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Future of Sustainability | L’économie sans biodiversité : une route sans issue

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Future of Sustainability | L’économie sans biodiversité : une route sans issue

Si le réchauffement climatique et ses conséquences tiennent le haut du panier en matière de politique environnementale, une autre crise majeure, tout aussi menaçante pour notre avenir, demeure largement occultée : l’effondrement de la biodiversité. Pourtant, cette crise ne menace pas seulement les écosystèmes, elle met également en péril nos économies.

Une contribution de Thomas Guyot, CSO de Tennaxia

On estime aujourd’hui que 80% des habitats naturels de l’Union européenne sont en mauvais état. Selon la Banque centrale européenne, 72 % des sociétés non financières européennes dépendent directement des services écosystémiques, et 75 % des prêts aux entreprises dans la zone euro sont accordés à celles qui dépendent d’au moins un écosystème. La biodiversité n’est donc pas seulement un enjeu environnemental, c’est un pilier essentiel de notre prospérité économique.

La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) européenne a certes intégré la biodiversité dans ses sujets d’analyse, mais cette dernière reste traitée de manière marginale par rapport aux obligations relatives au climat. Dans le cadre de la constitution de leur rapport de durabilité, les entreprises doivent mesurer leur impact sur la biodiversité et évaluer les risques et opportunités associés à son érosion.


Cependant, le cadre réglementaire leur laisse une porte de sortie : elles peuvent déclarer que leur impact est nul sans fournir de justification tangible. Une latitude qui contraste avec la rigueur imposée en matière de réchauffement climatique, où la neutralité d’impact y est difficilement défendable. Par ailleurs, la CSRD en elle-même est actuellement remise en question car jugée trop complexe par certains acteurs économiques.

Les crédits biodiversité, une réponse adaptée ?

Pourtant, certaines entreprises commencent à prendre des initiatives concrètes. Dans les secteurs de l’agroalimentaire, certains efforts sont menés pour régénérer les sols et protéger les pollinisateurs. D’autres industries intègrent des critères stricts de biodiversité dans leurs chaînes d’approvisionnement, limitant l’utilisation de matières premières issues de la déforestation ou favorisant les cultures durables. Le secteur financier, quant à lui, commence à intégrer les risques biodiversité dans ses décisions d’investissement.

Dans cette dynamique, le gouvernement français a récemment mis en avant un nouvel outil, certes controversé : les crédits biodiversité, largement promus par la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher. Inspirés du marché du carbone, ces crédits visent à compenser la destruction de certains écosystèmes en finançant des projets de restauration ailleurs. Si ce mécanisme pourrait, en théorie, encourager les entreprises à investir davantage dans la protection de la biodiversité, il soulève aussi de nombreuses interrogations quant à son efficacité réelle.

La Conférence des parties sur la biodiversité (COP16), qui s’est tenue en novembre 2024 à Cali, a encore une fois démontré le manque d’engagement politique et économique sur le sujet. Tandis que la COP climat bénéficie d’une couverture médiatique massive et mobilise les chefs d’État, sa “petite sœur” peine à susciter le même engouement. Pire encore, la session de Cali s’est achevée sur une impasse, marquée par le départ prématuré des délégués avant même la conclusion d’un accord financier. Ce n’est qu’en février 2025 qu’un compromis tardif a été trouvé, sous la pression de la société civile et de certaines nations en première ligne face à l’érosion de la biodiversité.

Dans le même temps, l’Union européenne a récemment adopté la loi sur la restauration de la nature, un texte ambitieux visant à restaurer au moins 20 % des terres et des mers dégradées d’ici 2030. Une avancée significative qui pourrait, si elle est correctement mise en œuvre, constituer un levier majeur pour la transition écologique des entreprises et la préservation des services écosystémiques dont elles dépendent.

Le sujet de la biodiversité en débat

Mais en parallèle, la question de la biodiversité est de plus en plus instrumentalisée sur la scène politique française. L’Office français de la biodiversité (OFB), acteur clé dans la préservation des écosystèmes hexagonaux, fait ainsi régulièrement l’objet d’attaques de la part de certains responsables politiques, à l’instar, dernièrement, de Laurent Wauquiez. Ces critiques s’inscrivent dans un climat de tension où la protection de la nature est perçue par certains comme une entrave au développement économique.

Ainsi, la loi d’orientation agricole adoptée en février dernier par le Parlement suscite des inquiétudes en raison de ses impacts potentiellement négatifs sur la biodiversité. Elle introduit des assouplissements concernant l’usage des pesticides, facilitant potentiellement le retour de produits chimiques nuisibles pour les écosystèmes. D’autres mesures, comme la destruction des haies, essentielles à la biodiversité, sont également assouplies. En privilégiant une logique plus productiviste, cette loi pourrait freiner certains efforts pour préserver la nature.

Malgré ces obstacles, des signaux positifs émergent. La pression des investisseurs et des consommateurs pousse certaines entreprises à aller au-delà des simples déclarations d’intention. Des labels et des certifications plus exigeants voient le jour, incitant à une transformation plus profonde des pratiques. La nouvelle réglementation européenne, bien que perfectible, peut aussi constituer aussi un levier de changement.

Il est crucial que la biodiversité retrouve une place centrale dans les débats environnementaux, au même titre que le climat. Les entreprises doivent également reconnaître son importance pour la pérennité de leurs modèles économiques. Sans nature, il n’y a pas d’économie à préserver. Mais avec des actions concrètes et une mobilisation accrue, une transition positive est encore possible…

 


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