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The Great Review : ça coule de source

Augustin Heliot, dans les locaux de Forbes France, janvier 2024. Crédits : Maurice Midena

The Great Review, Augustin Heliot dans le civil, s’est imposé comme sans doute le meilleur narrateur de tout le YouTube francophone. Avec ses plus de 500 000 abonnés, le vidéaste est à la croisée des chemins entre rester un artisan au succès financier (relativement) modéré, et au succès d’estime colossal, ou tenter de devenir un mastodonte. En décembre dernier, il s’est retrouvé au coeur d’une tempête numérique, qui a poussé l’internet français à se (re)poser, en place publique, la question des sources (et du plagiat). Rencontre.

 


Il y avait un manque, c’est certain. Les fans de faits-divers glauques avaient Christophe Hondelatte ; les bobos, Fabrice Drouelle ; les néo-snobs, Philippe Collin. Mais la génération Y (et Z, et même X, allons-y gaiement), qui a passé son enfance et son adolescence à jouer trop tard, et à dire « attends, maman, je sauvegarde », qu’avait-elle ? Pas grand chose. Et voilà que The Great Review, ou « Review » pour les intimes, alias Augustin Heliot, 28 ans, est arrivé. En deux ans, le jeune homme s’est créé une grosse commu’ : 575 000 abonnés sur YouTube, 28 millions de vues au total, 125 000 sur Twitter, et a été couronné « GOAT du storytelling » par l’émission Clique. Le tout en à peine deux ans. 

Sur sa chaine YouTube, on trouve, surtout des histoires sur le jeu vidéo : ici, l’incroyable épopée des Rox Tigers, une équipe du jeu League of Legends, bourrée de joyeux drilles un peu loosers mais qui ont su se sublimer (et presque devenir les meilleurs) ; là, une plongée dans le jeu Outer Wilds, qui a bouleversé des millions d’internautes. On croise aussi une réflexion passionnante sur « C’est quoi un bon film ? » Du contenu pour aficionados de la vidéoludie, donc. Mais pas que.

Chez les geeks et assimilés, TGR est devenu un nom qui compte et une voix qui porte. Pour la sortie de la suite de l’incroyable « Tears of the Kingdom », dernier opus de la série Zelda sur Switch, le vidéaste est invité par le journal le Monde pour réaliser une vidéo sur le précédent chapitre de la saga, « Breath of the wild ». Une petite consécration – et un partenariat qui a fait plaisir aux parents. Quand le youtubeur Zack l’invite pour un entretien, TGR est tellement attendu qu’il permet à son hôte de faire le troisième plus gros score de sa chaine (derrière les interview des stars du foot, Samir Nasri et Karim Benzema). 

Heliot a également eu le droit en décembre dernier à un (énorme) bad buzz, après avoir été accusé à tort sur X (ex-Twitter), d’avoir plagié le livre d’un journaliste indépendant pour produire un documentaire sur la franchise Call of Duty. Internet avait bouillonné, et avait surtout (re)mis en avant la question des sources dans le travail des créateurs de contenu sur YouTube. (Pour le détail de cette affaire, voir l’encadré en fin d’article).

Augustin Heliot, chez Zack. Capture d’écran

 

Tout, tout seul

C’est suite à cette histoire que Forbes l’a rencontré en janvier dernier (et a mis beaucoup trop de temps pour enfin écrire l’article). Heliot venait de se prendre un torrent de boue sur X, sortait aussi du bouclage de sa vidéo –  il était sur les rotules, genoux cagneux d’un garçon qui bosse trop. « Je vais pas te mentir : ma vie, elle est plutôt triste. Je ne fais pas beaucoup de sortie. Je ne regarde pas assez de film. Je n’écoute pas assez de musique. Je reste chez moi du matin au soir à essayer d’écrire des scripts, et le truc qui me passionne, c’est de réussir à trouver ce moment où la voix, la musique et l’image « fit » parfaitement et ça fait un moment qui donne des frissons.  Et je n’y arrive pas si souvent que ça en plus. » 

Pour ses vidéos, Review fait tout, tout seul : l’écriture, le montage, le choix des musiques. Pour ça qu’il peut passer deux mois (voire bien, bien plus) sur une vidéo. Et le premier script qu’il écrit, il ne le suit quasiment pas : toutes les tournures dites sont différentes de celles posées sur le papier, et il ne conserve que les prises orales qui sonnent le mieux (parmi des dizaines). Jusqu’à parfois ré-enregistrer de courts bouts de phrase, juste pour que ça sonne parfaitement bien. 

