Benjamin Griveaux a abandonné la course (mal embarquée) à la mairie de Paris suite à la divulgation d’images intimes. Un tsunami médiatique qui pose la question du rapport entre vie publique, vie privée et vie numérique. Décryptage avec Ludovic Broyer, fondateur d’IProtego et expert de la protection de la vie numérique et des données personnelles.
Forbes France : Entre les « fuites » des images révélant l’intimité sexuelle de Benjamin Griveaux et sa démission, il s’est passé moins de 24 heures : que révèle cette extrême rapidité ?
Ludovic Broyer : De tout temps, les scandales sexuels ont eu cette faculté de captiver l’attention du public bien au-delà du raisonnable. Sans doute cela fait-il appel à une caractéristique humaine qui fait que ces sujets nous intéressent, car dans le fond, quelle importance y a-t-il qu’une personne envoie une photo à caractère sexuel à quelqu’un d’autre, dans un cadre librement consenti des deux côtés ? Aucune. C’est trivial. C’est sans aucun rapport avec sa capacité professionnelle à occuper une fonction précise. Et pourtant, il se retrouve obligé d’abandonner, sous peine sans doute, d’en voir fleurir de nouvelles.
Au-delà de ce point, si la notoriété d’une personne démultiplie l’impact de ce genre d’information, et si les réseaux sociaux démultiplient la diffusion vers la presse, c’est cette dernière qui donne une dimension nationale au sujet. C’est cette même notoriété qui permet de régler le problème en 24h, ce qui ne sera pas le cas d’un(e) anonyme qui ne verra jamais son cas réglé aussi vite…. Ce qui est anormal, car la souffrance et les conséquences sont tout autant dramatiques.
« Le fait d’adresser à qui que ce soit une vidéo, des photos, voire des écrits susceptibles de vous nuire est juste inconséquent. »
Les réseaux sociaux participent-ils d’une sorte de voyeurisme envers nos hommes politiques ? Et surtout d’une mise sous protecteur de leurs vies privées ?
Cela a toujours été le cas, et les scandales sexuels ont toujours passionné les foules. Les réseaux sociaux augmentent les points de diffusion, là où auparavant la diffusion de ce genre de news se faisait de manière linéaire. Aujourd’hui, la diffusion se fait de manière exponentielle.
Les réseaux sociaux réduisent notre vie privée comme peau de chagrin. Nos élus sont encore moins à l’abri que l’anonyme, en raison même de l’intérêt qu’ils suscitent. Par ailleurs, ce qui a beaucoup joué contre M. Griveaux, c’est la présence du thème « famille » dans sa campagne politique qui est parfaitement incompatible avec cette vidéo adressée à… quelqu’un d’autre.
Peut-on reprocher à M. Griveaux d’avoir été au pire très naïf, au mieux, peu précautionneux ? Surtout eu égard à ses responsabilités politiques.
Le scandale dont a été l’objet M. Dominique Strauss-Khan aurait dû être une leçon définitive adressée à l’ensemble de la classe politique française. Lorsque vous êtes en responsabilité, ou candidat pour le devenir, vous devez partir du principe que vous serez l’objet de coups bas, d’indiscrétions, de tentatives de scandale. Le fait d’adresser à qui que ce soit une vidéo, des photos, voire des écrits susceptibles de vous nuire est juste inconséquent.
Pire si vous l’avez fait dans le passé, avant, vous devez en tenir compte. Une fois diffusée, une vidéo, photo peut être recopiée. A l’heure actuelle, la vidéo est supprimée du web, mais tourne encore dans des circuits privés. Il est technologiquement aujourd’hui impossible d’empêcher cela. Même une vidéo protégée peut encore faire l’objet d’une copie d’écran… Il n’existe aucun moyen de s’en prémunir. Ce type de risque ne peux pas ne pas être pris en compte, sous peine de vivre ce que vit M. Griveaux aujourd’hui.
Il n’y a que deux nuances. Privé, public. Par définition ce qui est accessible sur internet est public.
