Dans le monde des bandes dessinées, la série des « Cités Obscures » de Schuiten et Peeters développe un univers hors du commun où la transformation est permanente. Dans chaque tome, chaque ville dévoile son propre mystère et l’organisation qui en découle. Transposition de notre univers, chaque brique du récit continue le socle d’un monde agité par l’évolution.
La sortie de la version couleur de la « Fièvre d’Urbicande » est l’occasion de se replonger dans ce monument du bouleversement soudain des habitudes et du cadre de vie d’un peuple. L’adaptation au changement à laquelle doit faire face la société y est illustrée de manière magistrale, la transformation y est magnifiée. A l’ère de la Covid, des bouleversements climatiques et de la transformation numérique, comme à Urbicande, l’humanité doit faire face à des mutations qui brouillent en permanence les équilibres. Elle doit faire preuve de résilience et d’adaptation.
Un Cube
La « Fièvre d’Urbicande », prix du Meilleur Album à Angoulême en 1985, raconte la vie d’une cité réorganisée par l’architecte Eugen Robick qui, soudainement, doit faire face à la croissance et la démultiplication d’un Cube en métal. Il arrive à la déstructurer, la réorganiser et la recouvrir. Ce Cube, objet inutile par excellence, devient la source d’un changement de paradigme. Au-delà d’un fossé, une cité restée dans un état « brut » faisait jusqu’à présent face à Urbicande. En tissant un nouveau réseau de ponts, les Cubes créent des liens immaîtrisables. Des rapprochements imprévus s’opèrent soudainement.
Un changement de société
Alors que le système mis en place par Urbicande marquait le contrôle et l’organisation de la ville, la prolifération et la croissance du Cube changent le paradigme et provoquent la nécessité de tirer parti de ce nouvel environnement. « Pas un instant je n’imaginai la tournure que les choses allaient prendre » expliquait Eugen Robick dans l’album. D’une situation planifiée à long terme, l’inattendu émerge et confronte le besoin d’adaptation à une vision court-termiste de protection. Près de 35 ans avant le coronavirus, la « Fièvre d’Urbicande » décrit l’inconnu et le besoin de réinventer des modèles pour ne pas s’effondrer.
La peur des inconnues
« C’est incroyable… Il se serait donc davantage développé durant ces quelques heures que pendant l’ensemble de la nuit. Cela laisse augurer un rythme d’accélération quasi vertigineux ». Comment à la lecture de cette bulle ne pas faire le parallèle avec ce besoin permanent qu’a l’humanité de prévoir pour se sécuriser. L’absence de maîtrise inquiète en balayant les certitudes et la croyance dans les projections. Face à un phénomène nouveau et impossible à évaluer, les certitudes sont balayées et plus rien ne rassure. Face à ces risques, les craintes du changement provoquent inévitablement la résistance : « Ce réseau s’il continue à se répandre peut bouleverser l’ensemble de notre système social ». Pour se protéger, la société reconstruit alors rapidement un système de contrôle et d’encadrement.
La peur des voisins
La principal danger pour les dirigeants d’Urbicande est représenté par ces nouveaux ponts que construit le Cube en grandissant. La peur des voisins est omniprésente et tout est fait pour, au départ, freiner les échanges entre les peuples. Ils sont vus comme un virus qu’il faut empêcher de faire circuler. Pourtant, très rapidement la société évolue et s’adapte à cette révolution pour en tirer profit. De l’inexploité surgit de nouvelles perspectives et de nouveaux développements. Rien ne sera plus jamais comme avant cette mutation guidée par un besoin de trouver de nouveaux points de repères.
La nécessité de l’adaptation
Il est étonnant de retrouver 35 ans après toutes les graines de ce que l’humanité vit aujourd’hui et de la nécessité qu’elle a de devoir changer pour dompter l’inconnu et la virulence du changement. Chaque nouvel élément qui s’incruste dans le récit est la première pierre d’un nouvel édifice à bâtir. Comme dans notre monde, il faut batailler face à des événements imprévus. En peu de temps, de nouvelles voies sont à appréhender et des solutions à trouver. Inexorablement, les transformations impliquent de se projeter plus loin et de ne pas hésiter à changer les habitudes.
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