Review parle un français étrange, qui tire vers les rythmes lexicaux de l’américain : on se croirait dans un documentaire Netflix où le mec de la voix-off vous tiendrait par l’épaule pour vous raconter les exploits des uns et des autres : des phrases courtes, percutantes, des petites mots tranchants, qui rebondissent les uns sur les autres, avec une syncope de punchlines de blockbuster hollywoodien – bref, une narration qui coule de source. « Je pense vraiment que l’anglais est une langue incroyable, notamment pour faire passer des émotions. J’aurais voulu naitre anglophone […] c’est une langue phénoménalement imagée, plus humaine, plus directe. »

 

Storytelling au naturel

Le plus frappant quand on l’écoute parler en vrai, c’est qu’on a l’impression qu’on a lancé une de ses vidéos :  « Dans mes vidéos, je parle aux gens. Mon but, c’est que je parle pour donner l’impression que je suis au bar avec un pote et que je lui raconte ce que j’ai vu la semaine dernière. Au début, je pensais qu’il fallait en faire des tonnes sur YouTube. J’ai juste travaillé pendant trois ans pour être le plus naturel possible. Mais ça frappe tout le monde [que je parle comme dans mes vidéos]. A croire que jamais un youtubeur n’a parlé comme il parle d’habitude. »

Mais pour TGR, le style de narration ne vaut jamais l’histoire. Pour lui, ce n’est pas un hasard si la vidéo qui l’a fait exploser il y a trois ans, est celle sur le youtubeur Otzdarva – qui avait tenté le pari fou de finir le jeu Dark Souls 2 sans jamais subir de dégât  : « A l’époque, ma voix était pas naturelle, j’en faisais des tonnes, mon montage était pas bon, mon choix de musiques était moins bien. Mais je pourrais devenir graduellement un meilleur conteur, la vérité c’est que j’ai percé grâce à Otzdarva, et que je ne trouverai jamais une meilleure histoire que celle d’Otzdarva. » Et de faire une comparaison avec Myazaki : « Je viens de voir le Garçon et le héron. Tu vois que Myazaki, c’est un artisan, ça se voit que jusque ses 99 ans il restera dans son atelier à dessiner jusqu’à la fin de ses jours, et l’animation du film est hors du commun. Le Garçon et le héron, c’est plus beau que le Voyage de Chihiro, mais l’histoire est mid (moyenne, ndlr), et il aura jamais le succès du Voyage de Chihiro, justement parce que l’histoire est moins bonne. »

Son goût pour conter des histoires, il ne sait pas trop d’où ça lui vient. « Je pense qu’il est chez tout le monde. Pour le reste, j’ai toujours rêvé d’être testeur jeu vidéos…  Le story-telling c’était une façon de faire un pas de côté et pas juste être un connard de critique qui tire à balles réelles sur des gens qui ont bossé 8 000 heures pour faire leur jeu. »

 

« Ni solitaire, ni mal traité. Ni génial. »

La vie d’Augustin Heliot, c’est justement celle d’un garçon « mid », qui a passé son adolescence dans les années 2000 et dans les jeux vidéos : mère DRH (à la retraite désormais), père ingénieur (retraité aussi), deux soeurs, une vie passée à Belleville :  « J’ai eu une enfance simple et basique. On était ni riche ni pauvre. On avait assez de tunes pour avoir de jolis cadeaux à Noel, on partait une fois par an en vacances, j’avais plutôt des bonnes notes. Y a rien d’intéressant à dire sur ma vie. je n’étais pas un enfant solitaire, ni mal traité. Ni génial. » Une vie rythmée par le gaming (dont on peut voir l’étendue de sa culture dans cette vidéo de Konbini). 

