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Une crise alimentaire mondiale alimentée par la guerre se prépare et les solutions pour y remédier sont complexes

Crise alimentaire
Avec la guerre en Ukraine, le monde se dirige un peu plus vers une crise alimentaire en 2022. | Source : Getty Images

CRISE ALIMENTAIRE | L’interruption des exportations, la sécheresse, les réfugiés à nourrir et les prix record des engrais… L’accumulation de tous ces facteurs alimente l’insécurité alimentaire dans le monde.

 

Des dizaines de millions de personnes, de l’Europe à l’Asie, en passant par l’Afrique et le Moyen-Orient, devraient faire face à une crise alimentaire cette année en raison de plusieurs facteurs alimentés et aggravés par la guerre en Ukraine.

Le conflit, qui implique deux pays produisant près d’un tiers du blé mondial, a contribué à faire grimper le prix mondial du grain de 21 % en l’espace de dix jours. Les conditions météorologiques extrêmes, comme la sécheresse persistante en Amérique du Nord, le coût élevé du carburant, les prix des engrais qui explosent et la nécessité de nourrir un nombre croissant de réfugiés de guerre, le tout en pleine crise climatique, contribueront à créer une crise alimentaire en 2022.

 

« La situation est à bien des égards à la limite de la catastrophe, et sans une aide substantielle et immédiate, elle va empirer », a déclaré Eric Muñoz, conseiller politique principal pour l’agriculture chez Oxfam, l’organisation caritative basée à Nairobi. « Il n’y a pas de meilleur rappel à l’ordre que le présent, avec des prix des denrées alimentaires qui explosent et la faim dans le monde qui ne cesse de s’aggraver, pour tenir un débat sérieux sur la manière de repenser les systèmes alimentaires mondiaux. »

Les solutions à court terme sont difficiles à trouver. Pour combler le déficit, l’on ne peut pas compter sur les agriculteurs américains, handicapés par ce que certains observateurs appellent la période la plus sèche depuis 1200 ans. Nutrien, le plus grand fabricant d’engrais du monde, a déclaré prévoir d’augmenter sa production de 20 %, mais les prix sont déjà si élevés qu’une grande partie des agriculteurs du monde entier ne pourra toujours pas se le permettre. Une solution plus permanente à la faim chronique dans le monde consisterait à créer davantage d’options dans plusieurs endroits afin de cultiver et d’accéder à la nourriture. L’agriculture biologique montre également des signes de croissance, mais elle représente toujours moins de 1 % de la superficie agricole aux États-Unis.

 

Subsiste ensuite le problème de l’acheminement de la nourriture à des populations qui sont parfois si affamées qu’elles meurent de faim. Avant la guerre en Ukraine, 26 millions de réfugiés (le niveau le plus élevé de l’histoire) dépendaient d’un réseau d’organisations humanitaires et gouvernementales pour se nourrir. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a obligé environ 10 millions de personnes à quitter leur foyer. Le Programme alimentaire mondial, la branche de l’ONU chargée de l’aide alimentaire, s’attend à ce que ses dépenses augmentent de 71 millions de dollars par mois en raison du conflit en Ukraine. L’organisation indique qu’elle a déjà dû réduire les rations au Yémen, où plus de 16 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire et où « il existe des foyers de famine. »

Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont particulièrement vulnérables à la hausse des prix alimentaires, selon le Programme alimentaire mondial. Le Liban importe environ la moitié de son blé d’Ukraine, indique l’organisation. Pour la Tunisie, ce taux est de 42 % et pour le Yémen de 22 %. Toujours selon le Programme alimentaire mondial, les prix des denrées alimentaires dans le monde entier sont déjà à un niveau record, et les acheteurs qui doivent faire le tour des marchés pour remplacer le blé ukrainien paieraient encore plus cher. La Russie a déjà réduit ses exportations de blé et de maïs, et le ministre ukrainien de l’Agriculture a déclaré mardi 22 mars que la récolte de ce printemps pourrait être inférieure de moitié aux prévisions d’avant-guerre. L’Ukraine a suspendu ses exportations de viande, de bétail, de sel, de sucre, de sarrasin, d’avoine, de millet et de seigle.

 

En 2010, la montée en flèche des prix du pain a contribué aux soulèvements politiques du printemps arabe, qui ont balayé quelque trois douzaines de pays et entraîné des changements de régime politique en Égypte et en Lybie. Les protestations contre les prix élevés des denrées alimentaires ont également joué un rôle dans la montée en puissance de l’État islamique, le groupe extrémiste violent. Actuellement, l’offre alimentaire mondiale n’est pas aussi mauvaise qu’en 2010 (l’offre alimentaire totale était alors bien plus faible), mais l’offre mondiale de céréales se trouve désormais dans une situation critique.

