SPORT | Le 18 décembre dernier, la Coupe du monde de foot a vu la victoire de l’Argentine face à la France lors d’une finale homérique. Mais le Qatar, pays organisateur, a-t-il tiré les marrons du feu ? À Doha, en tous cas, on ne regrette pas l’investissement colossal consacré à l’événement.
Loin du tumulte et des polémiques qui l’ont précédée, la coupe du monde de football qui a eu lieu au Qatar en décembre 2022 s’est finalement passée sans heurts, quasiment sans incident, et a recueilli un large succès de fréquentation et d’audience télévisée. Fut-elle pour autant un succès économique et politique pour le Qatar qui a voulu devenir le centre du monde pendant un mois ? Aux dires des autorités du pays, dont nous avons rencontré plusieurs représentants, la satisfaction est de mise. « Nous avons démontré au monde que le Qatar pouvait organiser un événement d’une telle ampleur, alliant sûreté, sécurité et diversité, nous a confié une source gouvernementale. C’était important pour notre pays mais aussi pour tout le Moyen-Orient et, au-delà, l’ensemble du monde arabe. » La réunion de la Ligue arabe qui a précédé la coupe du monde avait d’ailleurs montré une grande solidarité vis-à-vis de Doha, même venant d’un pays tel que l’Arabie saoudite qui a connu une période de tension avec son voisin du Golfe. Les relations entre les deux pays les plus influents de la zone se sont d’ailleurs nettement améliorées, un apaisement indubitablement lié au rendez-vous sportif le plus important de la planète avec les Jeux olympiques.
Un accélérateur d’investissements
Sur le plan économique, beaucoup a été dit et écrit sur « la mauvaise opération » du petit royaume qui a investi quelque 200 milliards de dollars pour moins de 30 milliards de revenus. Au sommet de l’État du Qatar, on reste optimiste malgré les chiffres annoncés. « Il y a eu un certain nombre de malentendus concernant les investissements réalisés en vue de la Coupe du monde, rétablit un proche du dossier. Pour le foot stricto sensu, nous avons dépensé environ 7 milliards de dollars. Le reste des dépenses concerne principalement des investissements que nous souhaitions réaliser à plus long terme notamment dans les infrastructures comme le métro, l’aéroport, les autoroutes, les bâtiments et centres médicaux, entre autres. La Coupe du monde a joué un rôle d’accélérateur pour notre pays et même l’ensemble de la région. »
Côté recettes, si, en effet, Doha confirme un total de 30 milliards environ générés par l’événement, l’une de nos sources précise aussi que le boom du tourisme au Qatar est sans précédent. Depuis le début de l’année, on constate une progression constante du secteur, une activité hôtelière redynamisée et des projets d’événements qui se multiplient. Il s’agit donc de retombées indirectes qui laissent augurer un futur radieux pour le tourisme qatarien qui doit faire face à ceux de ses voisins et concurrents, principalement l’émirat de Dubaï et le sultanat d’Oman. « Des centaines de millions de personnes ont découvert que le Qatar présente beaucoup d’atouts naturels et culturels, tout en offrant un accueil chaleureux aux visiteurs, avec des établissements de grande renommée et d’autres plus accessibles et également de grande qualité. » Des palaces tels que le spectaculaire Fairmont (5 étoiles) ou le très élégant Raffles (6 étoiles), à Doha, sont en effet susceptibles de satisfaire une clientèle en quête d’hyper-luxe et de raffinement extrême. Mais un five-stars comme le Al Wadi MGallery, dont les tarifs s’avèrent très concurrentiels pour un hôtel de ce niveau, comblera aussi les guests par un confort sans faille et une situation exceptionnelle au cœur de la capitale, à quelques pas des souks Al Waqif, parmi les plus beaux et les mieux sécurisés du Moyen-Orient. Quant à l’offre de restauration, elle en étonnera plus d’un avec ses chefs étoilés français et italiens mais aussi d’excellentes tables défendant les couleurs locales tout comme les auberges plus modestes du souk, qui ne déparent pas dans le tableau général.
Le soft power du ballon rond
Reste le volet politique de l’image du pays. Celle-ci a-t-elle plus souffert des polémiques qui ont précédé la Coupe du monde que profité de la manifestation elle-même ? Difficile de répondre à cette question même si l’impression laissée a posteriori paraît positive. L’absence d’alcool dans les stades, par exemple, qui a tant fait couler d’encre pendant les semaines qui ont précédé l’événement, n’a en fin de compte pas suscité tant de frustration. Les spectateurs qui voulaient fêter les victoires ou noyer leur chagrin après une défaite pouvaient le faire hors des enceintes des stades, dans certains hôtels ou restaurants. Et comment ne pas rapprocher l’absence d’affrontements entre supporteurs pendant ce mois de tous les dangers de cette interdiction si décriée de consommer de l’alcool dans les stades ?
D’une manière générale, le Qatar a présenté le visage d’un pays tranquille où la sécurité n’est pas une vague notion, propre, et où les libertés individuelles sont respectées. « Pourvu que l’on respecte aussi notre culture », rappellent systématiquement les officiels qatariens, qui considèrent cette forme de réciprocité comme un équilibre satisfaisant. Il y a eu aussi un brassage de populations qui suscita des proximités heureuses. Entre supporteurs palestiniens et israéliens, russes et ukrainiens, par exemple. Un affichage en phase avec la volonté politique de Doha de jouer les médiateurs sur la scène internationale. « Sur de nombreux théâtres de conflits, nous maintenons une position équilibrée qui nous permet de parler à toutes les parties, nous a confié une source diplomatique qatarienne. Cela n’a pas toujours été facile mais nous sommes déterminés à jouer un rôle positif pour promouvoir tout effort de dialogue ou de médiation visant à mettre fin aux conflits de manière pacifique. » Cette position singulière permet à ce petit royaume ne comptant que 350 000 sujets (le pays compte 80 % d’étrangers sur les 2,6 millions d’habitants) d’exister fortement face aux potentielles menaces représentées par ses puissants voisins.
Il reste que le Qatar aimerait bénéficier d’un traitement plus favorable dans la presse occidentale, où l’on s’attarde plus volontiers sur son lobbying effréné au Parlement européen que sur ses récentes avancées politiques et sociales. Le Qatar a aboli récemment la Kafallah qui oblige les travailleurs étrangers à remettre leur passeport à leurs employeurs qatariens, les soumettant au bon vouloir de ces derniers, alors que cette disposition coranique existe toujours dans les autres pays de la région, même à Dubaï que l’on présente généralement comme l’émirat le plus ouvert. Le Qatar a par ailleurs injecté une respiration démocratique dans son système politique en décidant qu’une partie de ses représentants au Parlement soit élu par le peuple, à côté de ceux qui sont nommés par le pouvoir suprême. Ces thématiques-là sont rarement évoquées dans la presse internationale et le soft power du ballon rond n’y a rien changé.
Cet article a été écrit par notre envoyé spécial : YVES DERAI