Après son bac scientifique, il rentre en 2016 en droit à Assas, parce que pourquoi pas : « Sur un malentendu, je me suis dit que ça allait être fun. » Mais il comprend vite que non. Il joue à League of Legends, beaucoup, et rêve sans doute encore de devenir testeur de jeux vidéos. A l’époque, le site spécialisé Millenium (ou MGG pour les puristes) cherche des plumes à l’oeil. Augustin candidate, est pris, commence à écrire sur LOL, avant l’apparition d’un futur mastodonte : Fortnite. Il pousse pour la création d’une verticale dédiée au nouveau phénomène du « battle royale ». Il prend une année sabbatique, rentre en stage chez MGG. Fin 2018, la rédaction de jeuxvideos.com le repère et lui propose de changer de bureau à Webedia (propriétaire de Millenium et de « jvc ») pour faire des vidéos sur l’esport, ce qui l’occupera pendant toute l’année 2019. A cette époque, Heliot cumule : la gazette de l’esport pour jvc, des articles en freelance pour MGG… et son M1 de droit par correspondance. Un poste de rédacteur se libère à jvc, Heliot est sûr que le poste est pour lui… mais finalement, non. « La plus grosse déception de ma vie », voilà comment il résume ce déboire. Ayant tout miser sur ce poste, il se retrouve sans rien.

 

Review, dans une vidéo MGG, janvier 2021. Capture d’écran.

 

« On est en 2024, et je porte encore des jeans slims »

S’en suivra quasiment un an de chômage, pendant laquelle le vidéaste tente de développer sa propre chaine. Sans succès. En pleine traversée du désert, il est rappelé par MGG pour faire… de la vidéo. Plus question d’actu chaude, mais des « stories » sur l’esport. Un exercice dans lequel il excelle. Même si ses vidéos « ne font pas beaucoup de vues ». Et pour une raison difficilement compréhensible, du jour au lendemain, sa vidéo sur Otzdarva (que personne ou presque n’avait vu passer) explose. Tout comme ses vidéos pour MGG. Les secrets des algorithmes. Au bout d’un an, Review se rend compte qu’il fait déjà tout tout seul : écriture, montage etc. Et arrive à la conclusion qu’il est temps de partir enrichir sa propre chaine – qui continue de croître alors qu’il n’y publie presque aucun contenu. 

De son passage à Webedia, il ne voudrait pas laisser croire qu’il n’en garde que du négatif : « J’y ai rencontré des gens incroyables,  j’ai adoré qu’on me fasse autant confiance, qu’on m’envoie couvrir des événements à l’autre bout du monde, interroger des mastodontes du jeu vidéo alors que je ne faisais ce travail que depuis cinq jours, et que je n’avais aucune légitimité, C’est une boite qui m’a laissé une latitude de fou pour apprendre des choses. »

« Maintenant que je fais des vues, j’ai tellement peur que les gens se désintéressent de moi que j’ose pas abaisser la qualité de mes vidéos d’un iota. Et je refuse qu’une pub vienne casser mon rythme ou ma narration. »

 

On a un peu l’impression qu’Augustin Heliot ne fait rien comme tout le monde. A une époque où les reels d’Instagram se battent contre les Shorts YouTube, le tout dans la foulée de TikTok, Heliot sort des vidéos d’une heure sur ce que le jeu vidéo a appris au cinéma. Déjà chez jvc, il était frustré par une chefferie qui lui cherchait des poux pour une minute de trop sur une vidéo. A son retour chez MGG, il profite d’un télétravail systématique en plein covid pour faire du long. « C’est le temps dont j’ai besoin pour remontrer les trucs que je veux raconter. » Et alors que les plus gros vidéastes sortent de plus en plus les gros moyens pour produire des vidéos, Review apparait, lui, face caméra avec une lumière toute pâlichonne. La porte que l’on voit derrière lui dans ses vidéos, c’est celle qui mène à la seconde pièce de son petit appartement de Levallois-Perret. D’ailleurs de son appart’, il ne bougera pas, même s’il en a désormais les moyens : « C’est parce que je suis un énorme rat, lâche-t-il avec sa gouaille. Regarde, on est en 2024, et je porte encore des jeans slims, et je changerai mes baskets quand elles auront des trous. J’ai 20 mètres carrés, mais est ce que j’ai besoin de plus ? non. »  

 

« Entre deux mondes »

Il faut dire qu’Heliot est à un carrefour de sa jeune carrière de créateur de contenus. Bosser solo quand on a un demi-million d’abonnés, c’est un peu comme faire le Dakar en Twingo Campus. La productivité est modérée. Et les gains, pas au rendez-vous : « Travailler tout seul trois mois sur une vidéo, j’adore ça, mais c’est une méthode qui ne rapporte peu de tunes », concède-t-il à Forbes.

