La justice climatique est-elle en passe de devenir une réalité ? Une étape décisive vient d’être franchie avec l’implication de la Cour Internationale de Justice (CIJ), principal organe judiciaire des Nations Unies, dans la lutte contre l’impunité climatique. Depuis la semaine dernière, la CIJ s’est lancée dans une vaste série de consultations, interrogeant les représentants de 98 pays et de 12 organisations internationales. Saisie par le Vanuatu, un État insulaire en première ligne face aux conséquences du réchauffement climatique, l’Assemblée générale de l’ONU a ainsi mandaté la CIJ pour émettre un avis consultatif sur les obligations juridiques et financières des États en matière de protection environnementale.
Cette démarche est largement saluée par de nombreux activistes du climat et par les pays du Sud, désespérés de voir enfin les Etats du Nord assumer, même sous contrainte, leur responsabilité dans la hausse des températures terrestres et le changement climatique qui en découle. Elle est bien sûr regardée avec beaucoup plus de scepticisme par ces mêmes États du Nord, principaux responsables des émissions historiques de gaz à effet de serre, qui ont pris l’habitude de s’enfermer dans un discours dilatoire et refusent encore de financer de manière équitable les politiques de transition et d’adaptation des pays les plus vulnérables. Les résultats de la dernière COP sont particulièrement éloquents à ce sujet.
Face à cette injustice flagrante, la justice climatique apparaît comme une arme pour exiger des réparations et faire pression sur les États pollueurs. Les consultations en cours à la CIJ visent ainsi à poser un cadre juridique universel. Bien que non contraignant, l’avis des juges pourrait devenir un outil stratégique pour enclencher des poursuites judiciaires à l’échelle mondiale.
Alors pourquoi la justice climatique est-elle importante ? Beaucoup diront qu’il est surtout temps d’agir et non pas de chercher des coupables, d’autant plus que la faute semble être partagée. Ce discours, qui évite soigneusement toute remise en question, aurait pu être louable si et seulement si les fautifs supposés agissaient de manière concrète et proportionnée contre le réchauffement climatique. Or les faits sont tenaces et montrent bien que les engagements volontaires ne suffisent pas. Et c’est bien ce que démontrent les premières grandes décisions prises à travers le monde en matière de justice climatique. Loin de se limiter à désigner des coupables, elle impose des obligations concrètes et mesurables en matière de protection de l’environnement et des populations.
Les précédents judiciaires en témoignent. En France, dans le cadre de l’Affaire du Siècle, l’État a été reconnu coupable d’inaction climatique et sommé de prendre des mesures pour respecter ses objectifs de réduction des émissions. Aux Pays-Bas, la Cour suprême a contraint le gouvernement à réduire ses émissions de 25 % d’ici 2020, une décision historique qui a inspiré des actions similaires à travers le monde. Plus récemment, en Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a pour la première fois lié inaction climatique et violation des droits humains, ouvrant une brèche décisive dans la lutte juridique pour le climat.
Si la décision de la CIJ concerne principalement les procédures engagées contre les Etats, elle ouvre la voie vers une meilleure reconnaissance des climaticides de manière plus générale et pourrait à terme menacer directement les entreprises. La loi Barnier qui établit le principe de pollueur-payeur ou la future CSDDD instaurant un devoir de vigilance européen en matière de protection de l’environnement et de respect des droits de l’Homme font partie de cet arsenal juridique qui permet petit à petit de construire une véritable justice climatique.
De surcroît, la reconnaissance croissante du droit à un environnement sain, désormais adoptée par plus de 150 pays, offre de nouvelles bases pour contester les atteintes à l’écosystème et contraindre les acteurs privés et publics à rendre des comptes.
La justice climatique n’est donc pas une option, elle est une nécessité. Elle constitue le seul espoir pour les premières victimes du réchauffement climatique d’obtenir réparation et pour la communauté internationale de garantir un cadre contraignant aux engagements environnementaux. En plaçant les droits humains au cœur des enjeux climatiques, elle redéfinit les responsabilités des États et des entreprises, tout en créant un puissant effet dissuasif.
Alors que les litiges climatiques explosent (le nombre de recours ayant doublé en cinq ans selon l’ONU), l’inaction n’est plus une possibilité. Les juges de la CIJ ont entre leurs mains une opportunité historique : poser les fondations d’un droit international capable de briser le cercle vicieux de l’irresponsabilité climatique. Le cynisme des pays riches doit céder la place à une justice fondée sur l’équité, la solidarité et l’urgence d’agir pour l’avenir de notre planète.
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