Après deux ans de crise sanitaire, on aimerait tourner la page et croire en des lendemains qui chantent. Mais cette longue période d’un climat anxiogène a marqué les esprits et transformé durablement l’organisation du travail, comme notre rapport à l’entreprise. De nombreux salariés sont en quête de sens ; d’autres sont en souffrance.
D’après le dernier baromètre du cabinet Empreinte Humaine, deux millions et demi de salariés sont en burn out. Il est plus que temps de changer notre vision de la santé mentale pour mieux accompagner les collaborateurs, qui demeurent l’actif le plus précieux des entreprises.
Un enjeu de société
2,55 millions de salariés en burn out sévère. Le chiffre est confondant. Et n’est-ce pas, de surcroît, l’arbre immense qui cache la forêt ? Combien de collaborateurs, sans être en burn out « sévère », ne vont pas bien aujourd’hui ? Selon le même sondage, 38% des salariés seraient en détresse psychologique, un indicateur de santé mentale reconnu qui chevauche des symptômes de dépression et d’épuisement. Face à cette réalité, les entreprises ne peuvent plus se voiler la face et doivent se saisir du sujet de la santé mentale des collaborateurs. On voit bien que les lignes de soutien psychologique ont fait leur temps, qu’elles sont largement insuffisantes, inadaptées, et que l’enjeu est d’avoir une approche systémique, diffusée dans toutes les strates de l’organisation, mêlant sensibilisation, mesure, accompagnement collectif et individuel. Parce que le bien-être est, lui aussi, contagieux, dirigeants et DRH doivent repenser la manière d’accompagner l’ensemble de leurs collaborateurs, ceux qui souffrent, et tous les autres.
Il est temps, en effet, de développer une culture largement inclusive de la santé mentale au travail, de sortir cette question de la zone d’ombre du jugement, de changer de discours aussi : la santé mentale ne concerne pas que les collègues en burn out. Si les collaborateurs qui vont bien suivent un programme d’accompagnement pour prendre soin de leur santé mentale, cela banalise de fait le droit à la tendance opposée : ceux qui vont mal et qui hésiteraient à le faire savoir sont entraînés dans un cercle vertueux qui consiste ni plus ni moins à prendre soin de soi, à ne plus refouler sa vulnérabilité. Il est décent de ne pas se sentir bien ; il est urgent de le faire savoir.
Débloquer la parole et ses émotions
Pour cela, les organisations doivent évidemment adopter les bons process, les bons outils, les programmes d’accompagnement adaptés. Trouver leurs ambassadeurs aussi, des responsables, RH ou non, qui auront à cœur de faire une priorité du bien-être psychologique des collaborateurs. Un manager qui parle ouvertement de la santé mentale comme d’un sujet qui concerne tout le monde aide à libérer la parole et favorise la prise de conscience. De même, un dirigeant qui témoignerait des bienfaits qu’il retire personnellement de tels dispositifs d’accompagnement individuel pourrait balayer d’un seul coup les réserves de celles et ceux qui gardent le silence par crainte d’être jugé(e)s.
Dire que la santé mentale concerne tous les collaborateurs, ce n’est pas seulement permettre à ceux qui vont bien de continuer à aller bien, c’est déstigmatiser ceux qui aspirent à aller mieux. Car le bien-être au travail n’est pas juste un acquis pour les uns et une conquête pour les autres. C’est aussi, et peut-être d’abord, une attention au quotidien à préserver sa santé mentale et à se prémunir contre les risques psychosociaux, par exemple en développant des facteurs de protection sans lesquels on est souvent conduit à bloquer ses émotions, par un mécanisme d’auto-défense. On peut en effet s’être si bien convaincu que tout va bien, que le stress est gérable, la pression supportable, que l’on ne voit pas venir le burn out.
Agir pour mieux prévenir
Souvent, d’ailleurs, ce ne sont pas les collaborateurs que l’on a identifiés comme plus fragiles qui craquent, mais bien ceux qui ont tu trop longtemps une souffrance, qui ont refoulé leurs émotions ou l’expression d’un stress quotidien, tirant sur la corde jusqu’à la rompre. De là, encore, la nécessité de dispositifs de prévention et de suivi en amont qui incluent et impliquent l’ensemble des collaborateurs ; nous sommes englués dans une culture du curatif, de l’action ponctuelle et de la solution individuelle, au lieu d’être dans le préventif, l’action pérenne et la logique collective. Il faut bien comprendre qu’il n’est pas nécessaire d’aller mal (ou d’attendre d’aller mal) pour être accompagné. L’important est d’adapter l’accompagnement au besoin, voire à l’absence de besoin, de personnaliser le suivi et d’amener le collaborateur à s’approprier la démarche, de faire en sorte qu’il en devienne à la fois l’acteur et le promoteur.
La promotion d’une culture positive de la santé mentale se heurte certes à de vieilles représentations étrangement doloristes du monde professionnel, mais le temps fait son œuvre : deux ans de crise sanitaire et de bouleversements dans l’ordre du travail ont ébranlé le vieux monde. Un monde nouveau est en train de naître qui accorde une place croissante au bien-être psychologique des salariés que des tables de ping-pong ne suffisent plus à attirer, ni à retenir. L’entreprise de demain sera comptable de la santé mentale de ses collaborateurs, ou ne sera pas.
Par Jérôme Crest, CEO et cofondateur de Holivia
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