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Future of Sustainability | Les assureurs sont-ils prêts à faire face au changement climatique ?

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Parents take their children to visit and admire renewable energy windmills.The green technology industry produces fuel and energy from wind energy.

Plus un été sans son lot de méga feux, un automne sans ses inondations meurtrières, un hiver sans ses ouragans dévastateurs… le changement climatique est bien là et ses conséquences déjà visibles. Si cette crise mondiale n’épargne aucun secteur économique, rares sont ceux aussi directement concernés que celui de l’assurance. Entre la multiplication des catastrophes naturelles, les pertes économiques exponentielles et la pression publique croissante, les assureurs se trouvent au cœur de la tourmente. D’un côté, le secteur de l’assurance est mis au défi de rester financièrement viable tout en assurant la protection des populations à un coût accessible. De l’autre, il reste accusé de porter une part de responsabilité en continuant à soutenir, par ses investissements, les industries fossiles, principal moteur du réchauffement climatique.

France Assureurs, organisme représentant les assureurs en France, estime que les catastrophes naturelles en France en 2023 ont coûté la bagatelle de 6,5 milliards d’euros, contre une moyenne de 3,7 milliards d’euros par an entre 2010 et 2019. Une hausse directement liée à l’augmentation du nombre et de l’ampleur des événements climatiques extrêmes. Le secteur de la réassurance est bien évidemment également en première ligne, fragilisant encore davantage les fondements du modèle assurantiel actuel. Ainsi les investisseurs en obligations catastrophe commencent à sérieusement s’inquiéter de potentielles pertes colossales à venir, affaiblissant considérablement l’attrait que pouvait représenter ce marché. Le secteur est non seulement sollicité pour couvrir des sinistres de plus en plus fréquents, mais aussi pour s’adapter à une réalité climatique qui bouleverse complètement les modèles de risque sur lesquels il repose.

« Crise de l’assurabilité »

Alors que les primes augmentent, certains clients, notamment dans les zones les plus exposées, se trouvent déjà sans couverture, faute de tarifs accessibles ou tout simplement, parce que les assurances refusent de prendre des risques qu’elles estiment surestimés. C’est le cas par exemple de la commune des Sables-d’Olonne qui a vu son dernier appel d’offres rester sans réponse. Cette dynamique, que certains appellent la « crise de l’assurabilité », rend l’accès aux assurances de plus en plus inégalitaire. Si des ajustements se justifient en matière de tarification et de produits afin de s’adapter à la réalité changeante du réchauffement climatique et de ses conséquences, une intervention structurelle, elle, est essentielle.

Car le secteur de l’assurance n’est pas seulement un acteur passif face au changement climatique, il est aussi un contributeur indirect. En continuant d’assurer voire même d’investir dans les infrastructures des énergies fossiles – exploration pétrolière, forages en haute mer, charbon – les assureurs jouent un rôle de facilitateur, soutenant des projets destructeurs pour le climat. Ce soutien financier est en total décalage avec les objectifs de l’Accord de Paris mais également avec la pérennité du secteur en lui-même.

Cette contradiction devient difficilement acceptable aux yeux du public et de certains États, qui appellent à une transparence accrue sur les investissements et les garanties de l’industrie. Le secteur assurantiel doit faire un choix : continuer à soutenir un modèle économique obsolète, ou se réinventer en alignant ses politiques de souscription et d’investissement avec des objectifs climatiques clairs. Les avancées sont encore timides, mais quelques acteurs commencent à exclure certaines industries fossiles de leurs couvertures, signe d’une prise de conscience certes tardive, mais réelle.

Face à ces défis, l’implication de l’État est indispensable pour structurer une réponse cohérente. Le régime des CatNat en France – un mécanisme de réassurance géré par l’État pour couvrir les risques de catastrophes naturelles – est un exemple crucial. Toutefois, ce système peine à suivre le rythme de l’évolution climatique. Les contributions des assureurs, et in fine des assurés, à ce fonds devraient être revues pour prendre en compte la fréquence et l’intensité croissantes des catastrophes climatiques. L’augmentation annoncée de 75 millions d’euros du fonds Barnier, financé par la contribution CatNat et visant à prévenir les risques naturels semble être une mesure bien faible compte tenu des besoins actuels qui se chiffrent en milliards.

Au-delà du modèle CatNat, l’État doit également adopter une régulation plus stricte, incitant les assureurs à se désengager des énergies fossiles et à soutenir la transition énergétique. Une régulation prudente est nécessaire, mais elle doit aussi être ferme. En introduisant des incitations pour les assureurs qui s’engagent dans des projets bas carbone ou en pénalisant ceux qui persistent à investir dans des secteurs délétères. L’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (Eiopa) a par exemple recommandé d’augmenter de 40% les charges en capital des assureurs investissant dans les énergies fossiles.

Le troisième Plan français d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC) présenté la semaine dernière par le gouvernement a mis dans la liste de ses priorités la mise en place d’un “dispositif pour inciter les assureurs à maintenir une offre assurantielle abordable et disponible sur tout le territoire et à ne pas délaisser les zones les plus à risques”. Si pour l’instant cette mesure reste floue quant à ses modalités de mise en œuvre, elle a pour le moins le mérite de montrer que l’Etat s’est effectivement saisi de la question.

Tournant historique

Certes, le secteur de l’assurance a commencé à intégrer la question climatique dans ses décisions, notamment en adaptant ses modèles de prévision des risques et en se diversifiant vers des placements plus verts. Plusieurs grands groupes ont pris des engagements pour réduire l’empreinte carbone de leurs portefeuilles et diversifier leurs investissements. Cependant, ces démarches restent souvent insuffisantes et inégales d’un acteur à l’autre. Les engagements pris aujourd’hui n’ont de sens que s’ils sont vérifiables et assortis de mesures concrètes et quantifiables.

La collaboration entre les assureurs, les réassureurs et les États doit donc s’intensifier pour mutualiser les efforts. Les partenariats public-privé sont notamment cruciaux pour soutenir des actions préventives et réduire les risques en amont, en encourageant une meilleure gestion des risques climatiques et en promouvant des politiques de prévention.

Le secteur de l’assurance est à un tournant historique. S’il continue sur sa lancée actuelle, les conséquences du changement climatique risquent de l’entraîner vers une crise d’ampleur, où certains risques deviendront simplement « non assurables » laissant démunies ou à la seule charge de l’Etat les victimes du changement climatique. Au lieu de cela, le secteur a une opportunité unique de devenir un acteur de la transformation en soutenant les économies bas carbone et en se retirant des énergies fossiles. Pour que cela soit possible, il est crucial que les gouvernements et l’Union européenne agissent avec fermeté, en adaptant les régulations et en renforçant les incitations pour encourager cette transition.

Si l’industrie de l’assurance veut être vue comme un pilier de résilience plutôt que comme un frein au progrès climatique, elle doit s’engager sans équivoque. Le changement climatique est une réalité ; à l’industrie de l’assurance de prouver qu’elle est capable de faire face à cette réalité avec courage et responsabilité.


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