Les agriculteurs américains sont paralysés lorsqu’il s’agit de combler le déficit de la production alimentaire. Tout d’abord, il y a la météo historiquement mauvaise. Trente-cinq États américains, soit 61 % de la superficie totale des 48 États inférieurs, étaient en situation de sécheresse la semaine dernière, selon les calculs du gouvernement américain. Des conditions de sécheresse extrême ou sévère persistent depuis la côte Pacifique à l’Ouest jusqu’à la Louisiane et l’Arkansas à l’Est.

 

Ensuite, il y a le problème de la disponibilité des terres. Dans des pays comme les États-Unis et le Brésil, les agriculteurs font déjà leur maximum. L’agriculture exige une planification à long terme, bien avant la saison de plantation, et les entreprises et organisations achètent des aliments des mois, voire des années à l’avance. Les contrats directs avec les fournisseurs donnent aux producteurs encore moins de marge de manœuvre sur les cultures à produire. C’est la raison pour laquelle, afin de mettre fin à la crise alimentaire mondiale, il ne suffit pas que les agriculteurs américains ou brésiliens plantent davantage de blé ou de maïs.

Le coût élevé des engrais a également pesé sur l’agriculture mondiale. Les prix des engrais azotés ont été multipliés par quatre, tandis que ceux du phosphate et de la potasse ont presque triplé depuis 2020. Le fabricant d’engrais Nutrien a déclaré développer son exploitation minière dans le sud du Canada pour la potasse, une source essentielle de potassium, afin d’aider à compenser ce qui pourrait se transformer en une pénurie mondiale en raison des sanctions contre la Russie, un important exportateur.

 

Les partisans de l’agriculture industrielle affirment que les engrais chimiques sont nécessaires pour obtenir des rendements importants et nourrir une population mondiale croissante. Cependant, la surconsommation d’engrais est l’une des principales causes de la pollution des cours d’eau et des zones mortes comme celle, massive, du golfe du Mexique, ainsi que de la dégradation et de l’érosion des sols. Tous ces facteurs remettront en cause l’accès à la nourriture à l’avenir, et les défenseurs de l’agriculture durable affirment que le moment est venu d’opérer la transition vers des systèmes plus résilients.

« Tous ces signaux montrent que le monde nous dit de changer », a déclaré Sanjeev Krishnan, le directeur des investissements de la société de capital-risque S2G, qui investit dans l’alimentation et l’agriculture depuis 2014. « Cette crise alimentaire est-elle un phénomène cyclique ou structurel ? À mon avis, c’est structurel. »

 

Alors que les prix des engrais commençaient à s’envoler, le ministère américain de l’Agriculture a annoncé qu’il allait créer un fonds de 250 millions de dollars pour investir dans des engrais alternatifs et des engrais fabriqués aux États-Unis. Le gouvernement brésilien, qui a importé beaucoup d’engrais de Russie, investit également dans des solutions alternatives. Au début du mois de mars, le président français Emmanuel Macron a indiqué qu’il était favorable à des investissements accrus dans les infrastructures alimentaires.

« L’Europe et aussi l’Afrique seront très profondément déstabilisées sur le plan alimentaire à cause de ce que l’on ne peut pas planter en ce moment en Ukraine », a déclaré Emmanuel Macron le 11 mars dernier. « Nous devrons nous préparer à cela et réévaluer nos stratégies de production pour défendre notre souveraineté alimentaire, mais également pour pouvoir définir une stratégie concernant l’Afrique. »

 

La sécurité alimentaire devrait être aussi essentielle que la sécurité énergétique, a déclaré Graham Gordon, responsable des politiques du Royaume-Uni au sein de l’Agence catholique pour le développement outre-mer (Catholic Agency for Overseas Development), un organisme à but non lucratif, le deuxième plus grand réseau humanitaire au monde après la Croix-Rouge.

« Nous avons vécu deux années où les chaînes d’approvisionnement n’ont pas fonctionné », a indiqué Graham Gordon. « Comment pouvons-nous repenser l’alimentation et comment pouvons-nous faire pression pour davantage de souveraineté alimentaire ? »

 

Article traduit de Forbes US – Auteure : Chloe Sorvino

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