Les promesses de l’IA se heurtent souvent à une réalité brutale : un projet ambitieux patine, un autre est mis en pause. Recommandations, maintenance, service client… Derrière ces projets ambitieux laissés en suspens, ce ne sont pas seulement des ressources qui s’évaporent, mais aussi des attentes déçues, rendant chaque nouvelle innovation plus difficile à justifier.
L’écart entre attentes et réalité
Les projets d’IA ressemblent à des icebergs. Ce que les dirigeants voient dans les présentations des fournisseurs et les articles spécialisés, c’est la partie émergée : des réussites éclatantes et bien polies. Mais ce qui reste caché, c’est toute la structure sous-jacente qui rend ces succès possibles : la préparation des données, les exigences en infrastructure, les compétences nécessaires et la gestion du changement au sein de l’entreprise.
Cet écart entre attentes et réalité est sans doute la principale raison de l’échec des projets d’IA. Une idée fausse persiste : l’IA serait une technologie magique que l’on applique aux défis de l’entreprise comme un pansement high-tech. La réalité est bien plus complexe et exigeante.
Prenons l’exemple d’une multinationale de produits de grande consommation que j’ai conseillée. Inspirée par des présentations montrant comment l’IA pouvait optimiser les chaînes d’approvisionnement, son équipe dirigeante a lancé un projet de 2,5 millions de dollars pour en faire de même. Douze mois plus tard, ils disposaient d’algorithmes sophistiqués… mais inutilisables. Pourquoi ? Parce que personne n’avait pris en compte les données fragmentées et incohérentes issues de leurs 27 systèmes informatiques obsolètes. Leur solution d’IA revenait à acheter une voiture de Formule 1 pour rouler sur des chemins de terre.
Naviguer à l’aveugle : le dilemme des données
S’il y a bien un facteur qui condamne plus de projets d’IA que tout autre, c’est la mauvaise qualité des données et l’absence de gouvernance adaptée. Les entreprises sous-estiment systématiquement à la fois la quantité et la qualité des données nécessaires au bon fonctionnement de l’IA.
La réalité est que les systèmes d’IA sont avant tout des moteurs de traitement des données. Leur fournir des données médiocres produit inévitablement des résultats médiocres – un principe connu sous le nom de garbage in, garbage out (GIGO), qui existe depuis les années 1950 mais continue pourtant de surprendre les dirigeants.
Un système de santé avec lequel j’ai travaillé souhaitait utiliser l’apprentissage automatique pour prédire les réadmissions de patients. Six mois après le début du développement, l’équipe a découvert que les dossiers patients historiques – les données utilisées pour entraîner l’IA – comportaient des biais importants dans la manière dont certaines pathologies étaient codifiées selon les établissements. L’IA apprenait donc ces incohérences plutôt que de véritables schémas médicaux. C’est un peu comme vouloir enseigner une langue à quelqu’un avec un dictionnaire où la moitié des définitions sont erronées.
L’humain, le maillon manquant
Une autre erreur fatale consiste à considérer l’implémentation de l’IA comme un défi purement technique, alors qu’il s’agit en réalité d’un enjeu socio-technique nécessitant l’adoption et l’intégration humaines.
Je me souviens d’une entreprise manufacturière qui a investi 1,8 million de dollars dans un système d’IA pour optimiser la planification de la production. La technologie fonctionnait parfaitement en phase de test, mais sur le terrain, les superviseurs continuaient d’appliquer leurs méthodes traditionnelles, ignorant complètement les recommandations de l’IA. Pourquoi ? Parce que personne ne les avait impliqués dans le développement du système, ne leur avait expliqué son fonctionnement ou pris en compte leurs préoccupations légitimes sur l’impact qu’il aurait sur leur travail.
Les initiatives en IA n’échouent pas de manière isolée ; elles échouent au sein de systèmes humains réticents au changement. La meilleure technologie du monde ne vaut rien si personne ne l’utilise.
Un manque d’alignement stratégique
Beaucoup de projets d’IA démarrent avec un défaut majeur : ils ne sont pas clairement rattachés à des problèmes concrets ou à des objectifs stratégiques. Ce sont des solutions en quête de problèmes, et non l’inverse.
J’ai vu des entreprises lancer des initiatives en IA simplement parce que leurs concurrents le faisaient ou parce que la direction en avait lu un article dans un magazine. Ces projets échouent inévitablement, car ils ne sont pas ancrés dans des résultats mesurables et pertinents pour l’entreprise.
C’est comme construire un pont sans savoir précisément quelles rives il doit relier et pourquoi les gens ont besoin de le traverser. Pourtant, de nombreuses entreprises lancent des projets d’IA sans avoir défini à quoi ressemblera le succès ou comment elles le mesureront.
