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Le parc immobilier français : géant endormi de la décarbonation

Le parc immobilier français : géant endormi de la décarbonation

Fréquemment pointées du doigt pour leurs impacts néfastes sur l’environnement, l’automobile et l’aéronautique concentrent nombre de critiques dans le débat climatique. Pourtant, un acteur majeur reste étonnamment sous les radars : le secteur immobilier. Aujourd’hui il s’agit pourtant du principal émetteur de gaz à effet de serre, avec des émissions pouvant atteindre jusqu’à 9 fois celles de l’aéronautique (Source : ADEME) ! Comment expliquer ce paradoxe ? Pourquoi l’immobilier demeure-t-il l’angle mort de la transition écologique ? Et surtout, quels sont les enjeux financiers qui gravitent autour de ce défi colossal ?

Une contribution de Frédéric Pedro, Président de la coopérative Investir Ensemble et de l’Association Immositive

L’immobilier : levier sous-exploité de la transition écologique

En France, 13 % des émissions de GES (Source : Ministères Territoires Ecologie Logement) sont liées à la partie technique de l’immobilier : production des matériaux (ciment, acier, verre…), travaux (construction, rénovation, démolition), ou encore transport et gestion des déchets. À cela s’ajoutent 23 % des émissions nationales (Source : Ministères Aménagement du Territoire Transition Écologique) directement issues de l’exploitation des bâtiments (chauffage, climatisation, éclairage, eau chaude sanitaire), en incluant l’électricité. Comparée à ses voisins européens, la France bénéficie d’un avantage notable grâce à son mix énergétique décarboné, dominé par le nucléaire et les énergies renouvelables. Cependant le secteur immobilier reste un gigantesque levier de transformation pour réduire les émissions de GES. Encore faut-il prendre des mesures.


La Réglementation Environnementale RE2020 a renforcé les exigences en matière de performance énergétique pour les constructions neuves, constituant une avancée majeure pour limiter leur empreinte carbone. Cependant, son champ d’application reste limité : les nouvelles constructions ne représentent qu’environ 1 % du parc immobilier chaque année (Source : ADEME). Par conséquent, l’immense majorité des bâtiments existants échappe à ces exigences, laissant un gisement d’économies d’énergie et de réduction des émissions largement inexploité. D’ici 2050, 85 % des bâtiments actuels seront encore en usage (Source : Commission Européenne). De plus, 20 millions de logements construits avant 1975, n’ont jamais été soumis à une réglementation thermique (Source : INSEE).

12 millions de Français vivent en situation de précarité énergétique

Bien qu’elles échappent à la réglementation RE2020, les rénovations ont toutefois bénéficié de certaines avancées avec l’introduction du DPE – Diagnostic de Performance Énergétique (équivalent du Nutriscore des bâtiments). Depuis le 1er janvier 2025 près de 600 000 passoires thermiques (principalement chauffées au fioul) sont interdites aux nouvelles locations. Cependant cette mesure ne concerne pas les locataires déjà en place, qui représentent 540 000 ménages. Cette situation met en lumière un constat indéniable : aujourd’hui plus de 12 millions de Français(7) vivent en situation de précarité énergétique !

Par ailleurs, il faudra attendre le 1er janvier 2034 pour que les logements classés DPE E soient interdits à la location. Aujourd’hui seuls 6 % des logements en France (Source : SNBC) affichent une performance énergétique classée en basse consommation (DPE A ou B). La situation est encore plus préoccupante pour les petites surfaces (souvent occupées par des jeunes ou des personnes vulnérables) où moins d’un logement sur 10 000 atteint ces standards. Les rénovations engagées se limitent généralement à des améliorations modestes, visant à atteindre la classe D, soit le seuil minimum non soumis à interdiction. Un manquement majeur pour atteindre l’objectif de 100 % de logements classés A ou B, préconisé par la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC).

Lever les freins structurels pour accélérer le changement

Avec l’objectif de convertir 100% du parc immobilier en DPE A ou B, on peut imaginer que les classements C et D seront potentiellement interdits et/ou soumis à un système de bonus/malus. Or beaucoup d’investisseurs immobiliers ne sont pas sensibilisés à ces enjeux et ne réalisent pas que cette situation risque de leur coûter plus cher à l’avenir.

Pour aller plus loin, il faut l’introduction d’autres solutions de financement et des actions politiques concrètes pour corriger les contradictions qui freinent la transition climatique : le manque de transparence des DPE, les refus injustifiés d’intégrer des panneaux solaires, les blocages sur l’installation de pompes à chaleur, l’interdiction d’accès à MaPrimeRénov’ pour les SCI et les professionnels, ou encore la formation obligatoire des artisans à un label de qualité environnementale…

Les rénovations globales, incluant une isolation renforcée, des systèmes énergétiques performants et des énergies renouvelables, doivent devenir la norme. Ces travaux doivent également s’accompagner de l’adoption de matériaux décarbonés, tels que le béton bas carbone, le bois, ou les isolants biosourcés.

Un enjeu financier colossal mais réalisable

Le secteur immobilier se trouve à un tournant décisif pour atteindre la neutralité carbone. Les investissements nécessaires pour rénover le parc immobilier existant, soit 15 millions de logements énergivores classés DPE E, F et G (Source : Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires), soulèvent des défis financiers colossaux.

Pour estimer ces coûts, il est nécessaire de partir d’hypothèses réalistes. La rénovation énergétique pour transformer un logement qualifié de passoire thermique (DPE F ou G) vers un logement classé DPE D coûte en moyenne 300 à 500 €/m2 (Source : Travaux.com). Avec une surface moyenne de 90 m2 par logement, cela représente un investissement estimé entre 27 000 et 45 000 € par foyer. En appliquant cette estimation aux 15 millions de logements énergivores, le coût total se situe entre 405 et 675 milliards d’euros.

Les travaux pour atteindre des DPE A ou B sont plus complexes, il faudrait alors au moins doubler cet investissement. On peut comprendre que face à ces chiffres impressionnants, la majorité des rénovations se limitent à des améliorations minimales. Toutefois, est-ce un challenge impossible ? La Suède offre un exemple inspirant de décarbonation quasi-totale du secteur immobilier avec -90% de GES en 20 ans alors que leurs hivers sont plus rigoureux ! Certes, ils s’y sont pris plus tôt avec des normes de performances obligatoires dès les années 1960 (triple vitrage, isolation renforcée) mais aussi via le développement massif d’un réseau de chaleur (90% des immeubles y sont raccordés), des pompes à chaleur, et surtout la mise en place diablement efficace d’une taxe carbone dissuasive à 120€ la tonne (Source : Public Sénat).

Pour atteindre la neutralité carbone, l’immobilier ne peut plus rester un angle mort des politiques climatiques. Il est le secteur clé, capable d’avoir l’impact le plus immédiat et le plus significatif. Cependant, cela ne se concrétisera que si la rénovation globale et l’utilisation de matériaux décarbonés deviennent des priorités absolues. L’avenir est énergétique, durable et surtout économiquement viable à condition d’agir dès maintenant. Il est grand temps que l’immobilier prenne sa place légitime au cœur de la transition climatique.


À lire également Future of Sustainability | Émissions de CO2 : 2025, le pic ou le point de non-retour ?

 

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