Une contribution de Marc Benero VP, Chief of Staff, BPSA, Communication & Marketing chez Prodware
À l’IA, la rationalité, la puissance de calcul, la vérité objective. À l’humain, la nuance, le flair, l’intuition, la capacité d’erreur constructive. L’émergence de l’IA semble avoir relégué l’humain à une position où il ne peut s’exprimer que par une posture « hors cadre », atypique, limitant son champ d’action à la frontière entre objectivité (les faits, les données, le quantifiable) et subjectivité (les émotions, l’intuition, l’interprétation).
Celle ou celui qui est habité par une dynamique d’entreprendre ne serait-il pas justement celui qui est capable de s’extraire de cette dichotomie (trop ?) réductrice ? Celle qui serait susceptible de capitaliser sur son instinct tout en exploitant à plein régime le potentiel immense offert par l’IA ? Comme lorsqu’elle se positionne à l’intersection entre l’analyse du contexte et la projection de l’avenir, la dynamique d’entreprendre se situe également sur le sujet de l’articulation humain – machine, à la frontière entre les capacités de l’une et la valeur ajoutée de l’autre.
L’émotion est une vertu
La machine n’éprouve pas, elle analyse, quantifie, synthétise. Elle relate. L’être humain, lui, éprouve, ressent, pressent. Son instinct est non seulement une force, mais aussi une nécessité. Cet instinct et ce goût pour l’inconnu le font avancer. Et ceci lorsque l’on parle de dynamique d’entreprendre peut-être plus encore que lorsque l’on adresse le sujet global de l’espèce. La préfiguration de quelque chose qui n’existe pas encore, et dont le taux d’incertitude est grand, est un élément déterminant de l’esprit de l’entrepreneur. Il agit avec la connaissance d’un contexte et l’intuition, le flair, l’envie et la nécessité de créer.
La machine peut désormais anticiper, mais ne peut le faire que sur la base d’une analyse de données, c’est-à-dire sur la seule prise en compte de ce qui a déjà eu lieu. L’humain est capable de s’extraire de cette réalité passée pour se projeter dans un futur imaginé, fruit de son seul cerveau. La complémentarité humain-machine trouve dans la dynamique d’entreprendre l’une de ces plus criantes mises en pratique. Elle nécessite donc de mettre l’émotion sur un piédestal, non comme biais d’analyse, comme on l’entend souvent, mais comme une vertu indispensable à une perception différente de la réalité, offrant d’autres perspectives inatteignables sans elle. Une belle illustration de la fameuse maxime de Georges Braque : “J’aime la règle qui corrige l’émotion. J’aime l’émotion qui corrige la règle”.
Une influence réciproque
Face à l’émergence de l’IA, devons-nous redéfinir ce que signifie être humain ? Comment l’entrepreneuriat peut-il incarner cette nouvelle définition de l’humanité à l’ère numérique ?
On mentionne souvent l’influence de la machine sur l’humain. Elle est indéniable. Mais elle ne fonctionne pas de façon unilatérale. L’humain est le créateur de la machine, il en est également le programmateur. Donc son influence sur la machine est fondamentale. Reprocher à l’IA ses biais d’analyse, de sélection ou de traitement est donc a minimaincomplet, pour ne pas dire fallacieux.
La dynamique d’entreprendre joue sur la conscience de cette influence réciproque, et en tire les bénéfices. Les biais existent évidemment, chez l’humain avant la machine, mais dans le traitement proposé par la machine aussi. L’intelligence humaine et la dynamique d’entreprendre consistent à conscientiser ces biais, et à « faire avec » plutôt qu’à viser une objectivité totale… de toutes façons parfaitement illusoire. Dans le cas de la machine donc, mais aussi (et surtout) dans celui de l’humain.
Le smartphone est un exemple parlant de l’influence de l’objet informatique sur l’espèce humaine. Il y a incontestablement un avant et un après les ordinateurs de poche. Mais résumer cette évolution à une influence de la machine sur l’humain serait trop vite oublier que derrière l’objet, derrière les algorithmes, il y avait d’abord la vision d’un avenir, d’un besoin, envisagé par un être humain, Steve Jobs, qui, après de nombreux écueils et de nombreuses théories incomprises, s’est efforcé d’imposer une vision qui, une fois mise en pratique, s’est avérée certainement plus juste encore que ce qu’il avait pressenti.
IA, IH, IE, IP ?
L’IA nous place face à un paradoxe fascinant : plus elle devient performante, plus elle met en lumière l’unicité de l’esprit humain. En cherchant à reproduire l’intelligence humaine, ne révèle-t-elle pas justement ce qui est irréductiblement humain ?
Intelligences artificielle (IA), humaine (IH), émotionnelle (IE), il y en a pour tous les goûts, pour toutes les couleurs. L’intelligence est difficilement définissable, tant est si bien qu’on devrait parler d’intelligences au pluriel. L’IP (Intelligence pure) n’existe pas. Il n’y a pas de vérité absolue en matière d’intelligence, de raison. L’intelligence est une notion strictement subjective et tout à fait multiple.
Plutôt que de viser une intelligence parfaite, l’entrepreneur fait la symbiose de toutes ces dimensions, pour trouver un équilibre qui lui convient, qui correspond à la dynamique dans laquelle il veut se mouvoir. En créant, il imagine, dessine une nouvelle forme d’intelligence, propre à sa vision et à son instinct.
Croire à une intelligence pure, ce serait lui conférer une dimension divine. L’entrepreneur est à l’inverse de cette posture. Il est au contraire dans une remise en question permanente et constructive. Il se nourrit de plusieurs formes d’intelligences, de tous les outils à sa disposition. Il est profondément humain, avec ses zones d’incertitude, avec son lot d’échecs, de rebonds, d’anticipations plus ou moins justes, toujours connectées entre elles par une volonté d’avancer. Cette notion d’échec comme étape nécessaire à la mise en pratique de l’intelligence était d’ailleurs résumée par Marcel Proust : « Ce n’est pas à un autre homme intelligent qu’un homme intelligent aura peur de paraître bête ». Remplaçons ici « homme intelligent » par « entrepreneur », la phrase restera tout aussi pertinente.
L’instinct ne vaut pas « plus ». Il ne vaut pas « mieux ». Mais il vaut autant. Plus encore, il est indispensable à toutes les dynamiques d’entreprendre. Partant du principe que la vérité totale et absolue n’existe pas, tout est à créer, à remettre en cause, à réinventer. L’entrepreneur est dans un terrain de jeu sans limites, qu’il continuera d’arpenter, peu importe l’outil à sa disposition, peu importe les écueils qui parsèment son champ d’action. Et si les outils lui manquent, tout simplement parce qu’ils n’existent pas pour donner corps à son idée nouvelle, il trouvera le moyen de les inventer. La dynamique d’entreprendre rend tout possible. C’est ainsi qu’à sa manière elle participe à l’évolution.
N’oublions pas : la dynamique est une entreprise et l’entreprise, une dynamique.
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