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Crise climatique et sociale : de l’urgence du réarmement démocratique de notre économie

Une contribution de Lucas Rochette-Berlon, fondateur et PDG de Bancoop

 

Cette année encore, des dizaines de milliers de foyers ont été sinistrés par les crues, les incendies et autres catastrophes naturelles. Un tiers de la population française n’a pas toujours la capacité de manger à sa faim. 3000 enfants dorment à la rue[1]. Et des millions de personnes ont froid l’hiver. Des chiffres glaçants. Pourtant, il ne s’agit pas là d’un scénario de fin du siècle ou d’une vision de l’autre bout du monde. Cela se passe en 2024, en France, 7ème puissance économique mondiale[2]. Il est urgent de reconnaître et d’assumer la responsabilité de notre système bancaire et financier dans l’alimentation et la perpétuation des crises climatiques et sociales que nous traversons aujourd’hui.

 

Un système monétaire et financier antiécologique…

Nous nous trouvons aujourd’hui toutes et tous à un carrefour stratégique. Si l’on n’agit pas de notre vivant, nous laisserons place à un effondrement climatique qui rendra notre Terre invivable. Mais rien n’est perdu. Nous avons encore quelques années pour redresser la barre et réduire la catastrophe au maximum. Or pour cela, nous devons changer la trajectoire de toute une industrie : celle de la finance. Pour preuve : les financements des banques françaises sont responsables de 7,9 fois plus d’émissions de CO2que le pays tout entier[3]. Un chiffre colossal.

Alors certes, notre mix énergétique est bien plus vertueux que d’autres, mais une chose est sûre : notre épargne, souvent durement accumulée, sert directement à financer les énergies fossiles. Mines de charbon en Allemagne et en Australie, projets pétroliers en Afrique et en Arctique, … malgré les promesses faites à la COP21, les banques européennes ont financé 1011 milliards d’euros de projets pétroliers et gaziers entre 2016 et 2023[4]. Mais ont-elles seulement consulté leurs clients et clientes pour cela ? Ces investissements sont faits au nom de la population française sans son accord, consentement, ou connaissance. Or la trajectoire de notre économie, telle que financée actuellement par les banques, nous pousse inéluctablement vers un réchauffement climatique de +4 degrés[5], un scénario cataclysmique pourtant très probable si l’on ne se mobilise pas, très loin donc de l’objectif des 1,5 ou 2 degrés des Accords de Paris.

Pourtant, on le sait, chaque euro déposé en banque peut avoir un impact positif potentiel beaucoup plus fort que les gestes individuels du quotidien. Preuve en est : opter pour un comportement presque « sacrificiel » (via l’usage exclusif de modes de transport durables, d’une alimentation 100% végétarienne, bio et locale, etc.) permet seulement de réduire ses émissions de CO2de deux à trois tonnes par an. À l’inverse, le simple fait de se tourner vers une épargne décarbonée permettrait d’éviter l’émission de plusieurs dizaines de tonnes de CO2 annuellement (pour une épargne moyenne) ! Il est temps d’arrêter d’opposer une écologie perçue comme punitive et culpabilisante à une écologie des petits pas sans volonté systémique. La responsabilité de la crise climatique est avant tout collective, financière et politique. Pour préserver l’habitabilité de la Terre, nous n’avons donc d’autres choix que de rediriger les flux financiers. Or, parce qu’elles sont tenues par des conflits d’intérêts (leurs actifs fossiles représentant 95% de leurs fonds propres), on ne peut compter sur les banques traditionnelles et le monde de la finance ancienne pour opérer ce changement de modèle. De fait, l’action écologique la plus puissante à mener au niveau individuel reste de changer de banque – de sorte à flécher son épargne personnelle vers des projets à impact positif -, ce qui, en plus, requiert moins d’efforts que de changer radicalement son mode de vie.

 

… et destructeur des valeurs sociales françaises

Ces mêmes institutions bancaires ont également une responsabilité fondamentale face aux inégalités sociales sans cesse plus prégnantes, en ce qu’elles participent à les créer et les perpétuer. En effet, la situation sociale et financière d’une personne dépend, encore aujourd’hui, en très grande partie de l’accès au capital et au crédit de ses ascendants. Les pratiques discriminatoires quasi-systématiques des banques (dans l’accession aux crédits, les autorisations de découvert, voire l’accès à un rendez-vous avec un conseiller) ont un impact énorme sur ce à quoi ressemblera notre pays dans une trentaine d’années… mais aussi très concret sur le quotidien de millions de personnes. Plus encore, parce qu’elles ne prêtent pas suffisamment bien aux collectivités, les banques françaises freinent la rénovation, pourtant essentielle, des bâtiments publics, mettant en danger les citoyens et faisant exploser leurs factures énergétiques. Par ailleurs, et ce n’est pas une surprise, le système financier n’a pas pour intérêt une juste redistribution des richesses, bien au contraire. Les prises de décisions liées aux marchés boursiers sont le plus souvent en défaveur de la préservation de l’emploi ou de l’outil de production. Enfin, l’inflation actuelle est en grande partie liée à l’augmentation des marges de grands groupes cotés. Le besoin de rémunérer le système financier a donc un impact direct sur la vie de chacun et chacune, ne serait-ce qu’à travers de l’augmentation des prix à la consommation ou de la précarité…

Ne serait-il pas temps de redonner un peu de pouvoir aux citoyens et citoyennes ? Le moment n’est-il pas venu de leur accorder plus de confiance quant à leurs prises de décisions ? Regardons les choses en face : les systèmes capitalistes et communistes traditionnels ont tous deux montré, par le productivisme et l’extractivisme, qu’ils n’étaient pas une solution face aux crises écologiques et sociales du monde moderne. Il est donc urgent de trouver collectivement un nouveau modèle global associant travailleurs et travailleuses, consommateurs et consommatrices, parties prenantes publiques et privées, et toute la société, et visant à construire des alternatives coopératives – comme les Licoornes – dans tous les domaines de l’économie, à commencer par le secteur bancaire et financier. J’en appelle donc à nos concitoyens et concitoyennes, ainsi qu’aux dirigeants et dirigeantes politiques et économiques, il est l’heure de prôner le réarmement démocratique, économique et écologique de la France par la coopération !

 

[1] Selon la délégation aux droits des femmes, 2024.

[2] FMI, 2023.

[3] « Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré » OxFam / Carbone 4, 2020.

[4] « Great Green Investment Investigation Part II : Fossil Finance », The Guardian.

[5] Selon les prévisions du ministère de la Transition écologique

 


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