A l’heure des messageries instantanées, la « vie numérique » est-elle une autre dimension de ce qui recouvrait « la vie privée » ou est-ce encore un autre espace de vie pour ainsi dire indépendant du diptyque vie privée / vie publique ?
Il n’y a que deux nuances. Privé, public. Par définition ce qui est accessible sur internet est public. Ce qui n’est pas explicitement privé doit être considéré comme public, même si ce n’est pas encore le cas. J’envoie une vidéo à quelqu’un, je ne maîtrise donc pas ce que fera cette personne de cette vidéo, demain, dans un mois, dans deux ans, dans dix ans….
D’ici une vingtaine d’années, les « millenials » qui ont grandi avec toutes sortes d’applications auront envahi l’espace politique français : faut-il s’attendre à une multiplication d’affaires de ce genre ?
Ce n’est pas le fait des millenials, il y a même à parier que pour les millenials ce genre de news ait moins d’impact que pour les gens de ma génération ou plus vieux. Ceux-ci une fois en responsabilité seront certainement moins tatillons sur ces sujets que nous le sommes aujourd’hui. Ce genre d’affaire, c’est le choix d’utiliser comme arme politique le scandale sexuel, qui a toujours été, au XXème siècle et début du XXIème, extrêmement efficace pour affaiblir un candidat ou un élu. C’est plus un problème d’image. A prétendre être plus blanc que blanc, la moindre tache n’en est que plus grave.
Finalement, ce genre de fuite qui a discrédité hier M. Griveaux discréditera-t-il les hommes et femmes politiques de demain ?
Les mêmes causes ont les mêmes effets. Donc oui. À long terme, il est possible que cela évolue, justement car les millenials sont bien plus connectés que leurs parents, et de ce fait, seront peut-être plus scandalisés par des affaires moins triviales.
La prise de position unanime des responsables politiques en faveur de Benjamin Griveaux est-elle un bon signe dans la lutte contre la pornodivulgation qui touche tout un chacun ?
Oui, il n’a rien fait de mal. Sur le fond, ce genre de news aurait dû être sans effet. Mais encore une fois, la présence de sa famille dans sa campagne électorale le rend bien plus vulnérable sur ce genre d’attaques. Ce qui serait chouette, c’est qu’on pense aussi à toutes les Madame Michu, tous les jeunes garçons et jeunes filles qui sont victimes à l’échelle de leur ville, de leur école, de leur entourage de ce genre d’attaque. Force est de constater que dans leur cas, rien ne se règle aussi simplement.
On parle souvent des victimes directes, mais l’entourage proche est souvent très affecté. Comment gérer une telle situation ?
C’est terrible. C’est un cataclysme, d’autant plus lorsque la nouvelle est une « surprise » avec l’arrivée de quantité de messages insultants, humiliants, moqueurs. L’entourage partage et porte la honte de la victime et se trouve totalement désemparée face à la violence des assauts. C’est un cauchemar qui ne cesse que lorsque le tumulte s’apaise. Mais même une fois le pic d’intérêt retombé, la douleur continue avec des masses de résultats visibles dans Google sur le nom de la victime, et parfois même sur le nom de membres de la famille. En un mot, leur vie sociale s’arrête et reste en suspens. Les proches sont prisonniers de cette honte : l’époux ou l’épouse qui n’ose plus sortir de peur qu’on lui en parle, les enfants à l’école. Il n’y a plus de frontière entre vie numérique et vie réelle.
Quelles sont selon vous les bonnes pratiques pour éviter de telles fuites ?
Une seule. Le principe de précaution. Ne rien envoyer. Ne rien partager par sms, mail, quel que soit le moyen, même s’il semble sécurisé. Vous ne maîtrisez pas les intentions futures du destinataire. Vous n’êtes jamais à l’abri d’un piège tendu. Ce qui est du ressort de la chambre à coucher doit y rester. A moins d’être prêt à l’assumer pleinement, et d’être certains que les proches seront protégés.
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