Il est toujours difficile d’avancer des prévisions, en particulier sur des sujets qui émergent comme l’intelligence artificielle. Néanmoins, sans parler de prédictions, il est nécessaire de comprendre les occurrences d’un sujet pour s’orienter convenablement. Quelques analyses, méthodes et frameworks nous permettent d’identifier certaines tendances en matière d’intelligence artificielle. Par exemple la S innovation curve ou la hype cycle sont des théories qui nous permettent de visualiser des cycles d’innovations. Vous reconnaîtrez probablement la courbe d’évolution des technologies de Gartner.
Aujourd’hui j’aimerais partager avec vous une théorie développée dans une conférence par Benedicte Evans, un des partners du fonds d’investissement a16z, reconnu comme l’un des meilleurs fonds de venture capital au monde.
Cette théorie, appelée principe de la désagrégation des industries, explique trois choses :
- Une technologie ou une innovation qui devient mature entraîne la désintégration de son industrie en de multiples industries —> Désagrégation
- Ces multiples industries deviennent des marchés assez larges pour permettre à des services plus spécifiques d’exister —> Spécialisation
- De nouveaux services émergent en périphérie de ces nouveaux marchés
L’exemple le plus frappant est celui de l’industrie automobile.
Historiquement, Ford réalisait tous les composants (design des maquettes, construction du moteur, de la carrosserie, des roues, etc.) de ses voitures. L’industrie de l’automobile émergeait. Puis l’automobile fut de plus en plus adoptée (le marché devenait mature). La demande grandissante provoqua d’une part une augmentation des producteurs de voitures concurrents de Ford et d’autre part une course à la qualité.
Ce nouveau marché ne pouvait plus assurer une expertise sur toute la chaîne de production. Les industries des roues (Michelin) et des équipementiers (Bosh), par exemple, ont donc émergé pour permettre à ce nouveau marché de croître (désagrégation et spécialisation).
Face à cette innovation, de nouveaux services en périphérie comme l’industrie de la réparation de voitures (création de garages) ou du stockage de voitures (création de parkings) ont commencé à se former. Ce processus devient de plus en plus granulaire. On trouve désormais des micro niches comme la réparation de pare-brise (Carglass) ou de rétroviseurs qui sont des sous-marchés de la carrosserie, elle-même un sous-marché de l’automobile.
Aujourd’hui, il existe même une industrie de voiture autonomes. Cela induit la création de micro services comme par exemple des logiciels de vision (comme Mobileye), des capteurs (comme Velodyne), des plateformes de simulations (comme Cognata) pour supporter à son tour ce nouveau marché (voir çi-dessous).
L’industrie informatique, aussi, a connu ce phénomène. C’est ce qui permet aujourd’hui à l’industrie des API (crée à l’origine pour optimiser une fonction répétitive) comme Stripe ou Twillio d’être valorisées plusieurs milliards. Le mobile, quant à lui, a permis à des applications de devenir des industries à part entière (Uber et Instagram en sont de bons exemples).
L’intelligence artificielle n’échappe pas à ce phénomène. Elle-même est issue de la désagrégation de l’industrie du logiciel et de l’informatique. Et par implication, elle se désagrège : le machine learning devient une industrie à part entière.
Cela nous permet de faire ressortir quelques tendances de fonds sur le développement de services autour de l’intelligence artificielle pour 2020 :
- Une amélioration des services d’infrastructures
- L’essor de sociétés orchestratrices comme Databricks
- L’essor des sociétés de labellisations de données comme Playment ou Sequence.work
- L’essor de sociétés améliorant la puissance de calcul en créant de nouveaux processeurs comme Graphcore et Blaize ou en en améliorant le traitement actuel avec des CPU/GPU déjà existants comme NeuralMagic
- L’apparition de sociétés permettant à des start-up d’industrialiser leur produit d’IA facilement comme Petuum
- Une croissance des services liés à l’éthique et à la protection des données
- L’apparition de sociétés qui fournissent des règles éthiques et morales qui encadrent les services d’IA, comme Onetrust par exemple pour le RGPD. Puis, par cas d’usage comme le fait la CNIL pour la reconnaissance faciale
- L’émergence de services pour reconnaître ou prévenir l’altération de données, comme Photoshop le montre pour la retouche ici
- La création de sociétés développant des services avancés décentralisés de cryptographie ou de cyber sécurité pour la protection et l’analyse de données comme Cosmian
- Une émergence de nouveaux services connexes
- Le financement de sociétés développant des capteurs et objets connectés pour récolter des données, comme Luminar
- L’émergence de sociétés de services en IA spécialisées et verticalisées par industrie et par technologie. Si on suit cette logique, le futur serait de devenir expert de certains cas d’usages dans une industrie ou de certains types d’algorithme. On ne parlerait plus d’expert IA dans la banque mais d’expert de la fraude dans la banque, comme Shift Technology.
- La création de services qui facilitent la création de modèles, comme Sigopt ou Datarobot
- La croissance de services permettant aux néophytes d’utiliser des services techniques de façon plus intuitif. Salesforce a publié en 2017 un papier de recherche qui explique comment convertir automatiquement des questions (NLP) en requêtes (SQL).
- La création de services qui permettent d’améliorer le développement d’IA, comme la 5G comme l’explique Ericsson ici
- L’explosion de services qui permettent de faciliter le recrutement de profils techniques
- L’augmentation des cas d’usages dans les PME liés à l’automatisation et non à la prédiction
- La création de programmes de formations métiers pour appréhender l’IA, comme on le fait avec Axionable ou plus techniques en data engineering et cloud computing, comme OpenClassroom
- La convergence des formations ciblées en compétences rares et des écoles pluridisciplinaire dans l’enseignement supérieur. Par exemple, le wagon apprend aux étudiants d’écoles de commerce à coder.
- L’amélioration de la recherche fondamentale
- L’augmentation des papiers de recherches sur le traitement parallèle et l’optimisation des paramètres de réseaux de neurones
- La croissance des papiers de recherche sur les différents types d’apprentissages mixtes comme l’apprentissage semi supervisé
- Une croissance des initiatives de « edge computing ». Le cloud computing est une véritable révolution, certes grandissante, mais qui ne pourra jamais fournir la bande passante nécessaire pour des services critiques ou sur du temps réel. Imaginez devoir attendre la réponse de votre cloud pour que votre voiture autonome prenne une décision. Le traitement peut se faire en périphérie du réseau. Cela suscite évidemment des questions de performances en termes de puissance de calcul. Une voiture autonome aujourd’hui produit 1 Go de données par seconde !
- L’essor des protocoles qui travaillent sur la décentralisation de l’apprentissage d’un modèle d’IA comme DML
Tous ces sujets sont variés et non exhaustifs mais sont tous les dérivés de la désintégration de l’industrie créée par l’intelligence artificielle, qui devient mature, et qui pour exister doit se désintégrer, laissant l’opportunité à de nouvelles sociétés et services d’émerger.
<<< A lire également : Qui a peur de l’intelligence artificielle ? >>>
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