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Anne Cousin, avocate associée au cabinet Herald : « Le métaverse va probablement amplifier la connaissance qu’ont une poignée de plateformes sur nos comportements. »

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Anne Cousin, avocate associée au cabinet Herald

Le métaverse a fait irruption dans le champ technologique de manière fulgurante et les juristes commencent déjà à suivre le phénomène de près. C’est le cas d’Anne Cousin, avocate associée au cabinet Herald, qui a accepté cet entretien. Pour elle, pour encadrer les pratiques dans le métaverse des leviers normatifs existent déjà.

 

Étiez-vous dès le début intéressée par le droit relatif aux nouvelles technologies ?

Oui, j’ai commencé par m’intéresser au droit de l’informatique et du numérique en général. Dans une autre vie, j’aurais pu devenir ingénieure car ce domaine me passionne. J’aime beaucoup plaider sur ces enjeux-là et tout le raisonnement juridique adapté à la technique de manière générale.

 

Pouvons-nous considérer que le législatif a toujours un train de retard vis-à-vis de l’évolution technologique ? Comment appréhende-t-il l’irruption du métaverse ?

Il n’est jamais demandé au législatif d’être en avance et ce n’est pas aux juristes d’inventer la technologie de demain. Leur rôle est plutôt d’accompagner les acteurs du secteur vers de meilleures pratiques. Ce n’est pas le droit qui est en retard mais l’humain qui a besoin de temps pour appréhender tous les enjeux sociétaux d’une technologie. La myriade de codes juridiques présents sur mon bureau attestent que le droit est un acquis incroyable. Il est plus question ici de savoir quelle loi appliquer que de vide juridique !

En ce qui concerne le métaverse, nous en sommes au début et il y a un tas d’enjeux notamment sur l’encadrement du marché et du droit de propriété. Sur le marché d’abord, la question sera de savoir comment s’appliquera notre droit de la concurrence. C’est la première question à se poser : aurons-nous 50 ou seulement 2 plateformes qui domineront le marché du métaverse ? Meta et Microsoft seront-ils les seuls acteurs dominants ?

Tout dépend comment ces grandes plateformes vont définir les pratiques dans leur métaverse respectif. Par exemple, vont-elles obliger les utilisateurs à utiliser une cryptomonnaie en particulier ou vont-elles laisser le choix ?

Ces questions sont très connues en droit de la concurrence et l’Autorité de la concurrence en France a déjà mené des réflexions assez fines depuis plusieurs années sur les règles à appliquer pour mieux réguler les marchés du numérique. Aujourd’hui, la Commission européenne s’est également munie de son propre outil de lutte contre la situation monopolistique de ces plateformes grâce à ses futurs DMA et DSA (Digital Markets Act et Digital Services Act).

 

Selon vous, le droit est-il en mesure de tenir la cadence face au développement fulgurant des nouvelles technologies ?

Oui, nous avons les outils nécessaires mais peut-être pas l’efficacité suffisante pour pouvoir appliquer ces règles rapidement en prenant en compte les spécificités régionales ; il faudra pour cela que les États de l’Union européenne se concilient davantage.

C’est donc au bout de la chaîne que l’efficacité pêche mais aussi tout simplement parce que les ressources de la justice manquent en général. Les experts disponibles pour faire appliquer ces règles demeurent encore insuffisants.

Tout bon juriste qualifie le droit disponible avec sa propre grille d’analyse. Je crois beaucoup en la plasticité du droit. Par exemple, la loi du 29 juillet 1981 en matière de droit de la presse marche très bien : il y a eu quelques retouches au fil des années mais ce texte est aujourd’hui appliqué pour la question de la diffamation sur internet.

Nous avons les outils juridiques français et européens à disposition pour lutter contre les abus qui pourraient survenir au gré des évolutions techniques des plateformes. Mais c’est encore une fois un souci d’efficacité : nombreux sont les acteurs puissants qui ne font pas de l’application du RGPD leur priorité et c’est un euphémisme. Il faudrait que les CNIL européennes prononcent davantage de sanctions sérieuses. Elles ont trop longtemps été assez timides sur le sujet.

Au lieu d’accuser le droit d’être en retard, il vaut mieux exiger plus d’effectivité dans la sanction. Il faut une volonté politique et sociétale, une sorte de prise de conscience globale des dangers que ces monopoles impliquent. Nos tribunaux prennent de nos jours des décisions qui ne sont pas les mêmes que celles d’il y a vingt ans, justement parce que la vision de la société évolue. Cette société est-elle prête aujourd’hui à condamner Meta ou d’autres en cas de non-respect des règles en vigueur ?