Le vidéaste est désormais à un peu plus que pas une tune. Ça lui change. A Webedia, il était payé 1 600 euros nets. Il ironise : « Dans cette boite, t’es rémunéré en passion. Personne n’est bien payé. Enfin, si : t’as un mec sur l’étage qui gagne 5 000 pour que tous les autres soient au Smic. »

Désormais, il vit bien, n’a plus peur de ne pas pouvoir payer son loyer et a même bouclé des mois à 10 000 euros. Le moment est-t-il venu de grossir ? Comme enchainer les placements de produits et autres partenariats commerciaux ? Il en fait déjà, en mentionnant la market place Top achat dans les descriptions de ses vidéos. On est loin des ostentatoires partenariats devenus monnaie courante sur Internet. « Je suis coincé : la vérité, c’est que si je commence à faire des opé, j’ai peur de cramer mon image relativement vite. Et puis ça prend du temps si tu veux les faire bien. » Il consent tout de même sur Twitch, à faire des streams sur un jeu, tant que celui-ci n’est pas un gacha (jeu qui incite à dépenser beaucoup d’argent pour progresser). Des « opérations » qui peuvent lui rapporter 2 000 euros pour une heure de live : « C’est énorme, et c’est plus que ce que gagnent 99% des gens. Mais quand je regarde ce que je pourrais faire si j’étais moins regardant, c’est rien. »

Autre possibilité : monétiser ses vidéos en laissant YouTube les couper avec de la pub. Il s’y refuse – pour le moment. « Je bosse seize heures par jour et au tarif horaire je ne gagne pas si bien ma vie. Or, pour commencer à bien gagner ma vie, il faudrait que je mette des pubs honteuses en plein milieu de mes vidéos, et ça je ne veux pas. Maintenant que je fais des vues, j’ai tellement peur que les gens se désintéressent de moi que j’ose pas abaisser la qualité de mes vidéos d’un iota. Et je refuse qu’une pub vienne casser mon rythme ou ma narration. » En résumé :« Je suis juste coincé entre deux mondes. Je cherche un moyen pour grossir, et rester quali quand même. Parce qu’au fond, quand je fais 10 000 sur un mois où j’aurais pu en faire 40 000, ça m’embête. »

 

« Ce que je fais a une date de péremption »

Quand on l’a rencontré en janvier, son ambition était de lancer sa chaine en anglais – d’abord sous-titrer ses vidéos, et peut-être les doubler : « Je pense que la route la plus directe pour qu’il se passe des trucs intéressants dans ma carrière, c’est tenter de percer sur la scène internationale. Parce que parler en anglais, c’est pas juste parler aux Américains, c’est parler à tout le monde. »  Mais, au fond, il n’est pas vraiment certain que ça serve à grand chose, et qu’il y arrive.

Surtout, il croit avoir fait le tour des belles histoires à raconter autour du jeu vidéo : « Les gens surestiment le nombre d’histoires vraiment intéressantes qui il y a à raconter sur le gaming. Une histoire vraiment passionnante, il y en a une tous les 15 ans. Moi je fais une vidéo tous les deux mois, on aura vite fait le tour. Surtout qu’il y a plein de chaînes qui font comme moi et qui balaient le sujet aussi. […] Ce que je fais a une date de péremption. »

On se dit que tout de même, son sens de la narration et son regard sur le jeu vidéo, peut ouvrir d’autres horizons. Comme sa vidéo sur le dernier opus de Zelda, Breath of the Wild, qu’il a réalisée pour le journal le Monde : « Une vidéo à la Zelda, tu peux le faire à l’infini parce que cette vidéo, c’est juste mon avis sur Breath of the Wild donc je peux décliner ça sur tous les jeux du monde. En fait, je pourrais donner mon avis sur tous les jeux du monde, mais c’est pas vraiment une histoire, il ne s’est rien passé d’exceptionnel, et tu verras qu’elle a fait beaucoup moins de vues que mes vidéos en font en général. […] J’ai fait deux fois moins de vues sur une chaine trois fois plus grande ». Pour ce partenariat avec le journal du soir – qui est venu le chercher -, Heliot a pris deux semaine pour jouer à BOTH (auquel il n’avait jamais touché).« J’aurais pu dire non au Monde, mais je me suis dit que si je le faisais, j’allais me faire déshériter. » Faire la fierté de sa mère : une ambition universelle. 

