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Samuel Etienne : « Je suis devenu streamer, mais je suis resté journaliste »

Samuel Etienne : « Je suis devenu streamer, mais je suis resté journaliste »

Figure incontournable du paysage audiovisuel français, Samuel Etienne est passé depuis trois ans sur la plateforme Twitch. De son expérience de streamer jusqu’à sa rencontre avec des jeunes journalistes d’Edenpress, il livre sa vision de l’évolution du métier de journaliste et des grands enjeux qui sous-tendent un secteur en mutation.

Vous avez une carrière de 30 ans dans la presse écrite, télévision et radio. Depuis votre transition en temps quasi complet vers Twitch, vous considérez-vous toujours comme journaliste, ou assumez-vous le titre de streamer que l’on pourrait aisément vous prêter ?

Devenir journaliste était un rêve d’enfant. Un rêve d’abord réalisé en presse écrite, puis en radio. Très vite, à l’antenne, je me suis spécialisé en présentation. Je ne suis pas un journaliste de terrain, mais je prends beaucoup de plaisir à raconter l’information et à mettre en valeur le travail d’une rédaction. J’aime aussi les nouveaux défis et j’en ai vécu plusieurs, comme il y a sept ans lorsqu’on m’a proposé de devenir animateur de « Questions pour un Champion », ce qui était un peu étrange pour un journaliste. Mais je n’ai jamais mélangé ces deux métiers : informer et divertir ne répondent évidemment pas aux mêmes règles.

Il y a trois ans, ma carrière a pris un nouveau virage lorsque j’ai découvert Twitch. Cet outil m’a fasciné.

Pour la liberté, puisque n’importe qui avec quelques centaines d’euros peut créer une chaîne et proposer du contenu (jeux vidéo, information, culture, art, cuisine). Et l’interactivité. Après quasiment trente ans « en mode vertical » — je transmettais l’information à des gens qui ne pouvaient pas me répondre, ni échanger ou débattre avec moi —, je suis passé à un mode horizontal : avec des spectateurs, dans le chat de Twitch, qui à l’instant où vous émettez une information ou une idée, interviennent pour la compléter, la corriger, et pour débattre. Cette liberté et cette interactivité incroyable sur Twitch sont très addictives.  

J’ai commencé il y’a trois ans. D’abord par une grande revue de presse le matin, d’environ 3 heures, durant laquelle je lis des articles des grands quotidiens nationaux, toutes orientations confondues. Je les lis accompagnés des commentaires des gens qui me regardent. De tout cela naît un moment d’échange et d’« information augmentée », puisque certaines personnes maîtrisent très bien les sujets abordés : dans mon tchat, il y a des étudiants, des enseignants, des ingénieurs, des passionnés de tel ou tel sujet qui viennent, par leurs connaissances, m’aider à proposer un contenu de la plus grande qualité possible.

Pour répondre à votre question, c’est toujours une démarche journalistique : je suis devenu streamer, mais je suis resté journaliste. On peut tout à fait effectuer un travail répondant aux standards journalistiques (rigueur, vérification des infos, honnêteté) sans pour autant travailler pour un organe de presse.

Il y a des gens sur Twitch, comme Jean Massiet ou Hugo Décrypte, qui ne sont pas journalistes au sens strict, mais font un travail journalistique. Je m’inscris dans ce cadre-là.

La profession pourrait logiquement craindre une captation des audiences par les réseaux sociaux et les plateformes de streaming, qui pourraient menacer le modèle économique de la presse traditionnelle. Avec votre position désormais « entre deux mondes », percevez-vous cette inquiétude comme légitime et déplorez-vous une difficulté d’adaptation des acteurs traditionnels de l’information face aux nouvelles possibilités offertes par ces plateformes ?

Il est compliqué pour un média traditionnel de débarquer sur ces plateformes et d’y faire de l’audience. France Inter, aujourd’hui première radio de France, avec des comptes sociaux très puissants, s’est essayé à Twitch. Malgré la qualité du programme proposé, l’audience n’a pas suivi. La radio France Info, qui jouit aussi d’une grande popularité, a tenté le coup sans pour autant rassembler l’audience espérée. Et l’on pourrait multiplier ces exemples.

Ma réflexion est la suivante : d’abord, il y’a une défiance, souvent injustifiée, des jeunes vis-à-vis des médias traditionnels, accusés de ne pas proposer des contenus adaptés à leurs centres d’intérêts ou d’être sous l’influence des pouvoirs de l’argent. Cette perception se diffuse d’ailleurs à l’ensemble des Français, comme en témoigne l’enquête annuelle de La Croix, qui conclut que plus de la moitié d’entre eux considèrent que les médias ne sont pas indépendants.

