ses propres prises de risque. À la faveur d’une exploitation des données, cette veine de l’ubérisation de l’assurance mise sur des algorithmes prédictifs fonctions du comportement passé mais également sur une incitation à réduire son risque. Déjà présente dans l’assurance auto, la tarification comportementale va à l’encontre du principe de solidarité qui fonde le socle de l’économie assurantielle. Outre la mutualisation du risque, elle questionne sur les dérives liées à l’utilisation des données et au traçage de nos comportements. Le jour où notre réfrigérateur connecté refusera de nous laisser accéder au compartiment à bières, au motif que cela n’est pas conforme au régime alimentaire préconisé, l’assuré s’interrogera si c’est la vocation de l’assureur de le protéger contre ses propres tentations !
L’assurance « on demand » et collaborative
L’assurance « on demand » n’est que la poursuite du phénomène de « réintermédiation », engagé déjà avec les banques : la fragmentation du marché en micro-besoins à l’usage (vacances au ski, co-voiturage, location de son appartement sur Airbnb) ou à la communauté (cyclistes, fondateurs de startup). Wizzas par exemple négocie l’achat groupé de produits d’assurance taillés sur mesure pour des communautés. Plus agiles, plus ciblés, ces nouveaux intermédiaires offrent de nouveaux canaux de distribution pour les assureurs et les repositionnent en acteurs B2B, en les privant du précieux lien avec l’utilisateur. Allianz par exemple vient de franchir le pas en devenant le service d’assistance du bouton SOS de l’application Waze.
Ces nouveaux usages sont aussi un facteur de complexité supplémentaire pour l’assuré qui redoutait déjà les redondances de couverture. Il y a donc fort à parier que demain, nos contrats d’assurance seront automatiquement analysés par un agent intelligent prenant en charge nos démarches administratives, comme l’atteste déjà la start-up Minalea qui compare les contrats. Devenus « commodities » de nos futurs robots domestiques, les assureurs parviendront-ils encore à se différencier ?
L’assurance « servicielle »
La voie « servicielle » est la plus disruptive, car elle touche au cœur de métier de l’assureur, mais c’est aussi par conséquent celle qui crée le plus de valeur pour le consommateur. Elle utilise les données, non pour personnaliser l’offre et le prix selon le comportement, mais pour offrir une innovation de service, soit en amont du parcours client (dans la prévention), soit en aval dans la détection du risque.
En santé par exemple, au lieu de la complémentaire santé la même pour tous, on pourrait avoir une offre très segmentée allant du coaching et du télé-suivi à de l’accompagnement en cas de maladie. Dans cette hypothèse, l’assurance est réduite à une brique dans un ensemble de services, au risque encore une fois de transformer l’assureur en acteur B2B, simple fournisseur de garantie et de marge de solvabilité (cf. règlementation), dépourvu de la relation avec le client et remis en compétition chaque année ; d’où érosion drastique des marges.
Ma start-up préférée en la matière, est Liberty Rider. Cette application gratuite dédiée aux motards permet de sauver des vies en détectant les accidents de moto (via un algorithme combiné au GPS et à l’accéléromètre du smartphone) et en enclenchant un système d’alerte. Un service premium payant combine des services de suivi d’entretien, gestion des ballades à plusieurs et aide financière. Liberty Rider n’est donc pas à proprement parler un assureur, elle redonne pourtant du sens à cette promesse, tellement galvaudée, de protéger l’individu !
* La science du « Nudge » ou « coup de pouce » en français est une méthode d’influence pour inciter des personnes ou une population ciblée à changer leurs comportements ou à faire certains choix sans être sous la contrainte ni obligations.
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