Et bien sûr qu’il aimerait aller chercher des histoires en dehors du jeu vidéo. Son rêve actuel, serait de faire un truc comme ces émissions où les présentateurs filent aux quatre coins du monde « pour filmer des trucs cools et le raconter aux gens. C’est le meilleur job du monde […] Peut-être qu’un jour je serai assez gros pour faire ça sur ma chaine. Peut-être qu’il y a un monde où ça c’est rentable. Et alors, je ne vois pas bien ce que je pourrais demander de plus. »

 


Augustin Heliot a pu relire ses citations avant parution de ce texte, et proposé des amendements. 

 

La citation des sources : un débat qui a secoué le YouTube game

Le 4 novembre 2023, TGR publie une vidéo sur sa chaine YouTube intitulée : « Créer (et détruire) la plus grosse licence d’Occident », dans laquelle le vidéaste retrace la grandeur et la décadence de la saga du jeu vidéo Call of Duty. Une vidéo qui a dépassé les deux millions de vues.  Pour produire son riche documentaire, Heliot s’est appuyé sur un e-book publié par le journaliste spécialisé Sébastien Delahaye, Call of Duty, les coulisses d’une usine à succès. Le journaliste et le vidéaste avaient échangé sur le sujet plusieurs mois avant la sortie de la vidéo. Sauf qu’à la publication de cette dernière, Heliot n’a pas crédité Delahaye, ni dans sa description, ni en voix-off. Il le rajoutera de lui-même, quelques jours plus tard (quatre ou cinq selon lui –  neuf au plus tard, d’après les sauvegardes disponibles sur le site Internet Archive). 

Malgré le rajout, un compte X d’un journaliste spécialisé (ex-Twitter) sous pseudonyme (@Taleboules), révèle le 6 décembre 2023 (presqu’un mois plus tard donc), cette omission. Rapidement, ce tweet est abondamment vu (3 millions de fois au final) et relayé, en sous-entendant (très fortement) que TGR a plagié Delahaye. Plagiat : le gros mot est sorti. Le tout, alors qu’internet et notamment le monde des vidéastes est en ébullition sur cette question, suite au buzz (19 millions de vues) de la vidéo du créateur HBomberguy, qui dénonçait une série de contre-façons éhontées (et évidentes) de la part de youtubeurs anglo-saxons. 

 TGR décide alors de réagir dans une vidéo-réponse de 17 minutes… qui ne fera qu’amplifier l’audience du débat (9,7 millions de vues rien que sur X), et l’hystérie twitterienne. Ce que dit TGR : lui n’a pas copié-collé le bouquin de Delahaye, ni repris ses idées ou ses opinions. S’il s’est servi de son travail pour une partie de la vidéo, il y a apporté sa patte, son éditorialisation, et évidemment sa mise en scène et sa narration – ainsi que toutes les informations qu’il a lui-même trouvées, absentes du livre du journaliste. Ce qui est vrai. Sauf que dans le bouillonnement de Twitter, cette absence de citation de source (temporaire) a semé le doute sur son travail, notamment sur le rapport qu’a le vidéaste, (et au-delà, l’ensemble des créateurs sur YouTube), avec le sujet de la citation des sources. Sébastien Delahaye s’était d’ailleurs exprimé sur les réseaux sociaux et affiché publiquement sa déception de ne pas voir son livre cité dès le début – et qu’en outre, aucun lien n’ait été ajouté vers son travail. 

Au moment de notre rencontre en janvier dernier, nous avions interrogé Heliot sur cette séquence. Il était revenu dessus non sans un profond agacement. Et un sentiment d’injustice. En lui laissant relire ses citations (le moins qu’on puisse faire quand on publie un papier trois mois après un entretien), Heliot a estimé que les citations gardées par Forbes ne représentaient plus son état d’esprit actuel. Aussi, nous avons proposé à Review de revenir sur le sujet, à tête reposée – et par écrit. 