Le second écueil est, à mon sens, encore plus fort. Tous ces outils, qu’il s’agisse de Twitch, YouTube, Instagram ou TikTok, sont fondés sur une base communautaire. Une chaîne qui fonctionne est avant tout une rencontre entre une seule personne, un créateur de contenu, et sa communauté. Cette personne a une grande liberté de ton, de parole et n’engage pas l’image d’un média. Cela crée une relation unique entre une personne et une communauté. Un média traditionnel, qui débarque sur ces nouveaux outils, n’a pas nécessairement cette incarnation et ce lien de longue date tissé avec une communauté. Sur ma chaîne Twitch, j’ai un ton beaucoup plus libéré que pendant mes expériences radio ou télévision, où j’engageais un média et, donc, une entreprise. En revanche, plusieurs pistes ont été envisagées, avec plus de succès, par certains médias. Je pense notamment à des collaborations entre médias traditionnels et créateurs de contenu. TopGear par exemple, l’émission sur la voiture de RMC, incarnée par les créateurs de la chaîne de référence sur le sujet, Vilebrequin.

Constatez-vous, chez les jeunes journalistes que vous croisez, une volonté plus ou moins assumée d’inventer de nouveaux formats et d’exploiter au maximum les potentialités offertes par les nouveaux supports de communication ?

Je perçois deux profils chez les jeunes journalistes. La plupart de ceux que je croise sont dans la même situation que moi il y a 25 ans. Ils veulent devenir journalistes et cela passe par la projection dans de grandes et belles rédactions qui ont pu faire rêver pendant l’enfance, l’adolescence ou les études. Certes, la télévision perd progressivement de l’audience, mais c’est un mouvement lent et un JT rassemble encore 4 à 5 millions de téléspectateurs en moyenne. Il est logique et tout à fait sain que de jeunes journalistes se projettent encore vers des médias traditionnels. Et dans tous les cas, la nouvelle façon de faire de l’information n’enlève pas la valeur de « l’ancienne ».

D’autres perçoivent le numérique comme un espace de liberté et de créativité. Dans la télévision, quand on a une idée, il faut la présenter à des responsables, puis créer un pilote. Ce processus peut prendre des mois, voire des années. Dans l’espace numérique, une idée pensée le matin peut se concrétiser l’après-midi. De même, l’argent devrait se flécher de plus en plus vers ces nouveaux outils et l’on se dit à raison que des nouveaux emplois y seront créés.

Et qu’en est-il du modèle économique de cette nouvelle façon de faire de l’information ?

Le nouveau modèle est multiple. Les viewers peuvent décider de s’abonner à un créateur de contenu. C’est une forme de soutien, qui ne donne que peu d’avantages en retour, sinon la garantie que le créateur puisse continuer. Il y’a aussi des publicités, qui ne constituent cependant qu’un poste mineur de revenu. Pour tous les très gros streamers, il y’a un troisième aspect : le partenariat ou le sponsoring de marques, qui viennent apposer leur nom sur un programme. Ils vont donner un budget à la chaîne en échange d’une visibilité. Mais, loin des clichés et l’idée de l’argent qui coulerait à flots, il est nécessaire de garder en tête les chiffres. Un récent article du Monde concluait que 95 % des streamers ne rassemblaient que 3 ou 4 personnes sur leur chaîne.

Grosso modo, une centaine de personnes vivent du stream en France, une trentaine en vivent très bien, tandis que l’immense majorité le font par passion ou l’espoir d’en vivre plus tard. 

Vous avez récemment eu l’occasion d’un échange avec des journalistes éditeurs visuels de l’émission Ici Matin (France 3), issus majoritairement de la société Edenpress. C’est également un nouveau métier du monde de la presse. Quelle a été la teneur de votre discussion ?

J’ai constaté, avec ces jeunes d’Edenpress, que l’on faisait le même métier. La démarche journalistique se fonde sur quelques grands principes : la rigueur, l’honnêteté, la déontologie. Dès que l’on produit de l’information en les suivant, nous sommes dans une démarche journalistique. Là où certains les réduisent à une mission d’édition, donc de mise en forme de l’information, quand ils m’ont expliqué leur travail, j’ai constaté que nous faisions la même chose.

Nous avons aussi la même conviction que demain, pour faire de l’information, il faudra maîtriser tous les nouveaux outils numériques. Depuis trois ans que je fréquente Twitch, j’ai été approché par de nombreux confrères, qui me disent qu’ils aimeraient aller sur Twitch ou ailleurs : je constate beaucoup de curiosité, d’envie, mais sans passage à l’acte. J’en conclus que les gens qui viennent me voir, qui sont de ma génération, ont parfois du mal à appréhender l’aspect technique de ces outils. Ce n’est pas le cas de cette nouvelle génération, et notamment des journalistes éditeurs visuels, dont les plus jeunes sont nés avec Internet. Ils sont forcément mieux armés pour pratiquer ces nouvelles façons d’informer.

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