Qu’a bien pu faire la CSRD pour mériter un tel acharnement ? La directive européenne sur le rapport extra-financier est bien devenue la cible privilégiée de politiciens prétendant lutter contre la complexité administrative européenne.
Cette fois, c’est Stéphane Séjourné, nouveau Commissaire européen à l’industrie, qui, sur France Inter a évoqué une “suppression du reporting” dans la future loi Omnibus européenne, déclenchant immédiatement un vent de panique et d’indignation de la part de tout un écosystème RSE mais également d’entreprises parmi lesquelles Nestlé, Mars, Unilever ou encore Primark, qui, soumises dès cette année à la directive, ont invité la Commission européenne à ne pas toucher au texte afin d’éviter une nouvelle instabilité juridique.
Si l’eurodéputé a précisé ses propos dès le lendemain, évoquant finalement une “simplification drastique” du reporting, le mal était fait. Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, a surenchéri dans les jours qui ont suivi en qualifiant la CSRD “d’enfer pour les entreprises.”
Un Pacte Vert européen en débat
La CSRD semble être devenue le point focal d’une bataille idéologique. La directive est désormais au cœur d’un conflit institutionnel opposant lobbyistes, politiciens et idéologues de tous bords. Sous le prétexte de la simplification, c’est le Pacte Vert européen lui-même qui est visé. Après la CSRD, la CS3D, adoptée difficilement en 2024, devient la nouvelle cible des critiques. Didier Lombard, ministre de l’Économie, a ainsi, dans la foulée, réclamé la suspension de la directive européenne sur le devoir de vigilance en matière de droits de l’homme et d’impacts environnementaux.
Il est étrange de voir que ce sont ceux qui ont porté et défendu ce Pacte Vert qui aujourd’hui s’attèlent à le démanteler. Car l’équipe dirigeante de l’Union européenne, toujours menée par Ursula Von der Leyen, a finalement peu changé. Mais ce retournement est une conséquence concrète des nouveaux équilibres qui se sont formés au Parlement européen depuis les dernières élections. La montée en puissance de la droite et de l’extrême droite a rebattu les cartes. Et, à l’image de ce qui se passe outre-atlantique, ces groupes semblent avoir érigé l’écologie comme mère de tous les maux.
Et pourtant, la CSRD n’a rien du cauchemar bureaucratique que certains dénoncent. Bien au contraire, elle répond à une nécessité concrète et est déjà, en soi, un outil de simplification.
Les problématiques de développement durable sont une véritable préoccupation des sphères tant financières que réelles de l’économie. C’est également une préoccupation directe de tous, consommateurs, actifs, retraités, jeunes… de tous les citoyens. La CSRD est simplement un outil permettant de structurer une réponse à la question que posent légitimement les acteurs économiques : quel est mon impact, et comment puis-je le rendre meilleur ?
Simplifier mais pas dénaturer
Ce standard européen de rapport extra-financier offre aux entreprises un cadre harmonisé et clair, là où elles devaient auparavant jongler avec des formats multiples imposés par leurs parties prenantes, notamment les investisseurs. En effet, loin d’être une invention européenne, le reporting ESG existait bien avant la CSRD. Celle-ci simplifie ces exigences tout en apportant une cohérence européenne.
Par ailleurs, sa prétendue complexité est largement exagérée. Sur les 1178 datapoints listés dans les ESRS, la plupart des entreprises ne vont devoir en compléter qu’une fraction sélectionnée au terme de leur analyse de matérialité et dont la très large majorité sera qualitative (objectifs fixés, actions menées, ressources déployées…). Les ETI et les grands comptes disposent largement des moyens nécessaires pour s’y conformer et le font déjà depuis plusieurs années pour nombre d’entre eux.
Si choc de simplification il doit y avoir, il doit concerner les TPE/PME pour lesquelles le reporting extra-financier est un exercice nouveau. Elles pourraient bénéficier d’une version simplifiée leur permettant de monter en compétences via un apprentissage progressif. Les modalités d’audit dans ce cadre pourraient également être révisées afin de ne pas leur mettre une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Mais simplifier ne doit pas devenir un prétexte pour dénaturer la CSRD. Ce texte incarne une ambition : faire de l’Union européenne un leader de l’industrie verte. Si nous abandonnons cette perspective, quelle alternative nous propose-t-on dans un monde confronté à une crise climatique qui pourrait nous conduire à +3°C ?
En s’attaquant à la CSRD, c’est l’avenir même du Pacte Vert qui est mis en péril. L’urgence climatique ne peut être sacrifiée sur l’autel de calculs politiques à court terme.
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