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Repenser la croissance : la décroissance est-elle la réponse à un avenir durable ?

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Source : Pixabay

De nombreuses personnes ne sont pas encore familières du terme « décroissance », pourtant sa signification n’a jamais été aussi essentielle à comprendre. Le fondement du modèle économique actuel repose sur le postulat suivant : la croyance permanente en une croissance infinie. Cependant, que se passe-t-il lorsque les piliers de cette croyance s’effondrent ?

 

Durant des années, les experts ont mis en garde contre les limites imminentes de la croissance continue. L’ouvrage révolutionnaire de 1972, Les Limites à la croissance, connu également sous le nom de Rapport du club de Rome, a mis en lumière les limites durables de la planète. Cet ouvrage évaluait comment la population, le niveau de vie et l’utilisation des ressources convergent et affectent la durabilité.

Près de quarante ans plus tard, le professeur Jorgen Randers, l’un des auteurs de l’ouvrage, a publié une mise à jour intitulée 2052. Il y souligne un tournant décisif : le modèle économique actuel est défectueux dès lors que l’équité devient centrale et que la justice prévaut.

 

Consommation et richesse continuent de définir la stratégie économique

Les pays occidentaux associent souvent une vie heureuse à une consommation élevée de ressources et à la richesse. Toutefois, le Bhoutan propose un modèle différent. Le pays a introduit l’« économie du bonheur », par laquelle la nation donne la priorité au bonheur des citoyens plutôt qu’à la croissance économique, suggérant ainsi que le bonheur peut être dissocié des activités à forte intensité de ressources.

Pourtant, le principe de croissance continue de dominer les stratégies mondiales, comme en témoignent les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. L’objectif 8, par exemple, met l’accent sur « le travail décent et la croissance économique ». Le professeur Joan Martinez-Alier, récemment lauréat du prix Holberg, a ouvertement critiqué cet objectif, estimant qu’il pourrait être incompatible avec d’autres objectifs de développement durable.

 

Introduction à la décroissance et à la réduction de la demande

La « décroissance » est un terme qui prône une réduction délibérée, socialement juste et équitable de l’échelle de production et de consommation. L’objectif de la décroissance est de parvenir à un meilleur bien-être et à de meilleures conditions écologiques, en réduisant la taille de l’économie mondiale pour qu’elle s’inscrive dans les limites biophysiques de la planète.

La décroissance repose sur plusieurs principes clés, notamment la durabilité, le bien-être social, l’équité, la démocratie directe et les économies localisées. Pour comprendre la décroissance, il faut également examiner le concept de réduction de la demande. Ce concept peut être divisé en trois composantes interdépendantes, mais distinctes :

Efficacité : Maximiser la production tout en minimisant l’utilisation des ressources. Il s’agit de faire plus avec moins.

Suffisance : Réévaluer la quantité de production et de consommation réellement nécessaire au bien-être humain.

Changement de comportement : Modification des habitudes sociétales en faveur de la durabilité, la société optant collectivement et volontairement pour une réduction de la consommation.

La réduction de la demande n’est généralement abordée que dans les débats politiques concernant une réponse à court terme à la crise de l’énergie, et rarement comme une condition préalable pour atteindre le niveau zéro.

Le terme de « décroissance » est parfois confondu avec celui de « post-croissance », une désignation courante des différentes voies que l’on peut emprunter lorsque la croissance s’est arrêtée ou a décliné. Cette dernière donne plus de liberté pour choisir des voies qui permettent de poursuivre certaines pratiques à plus petite échelle, alors que la décroissance est une stratégie claire visant à diminuer la croissance. La décroissance est donc une voie spécifique dans le concept de post-croissance.

 

La décroissance nécessite un changement d’état d’esprit

Jason Hickel, anthropologue économique de l’université de Barcelone, est un fervent défenseur de la décroissance. Lors d’une récente conférence à Bruxelles à laquelle participaient de hauts fonctionnaires de l’Union européenne, il a insisté sur la nécessité urgente de reconsidérer la croissance du PIB comme le critère de réussite sociétale.

Il a critiqué l’exploitation continue des ressources mondiales par le monde occidental, qui maintient en fait une économie coloniale. Son point de vue est le suivant : l’accent devrait être mis sur la satisfaction des besoins humains, et pas seulement sur la croissance. Toutefois, cela suggère un rôle plus dominant pour la gouvernance de l’État, un modèle qui rappelle l’écocommunisme, qui a été critiqué par le passé.

Timothy Parrique, de l’université de Lund, partage ces observations. Il réfute l’idée de produire plus en utilisant moins de ressources, soulignant la nécessité d’un découplage complet pour rester dans les limites de la planète.

 

Les adversaires de la décroissance

Cependant, la décroissance comporte également son lot de défis. Comment répondre aux besoins énergétiques et alimentaires d’une population croissante sans croissance ? Comment s’attaquer simultanément au changement climatique, à la pauvreté et à d’autres défis urgents sans l’élan que donne la croissance ?

Le lauréat du prix Nobel Joseph Stiglitz soulève un point essentiel : si des sacrifices sont nécessaires, il est crucial de veiller à ce qu’ils soient équitablement répartis. Le principal défi de la décroissance réside dans cette équité, c’est-à-dire s’assurer que chacun reçoive une part équitable.

L’on doit également se demander si la décroissance est réellement un modèle économique viable. On pourrait faire valoir que si le modèle actuel centré sur la croissance se poursuit sans contrôle, il risque tout simplement de stagner et, par conséquent, de « décroître » de lui-même. Cependant, quelles seraient les répercussions d’une telle décroissance organique sur les structures socio-économiques ?

Il ne s’agit pas seulement d’arrêter la croissance, mais de veiller à ce que tout modèle adopté, qu’il soit axé sur la croissance ou la décroissance, satisfasse les besoins réels des personnes d’une manière considérée comme équitable et transparente.

 

Dépassement des limites durables

Le professeur Johan Rockström, du Stockholm Resilience Centre, a présenté et analysé durant des années le principe des « limites planétaires ». Ses conclusions sont alarmantes : la planète a dépassé les limites durables dans plusieurs domaines critiques, des cycles de l’azote aux taux d’extinction.

En outre, alors que les progrès technologiques poussent à l’efficacité, rien ne permet d’affirmer qu’une efficacité accrue entraîne une diminution de l’utilisation des ressources. Au contraire, elle semble permettre à un plus grand nombre de personnes d’utiliser ces ressources, ce qui pose à nouveau la question suivante : comment adopter réellement la décroissance ?

L’examen des activités économiques non durables permet de mettre le problème en évidence. Par exemple, la présence d’énormes bateaux de croisière et de plaisance sur des sites pittoresques est l’illustration des habitudes de consommation de ressources.

Une croissance infinie dans un monde fini est, par définition, non durable. Pourtant, la société semble piégée dans cet état d’esprit de croissance parce qu’elle n’a pas trouvé d’alternative. Il est essentiel de mener davantage de recherches, de discussions et de débats sur ces concepts.

Le dernier rapport des Nations unies sur les objectifs du Millénaire pour le développement appelle à une « réforme globale de notre système financier en faillite morale ». Bien qu’une telle reconnaissance soit un pas en avant, l’engagement en faveur de la croissance du PIB en tant que mesure principale persiste. Il est grand temps d’engager un débat mondial sur la durabilité et l’équité des principes de croissance.

 

Article traduit de Forbes US – Auteur : Nils Rokke

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