Pénurie de talents et lacunes en gouvernance
Le manque de talents en IA reste un défi majeur. Les data scientists sont rares, et ceux qui combinent expertise technique et compréhension du business le sont encore plus – aussi rares que des diamants dans un bac à sable.
Au-delà des compétences, de nombreuses entreprises manquent de structures de gouvernance adaptées pour leurs initiatives en IA. Qui est responsable du projet ? Qui tranche lorsqu’un compromis doit être trouvé entre rapidité, coût et qualité ? Sans cadre de décision clair, les projets d’IA s’enlisent dans l’ambiguïté avant de finir par échouer.
Un opérateur télécom avec lequel j’ai collaboré avait sept départements différents développant chacun leurs propres solutions d’IA, sans aucune coordination. Résultat : des efforts redondants, des systèmes incompatibles, et au final, plusieurs projets annulés après des millions dépensés. C’était du darwinisme numérique dans sa pire forme – des initiatives en concurrence pour des ressources, plutôt que des projets collaborant vers un objectif commun.
Négliger les fondamentaux
L’IA en entreprise, c’est comme une maison : on ne peut pas poser le toit avant d’avoir coulé les fondations et monté les murs. Pourtant, les entreprises tentent souvent de déployer des capacités avancées d’IA avant même d’avoir mis en place une infrastructure de données et des compétences analytiques de base.
L’IA n’est pas un bond technologique soudain ; c’est une évolution qui repose sur des bases solides. Les entreprises qui réussissent avec l’IA sont généralement celles qui ont déjà maîtrisé la gestion des bases de données, l’intelligence décisionnelle et l’analyse de données avant de se lancer dans le machine learning et d’autres technologies avancées.
J’ai conseillé un détaillant qui voulait mettre en place une tarification en temps réel et personnalisée grâce à l’IA. Mais il n’était même pas capable de produire des rapports de ventes hebdomadaires cohérents entre ses magasins. Il essayait de courir avant de savoir marcher, et comme on pouvait s’y attendre, le projet s’est effondré sous son propre poids.
Comment garantir le succès des projets d’IA ?
L’échec fréquent des projets d’IA n’est pas une fatalité. Les organisations qui abordent l’IA avec une planification rigoureuse, des ressources adaptées et des attentes réalistes maximisent leurs chances de succès.
- Partir des problèmes, pas de la technologie. Identifiez des défis métiers précis que l’IA peut résoudre et définissez des objectifs clairs et mesurables. Cela ancre le projet dans une réalité économique plutôt que dans un effet de mode technologique.
- Investir d’abord dans la qualité des données et l’infrastructure. N’oubliez pas que la qualité d’un système d’IA dépend entièrement des données qu’il traite. Assurez-vous d’avoir une base de données solide avant d’essayer de construire des capacités avancées.
- Traiter l’IA comme un changement organisationnel, pas juste un déploiement technologique. Impliquez les utilisateurs finaux dès le début et intégrez l’IA dans les processus de travail existants, en tenant compte du jugement humain.
- Adopter une approche progressive plutôt que de viser trop grand d’un coup. Commencez par des projets pilotes modestes qui apportent des résultats concrets, renforcent la confiance de l’organisation et permettent d’apprendre avant d’élargir l’initiative.
- Mettre en place une gouvernance claire. Définissez qui est responsable du projet, quels sont les cadres de décision et comment mesurer le succès. Définissez qui a le pouvoir de prendre les décisions clés lorsque des compromis seront nécessaires.
Au-delà de l’effet de mode
L’IA n’est pas une baguette magique – c’est un ensemble puissant de technologies qui, bien mises en œuvre, peuvent générer une immense valeur. Mais pour cela, il faut du pragmatisme, de la rigueur et des moyens, ce que beaucoup d’organisations sous-estiment.
Les entreprises qui réussissent avec l’IA ne sont pas forcément celles avec les plus gros budgets ou les technologies les plus avancées. Ce sont celles qui abordent l’IA avec un regard lucide sur ce qu’elle peut (et ne peut pas) faire, construisent des bases solides avant de viser des capacités sophistiquées, et comprennent que le changement technologique est avant tout un changement humain.
L’échec n’est pas une fatalité en IA. En tirant les leçons de ces erreurs courantes, les organisations peuvent transformer leurs initiatives en succès et éviter de rejoindre la longue liste des échecs coûteux du numérique.
Une contribution de Bernard Marr pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
À lire également : IA et données de mauvaise qualité : au-delà des erreurs, des risques juridiques et éthiques
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