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Zuckerberg 20 ans d’un mythe… et de quelques réalités

Zuckerberg

Avec Facebook, il est devenu un des hommes les plus riches du monde, mais aussi un symbole de l’entrepreneur de la Silicon Valley. Mais il est loin d’être admiré comme l’a été Steve Jobs ou comme l’est le controversé Elon Musk. Au contraire : l’ancien étudiant de Harvard est souvent moqué pour son manque de charisme et ses ratés. Forbes France a discuté avec Anthony Galluzzo, auteur du Mythe de l’entrepreneur.

Un article issu du numéro 26 – printemps 2024, de Forbes France

 

L’habit ne fait sans doute pas le moine, mais pour sûr que le hoodie (ce sweat à capuche avec ou sans fermeture éclair) fait l’entrepreneur de la tech. Surtout quand on est forcé de l’enlever. Été 2010, Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, déjà le réseau social le plus puissant du monde, est invité à participer à la conférence D8, un des rendez- vous majeurs de la tech à l’époque. Sur scène, il est interrogé par deux journalistes du Wall Street Journal. Face aux questions des deux rubricards, Zuckerberg est gêné, il balbutie, transpire à vue d’œil. La journaliste Kara Swisher lui propose d’enlever son survêtement, Zuckerberg accepte et dévoile l’intérieur de son hoodie : y est brodé un étrange symbole, composé de trois flèches bidirectionnelles (représentant chacune les piliers de Facebook) qui transpercent un cercle à l’intérieur duquel est indiquée la mission de l’entreprise : « Rendre le monde plus ouvert et plus connecté. » « Oh mon Dieu, c’est comme un culte secret !, lance Kara Swisher. Regardez ça, […] avec cet étrange symbole au milieu, c’est sans doute destiné aux Illuminati ! » Dans la salle tout le monde rit à pleine gorge du malaise qui suinte de ce jeune homme de 26 ans. Qui sera nommé quelques mois plus tard personnalité de l’année du prestigieux Time Magazine.

Moqué et célébré : l’année 2010 résume à elle seule l’ambiguïté du mythe Zuckerberg.

Pour Anthony Galluzzo, maître de conférence à l’université de Saint-Étienne et auteur du remarqué Mythe de l’entrepreneur (Zones/la Découverte, 2023), Zuckerberg s’inscrit dans la droite lignée des Rockfeller, des Carnegie, mais aussi des Gates, Jobs, et autres Musk. Tous ces hommes ont nourri – et nourrissent encore – le mythe de l’entrepreneur, en s’imposant comme des personnalités médiatiques, célébrées pour leurs réussites entrepreneuriales et leurs fortunes, et faisant la une régulière de la presse magazine. « Zuck » ne déroge pas à la règle : en vingt ans, depuis la création de Facebook, il est devenu un puissant homme d’affaires. En 2008, à 24 ans, le fondateur de Facebook était le plus jeune milliardaire autodidacte à rejoindre le Forbes 400. Sept ans plus tard, il était le plus jeune à figurer dans le top dix. En mars, sa fortune était estimée à 173,7 milliards de dollars. En janvier 2024, Facebook était toujours le réseau social avec le plus d’utilisateurs actifs, devant YouTube, WhatsApp et Instagram… ces deux derniers appartenant aussi à Meta, la maison-mère qu’il a créée pour regrouper tous ces mastodontes de la tech.

 

L’anti-Jobs

« Zuckerberg coche certaines cases en tant qu’entrepreneur qui en impose : c’est un ancien de Harvard, école qu’il a abandonnée très vite pour lancer son entreprise depuis sa chambre d’étudiant, relève Galluzzo. C’est aussi l’hyper croissance et la success-story qui vont avec. » L’homme d’affaires a aussi imposé une esthétique, reprise par tous les start-uppeurs qui se respectent : hoodie donc, mais aussi jean et sneakers, la panoplie complète de l’entrepreneur cool de la Silicon Valley.

Mais pour Galluzzo, le « mythe » Zuckerberg fait face à un mur : l’incapacité d’avoir réussi à s’imposer comme une sorte de gourou : « Je n’ai pas l’impression qu’il fasse l’objet d’un culte tel qu’on a pu le voir avec Jobs et Musk. On le convoque souvent avec dérision, sans pour autant dénigrer son CV et ses accomplissements. Mais quand on écoute des influenceurs entrepreneurs comme Yomi Denzel ou Oussama Ammar, ce n’est pas la figure qu’ils mobilisent le plus. »

Car pour endosser un costume mythologique, il faut plus qu’avoir inventé le plus grand réseau social de l’histoire. « Il lui manque un côté ténébreux et aussi le geste du génie, la dimension visionnaire, comme Jobs qui multipliait les déclarations prophétiques quant à l’évolution technologique et la marche de l’humanité vers le progrès. » Il y a loin, en effet, entre le fondateur d’Apple qui semblait apparaître en dieu vivant sur scène, à chacune de ses keynotes, et l’ancien de Harvard qui coule sur lui-même en interview. Sur la toile, il ne cesse d’être raillé. Le célèbre youtubeur PewDiePie (111 millions d’abonnés sur YouTube) avait fait le buzz en 2017 avec une vidéo qui « montrait » que Zuckerberg n’était pas humain. Les internautes s’amusent sans repos à le comparer à un robot, avec son ton monocorde, ses yeux qui ne clignent jamais, son front sans mouvement, quand il n’est pas moqué pour son style vestimentaire : « Zuckerbeg est devenu le symbole du “cringe” [malaise] sur internet », note Galluzzo.