Review trouve injuste de s’être retrouvé au coeur de ce qu’il qualifie de « drama twitter » et se pense assez rigoureux sur la question : « Avant que ça me tombe dessus, je ne savais même pas que ça pouvait faire débat. En 25 ans sur internet, j’avais jamais vu personne se faire engueuler pour  »non citation de source ». Je le faisais quand je m’appuyais beaucoup sur quelqu’un parce que ça semblait être la chose décente à faire, mais j’imaginais même pas qu’on puisse me le reprocher si je le faisais pas. Et soudain une petite partie de Twitter me dit qu’il y a un standard, que c’est le même que pour les étudiants en thèse et les journalistes. Je veux pas passer pour un méchant en disant ça, et c’est juste une constatation. Mais : cette toute petite partie de twitter (qui est comme par hasard très proche du milieu du journalisme en ligne) prend complètement ses désirs pour des réalités. Ce standard n’existera jamais (le monde extérieur s’en bat les reins) et il est de toute façon parfaitement inapplicable (aucune autorité type professeur ou rédac’ chef pour le faire respecter). Du coup à leurs yeux, je suppose que je ne serai jamais assez rigoureux, (moi tout comme 99,99% de YouTube). Perso, tant que j’ai pas l’impression d’entuber quelqu’un, je me trouve assez rigoureux. »  Précisions que dans sa vidéo-réponse, Heliot avait affirmé :  « C’est toujours une bonne idée de devenir plus profesionnel, donc je vais commencer à citer mes sources, je pense honnêtement que ça ne me protègera pas plus des dramas. »

Ainsi, pour lui, la question de la citation des sources – en tout cas sur YouTube -, est un faux-débat : « Le débat est simple en vrai : c’est mieux de citer ses sources, dans un monde parfait elles seraient toujours présentes. Mais vu que c’est un travail titanesque, que ça intéresse un viewer sur 100 000 et qu’il n’existe aucune autorité pour l’imposer à des dizaines de milliers de youtubeurs, ce ne sera jamais une réalité. Les plus gros youtubers feront plus d’efforts parce qu’ils seront davantage scrutés mais en gros : les gens seront outrés quand quelqu’un se fera piquer 90% de son taf sans être cité, et ils ne le seront pas quand une info trouvée au détour d’un forum ne sera pas sourcée, et c’est très bien comme ça, c’est le niveau normal d’indignation. »

Pour l’absence de citation de Delahaye aux premiers jours de mise en ligne, il est catégorique : c’est un oubli. « Delahaye s’est fait reprendre beaucoup de son taf, mais ça tombe bien, il a été cité, par moi, cinq jours après, [dans la description de la vidéo, ndlr] et en livestream [ici, dans une émission produite par Franceinfo, dix jours après la publication, ndlr]. Le tout, bien avant qu’on vienne m’en parler. Puis quelqu’un a dit sur Twitter que j’avais essayé de l’enterrer, et la malhonnêteté de la démarche m’a tellement fait bondir que je lui ai répondu et fait exploser le drama. » 

Sur le fond, Review ne voit pas l’importance de cette pratique, commune dans la recherche, et opérée de manière aléatoirement rigoureuse dans la presse. Citer ses sources, c’est s’assurer de la traçabilité du savoir, de la fiabilité des informations, de la possibilité d’un débat, et surtout du respect dû à la personne qui nous a permis de faire notre travail, en s’appuyant sur le sien. Lors de notre échange en janvier, Review nous avait affirmé que si le livre de Delahaye, n’avait pas existé, il aurait fait le travail lui-même :  « Ça m’aurait pris juste plus de temps. » C’est déjà énorme. Quant au débat sur les sources, il n’est pas du tout nouveau sur YouTube : il avait été abordé entre autres, dans les cas des vidéos de la chaine d’e-penser et de ses propos sur Aristote, ou encore celui de Squeezie et de sa vidéo sur les pyramides – comme l’a rappelé Vincent Manilève sur le plateau de Back seat. Notons aussi, que de nombreux « gros » vidéastes, comme Seb ou Squeezie, se plient de plus en plus à la citation de leurs sources. 

Même suite à nos questions par écrit, The Great Review trouve très injuste que Forbes revienne sur cette histoire dans ce portrait, l’associant, lui, à la question du plagiat, alors que d’autres créateurs qui en seraient coutumiers, ne seront, eux, pas inquiétés. Toujours est-il que cette séquence a beaucoup interrogé les créateurs sur YouTube – les uns donnant raison à TGR, d’autres non. Bref il y a eu du débat, bien au-delà des seuls journalistes : comme ici ou encore là donc . Mais pas encore assez pour que la citation des sources y devienne un standard – déjà qu’elle ne l’est pas toujours ailleurs…

 

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