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Responsabilité dans la joaillerie : entre confusion et greenwashing ?

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Trees are planted on coins in human hands with green natural backgrounds. Plant growth ideas and environmentally friendly investments.

À l’heure actuelle, l’industrie de la joaillerie est en proie à une confusion persistante entre l’impact environnemental et le sourcing irresponsable de pierres précieuses, particulièrement dans le marché méconnu des pierres de couleur. Cette perplexité découle en grande partie d’une méconnaissance profonde de ce marché, s’opposant ainsi au secteur des diamants, largement industrialisé et associé à des problématiques environnementales majeures.

Une contribution de François Deprez, Joaillier privé et Fondateur de de Bonnot Paris
 

Il est crucial de distinguer ces deux réalités : d’un côté, l’industrie diamantaire s’est transformée en un secteur industriel massif, caractérisé par d’immenses mines et une consommation à grande échelle. De l’autre, le marché des pierres de couleur demeure principalement artisanal (80% du marché issu de l’activité minière artisanale), opérant sur de petites parcelles avec des impacts environnementaux relativement minimes.

Cette distinction est fondamentale car elle remet en question les comparaisons directes entre ces deux marchés. Alors que l’extraction de diamants implique des méthodes industrielles lourdes et des dommages écologiques considérables à l’instar d’autres activités minières à large échelle telles que celle du lithium ou du béryllium, l’activité minière artisanale des pierres de couleur, elle, se déploie souvent sur des échelles plus modestes, avec des répercussions limitées sur les écosystèmes.

La confusion la plus commune est de confondre la responsabilité sur marché des pierres avec les grandes problématiques liées à la préservation de l’environnement.

Plus que l’environnement l’aspect social comme défi structurel 

Car au-delà de l’aspect environnemental, c’est la question de l’aspect social et sociétal des métiers en première ligne qui résonne aujourd’hui comme un véritable défi structurel. Les travailleurs des mines de pierres de couleur – d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine où est concentrée en majorité l’extraction de pierres de couleur -, font face à des conditions de travail difficiles et précaires, nécessitant une attention particulière sur des questions telles que le statut des femmes, l’âge minimum de travail, les équipements, etc. Cet aspect est d’autant plus complexe qu’il s’imbrique dans la réalité économique : ces activités minières représentent la principale source de revenus et un moyen de subsistance cruciale pour les mineurs alors même que leur rémunération est très faible compte tenu des marges effectives dans le secteur de la joaillerie. S’engager véritablement consisterait effectivement à mieux encadrer l’extraction des pierres dans les mines et mais également d’aller plus loin en garantissant une redistribution plus équitable aux acteurs en amont de la chaîne.

Ce système économique et social est complexe. C’est pourquoi affirmer de manière catégorique depuis l’Occident, qu’il faut arrêter de sourcer des pierres de couleur semble simpliste pour ne pas dire complètement démagogique.

 

Un greenwashing facile pour cacher un brouillard sur la question de la traçabilité

Là aussi, le terme de responsabilité appliqué au secteur de joaillerie pose problème car il est difficile à définir. Chaque acteur du secteur détermine souvent ses propres critères de responsabilité, ce qui peut parfois être galvaudé. La garantie de la responsabilité sur le sourcing demeure un défi de taille pour la grande majorité des marques car elle est directement liée au manque de traçabilité.

Elle représente une problématique majeure dans un marché artisanal éclaté où l’information est souvent perdue au fur et à mesure que la pierre s’éloigne du territoire d’origine. Parallèlement, limiter l’étendue des zones d’extraction, pour des raisons éthiques, peut compromettre la qualité des pierres extraites et ainsi impacter la rentabilité des coopératives minières. Les grandes maisons, en raison de leur volume de production, ne peuvent garantir pleinement cette responsabilité, ce qui les conduit à adopter une posture discrète sur la question, loin du greenwashing souvent associé aux petites et moyennes marques.

À l’heure où l’UE durcit le ton sur le greenwashing avec un accord des eurodéputés pour interdire les allégations environnementales trompeuses, cette pratique, induite par une méconnaissance du marché, entraîne une revendication de responsabilité de la part des marques souvent basée sur une confiance aveugle envers leurs fournisseurs. Cette approche, bien que semblant faciliter les choses, évite en réalité de trouver des solutions concrètes et pérennes pour améliorer les conditions de vie des acteurs de première ligne dans l’industrie.

 

Réinventer la chaîne d’approvisionnement

Dans la quête d’une joaillerie plus responsable sur le plan environnemental et social, plusieurs pistes émergent pour améliorer la transparence et l’éthique dans le secteur.

  • Traçabilité : Établir une traçabilité efficace à la sortie des mines, particulièrement dans le cadre de coopératives bien structurées.
  • Limitation géographique du sourcing : Refuser les pierres provenant de pays ne respectant pas les critères éthiques, tout en considérant les implications économiques.
  • Accompagnement des coopératives : Encourager les coopératives à adopter des pratiques plus responsables, bien que cela puisse affecter la qualité des pierres.

Pour inspirer ces changements, le secteur pourrait s’orienter vers des modèles éprouvés tels que ceux portés par l’Alliance For Responsible Mining sur l’Or. Cette alliance, avec ses équipes sur place et son financement, accompagne les coopératives vers des pratiques plus responsables. Pour renforcer la traçabilité, l’adoption de technologies telles que la blockchain pourrait jouer un rôle clé, avec la création d’une société dédiée qui attesterait de manière transparente la provenance des pierres.

Ces initiatives nécessitent un nouveau modèle de chaîne d’approvisionnement coûteux, impliquant un financement mixte provenant d’acteurs privés, d’organismes étatiques, voire de l’Union européenne. En réinventant sa chaîne d’approvisionnement, la joaillerie pourrait démontrer qu’il est possible de s’engager dans une voie plus éthique et durable.

 


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