 

La captation et le traitement des données personnelles dans le métaverse sont-ils plus risqués pour les utilisateurs ?

Oui, le métaverse est plus dangereux car il implique des données encore plus sensibles. L’avatar représenté dans ce monde virtuel vous ressemblera et il permettra de capter des données comportementales encore plus fines. Faut-il rappeler que Facebook a mis au point des brevets pour détecter la physionomie et le visage des consommateurs pour mieux prédire leur comportement d’achat ? Le métaverse va probablement amplifier la connaissance qu’ont une poignée de plateformes sur nos comportements.

Encore une fois, nous avons les outils juridiques pour encadrer ces pratiques mais pas assez de relais suffisants pour les faire respecter. En 2000, nous avions obtenu une décision du juge du Tribunal de Grande Instance de Paris pour que Yahoo cesse la vente d’objets nazis sur sa plateforme. Mais par manque de coordination des politiques judiciaires des pays concernés, cette décision n’a jamais été exécutée aux États-Unis.

 

Le fait de nommer plus précisément ces grandes plateformes de « gatekeepers » dans les nouveaux textes de la Commission européenne (DMA et DSA) n’est-il pas un signe de grande avancée sur le sujet ? Cela a le mérite de définir clairement qui sont les cibles pour éviter l’éparpillement, vous ne croyez pas ?

Là où la Commission a changé la donne en matière d’effectivité, c’est le fait d’avoir prévu des relais chargés de vérifier le respect des règles énoncées.

Dans le cadre du Digital Services Act, les « gatekeepers » doivent délivrer à des entités un certain nombre d’informations sur leurs risques systémiques, des rapports d’audit ainsi que la présentation de mesures destinées à limiter ces risques. C’est la première fois que nous allons aussi loin dans la garantie d’effectivité.

 

Quels chantiers juridiques liés au métaverse voyez-vous apparaître ?

La principale inconnue concernant le développement du métaverse demeure l’avatar car les juristes se demandent si il doit avoir une personnalité propre ou si il reste simplement un prolongement de l’humain. Peut-il diffamer, dénigrer, harceler, voire même voler ? Ces mêmes questions se posaient déjà il y a quelques années autour des robots et de l’intelligence artificielle. Au regard du droit français aujourd’hui, ces entités technologiques ou numériques ne sont pas considérées comme des personnes à part entière, mais plutôt comme des outils qui peuvent permettre de porter atteinte à des individus.

Il y a aussi le sujet des NFT (jetons non fongibles) et la question d’adapter le droit de propriété intellectuelle actuel se pose aussi. Si nous voulons protéger les marques dans le métaverse, il faut modifier les dépôts existants.

En droit d’auteur cette fois, pour qu’un artiste puisse designer un NFT de sneaker Adidas par exemple, il faudra qu’il obtienne les droits du titulaire. Si cet artiste souhaite faire comme Andy Warhol pour reproduire des marques iconiques, il faut obtenir une autorisation de reproduction comme dans le monde réel. C’est un débat assez ancien entre la liberté de création et le droit de propriété de l’auteur. L’auteur de l’œuvre seconde doit toujours obtenir l’aval de celui de l’œuvre première.

 

Voyez-vous l’apparition d’avocats spécialisés sur le métaverse ?

Je ne suis pas sûr que nous verrons apparaître des avocats spécialisés dans le métaverse mais il est clair que des avocats du numérique travaillent déjà dessus. C’est un prolongement assez naturel de ce que nous faisons au quotidien.

De mon côté, je suis spécialisée sur l’e-commerce et j’accompagne de nombreuses entreprises qui souhaitent basculer leurs ventes en ligne. Nous les aidons à se conformer au règlement “Platform to Business”, au code de la consommation, Digital Services Act… tout un mille-feuille réglementaire qui a également vocation à régir le métaverse.

Nous avons été confrontés à des questions de même ampleur s’agissant du peer-to-peer . Est-ce que le fait de partager illégalement un fichier musical entre utilisateurs aboutit à une reproduction soumise à l’autorisation du titulaire ? Face à l’évolution rapide des technologies, le juriste doit sans cesse repenser les concepts avec lesquels il travaille tous les jours. 

 

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