 

… et l’anti-Musk

Outre le déficit de charisme, Zuckerberg a un gros défaut : cela fait longtemps qu’il n’a pas eu

d’idée de génie ; depuis la création de Facebook en fait. Dernier fiasco en date : son projet de métavers, un réseau social en réalité augmentée où chaque utilisateur aurait un avatar. Un marché estimé à 5 000 milliards de dollars (deux fois le PIB de la France) par McKinsey. Meta y a investi 36 milliards de dollars. Pour rien, ou presque : on recensait 200 000 utilisateurs mensuels fin 2022. Mis à part l’avatar de Zuckerberg qui a, lui aussi, subi diverses moqueries pour son manque de sophistication graphique.

En 2010, le grand David Fincher réalise The Social Network, un film qui retrace la naissance de Facebook. Il y dépeint un Zuckerberg (campé par Jesse Eisenberg) sociopathe, manipulateur et geek. Le côté geek, voilà un trait qu’il partage avec un des gourous actuels, Elon Musk. « Mais Musk incarne une certaine forme de rébellion, comme Jobs, analyse Galluzzo. Il déploie aussi une certaine mystique romantique. Musk a également un côté aventurier, que n’a pas du tout Zuckerberg. » Le patron de Tesla est un magnat qui voyage de projets en projets : ici les voitures électriques, là les satellites, là-bas encore les réseaux sociaux. Et il est aussi du genre à fumer du cannabis pendant l’enregistrement d’un podcast, une séquence qui avait fait grand bruit aux États-Unis en 2018. Bref, un côté punk que ne possède vraiment pas « Zuck ».

 

Un simili-Gates ?

Finalement, à quel mythe entrepreneurial peut-on rattacher Zuckerberg ? Galluzzo n’hésite pas : « C’est la version années 1980-1990 de Bill Gates. » Pour le chercheur, à cette époque, le patron de Microsoft « est portraituré par les fans d’Apple comme l’ennemi juré de Jobs, comme l’entrepreneur capitaliste, monopoleur et entièrement guidé par la quête du profit, là où Jobs serait un entrepreneur- artiste, pas intéressé par le profit mais par le beau. » D’autant que Zuckerberg passe, bien plus que tous les autres, pour le grand méchant loup de la tech. Les nombreuses affaires dans lesquelles baigne Facebook ont fait les choux gras de la presse : Cambridge Analytica, les opérations de manipulation de la Russie, les Facebook files…

 

 

Pour Cambridge Analytica, cela lui a valu d’être cuisiné ardemment par le Sénat américain dans le cadre d’une commission d’enquête, où on a vu un Zuckerberg aussi peu à l’aise en costume-cravate devant des élus qu’en sweat à capuche devant des journalistes. Des journalistes qui d’ailleurs ne lui font pas de cadeaux, d’autant plus quand les médias ne cessent de s’inquiéter de leur dépendance vis- à-vis de Facebook. « Zuckerberg est souvent décrit comme un homme déconnecté et étrangement décalé, observe Galluzzo. C’est l’accapareur, le racketteur des données, le maître des réseaux, qui verrouille tout grâce à son empire. »

Zuckerberg secoué, si bien que même le storytelling du self-made man se craquelle. « Zuckerberg s’inscrit dans la continuité d’un narratif né sous Reagan, d’un homme seul qui serait capable de réinventer l’Amérique et le monde depuis son garage. C’est ainsi qu’ont été célébrés Jobs et Wozniak dans les années 1980, développe Galluzzo. Mais comme ces deux-là, Zuckerberg s’inscrit, avec le mythe du garage, dans le paysage pavillonnaire blanc, où vit la classe moyenne supérieure dont sont issus la plupart des grands entrepreneurs de la Silicon Valley. Généralement, il n’y a pas de miracles : ils ont grandi dans des espaces de concentration de richesses. »

Galluzzo rappelle un point aussi important, mis de côté dans le storytelling des grands entrepreneurs : « Pour réussir à ce niveau, il faut aussi bénéficier d’une fenêtre technologique, d’une ouverture favorable, ce qui est extrêmement déterminant – l’ordinateur personnel a été une opportunité qui s’est ouverte dans les années 80-90. Zuckerberg, lui, a bénéficié d’une fenêtre d’opportunité dans laquelle un réseau social de masse était possible. »

Pour autant, le chercheur irait presque jusqu’à penser que le monde est plus dur avec le fondateur de Facebook qu’avec tous les autres. Aujourd’hui, Gates passe pour le sauveur des pauvres avec ses actions de philanthropie ; Jobs reste le dieu (défunt) de la tech ; et personne ou presque ne s’intéresse aux scandales de répressions syndicales orchestrées par Musk. Alors que, pour Galluzzo, Meta doit plus à Zuck, que Tesla, Space X ou même avant PayPal, ne doivent à Musk : « Le modèle économique de Facebook est bien plus éprouvé que la plupart des business de Musk. Les affaires de Zuckerberg sont bien plus solides, et sont beaucoup plus liées à sa personne, que ne le sont les entreprises gérées par Musk, qui est moins un bâtisseur d’entreprise qu’un promoteur financier. »

 


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