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Quel avenir pour les critères ESG ?

ESG
Critères ESG. | Source : Getty Images

Il fut un temps, pas si lointain, où le monde de l’entreprise parlait avec assurance des questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Toutes les grandes entreprises avaient une stratégie de développement durable. Les équipes chargées de l’établissement des rapports se sont étoffées. Les dossiers destinés aux investisseurs ont été retravaillés. Les conseils d’administration ont fixé des objectifs de zéro émission nette et les dirigeants ont participé à des sommets sur le climat. Le changement semblait réel, peut-être même irréversible.

 

Cependant, en 2025, cette confiance s’est fissurée. Dans tous les secteurs, l’ESG est sous pression. L’acronyme lui-même est devenu politiquement délicat. Aux États-Unis, la mention des critères ESG dans les rapports d’entreprise semble avoir atteint son pic en 2023 avant de diminuer peu à peu.

De nombreuses entreprises suppriment discrètement le terme de leurs communications. D’autres changent complètement de nom. Et d’autres encore, malgré tout l’engouement initial, battent en retraite, réduisent leurs activités ou se taisent. L’état d’esprit a radicalement changé. Le retour de bâton n’est plus hypothétique. Il est là.


Pour les professionnels du développement durable et les dirigeants d’entreprise, la question n’est plus de savoir si le retour de bâton est en train de se produire, mais plutôt comment y répondre. Comment maintenir le cap lorsque les pressions extérieures s’intensifient ? Comment diriger lorsque l’assise de l’ESG semble moins stable ? Et comment naviguer sans perdre de vue les impératifs à long terme qui ont rendu ces efforts nécessaires au départ ?

 

Pas seulement une question de langage

Il est clair qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de langage. L’abandon du terme « ESG » ne change pas les pressions sous-jacentes. La réglementation est en évolution : la Securities and Exchange Commission (SEC) aux États-Unis a réduit les obligations de rapports sur le climat, et même au sein de l’UE, la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) fait maintenant l’objet d’un recul politique. Cependant, les risques matériels n’ont pas disparu.

Les investisseurs posent toujours des questions précises sur l’exposition à la transition et la viabilité à long terme. Les consommateurs restent attentifs, en particulier dans des secteurs comme l’alimentation, la mode et la mobilité. Et les événements climatiques (des inondations aux incendies de forêt) ne font que s’accélérer. Les pressions sont toujours là. Il est simplement devenu plus difficile d’en parler.

 

Dissonance au sein des entreprises

Cet environnement crée une étrange dissonance au sein des entreprises. En interne, de nombreuses entreprises continuent d’investir dans des dispositifs durables. Les équipes n’ont pas disparu. Le travail n’a pas cessé. Cependant, à l’extérieur, le discours est plus calme. L’enthousiasme est en demi-teinte. Et le risque politique de s’exprimer avec trop de force est, dans certains endroits, devenu trop élevé. Il en résulte un écart croissant entre ce que les entreprises font et ce qu’elles sont prêtes à dire.

Cette situation est en partie compréhensible. Les conseils d’administration sont, de par leur conception, peu enclins à prendre des risques. Les dirigeants doivent faire face à un mélange complexe d’exigences de la part des parties prenantes, de surveillance par les activistes et de turbulences géopolitiques.

Pour certains, prendre du recul par rapport à l’ESG est une mesure de protection, une manière de réduire l’exposition, d’éviter la controverse ou de maintenir l’optionnalité en période d’incertitude. Cependant, pour d’autres, ce changement est plus révélateur. Il montre ce qui a toujours été fragile : des engagements qui ont été pris lorsque les vents étaient favorables, mais qui n’ont pas été conçus pour résister aux pressions.

 

Un consensus durable sur la valeur à long terme

Dans mes conversations avec les dirigeants, je n’entends plus guère de débat sur l’importance du développement durable. Le consensus sur la valeur à long terme demeure. La science n’a pas changé. Les signaux réglementaires ne se sont pas inversés, à l’exception des États-Unis, bien sûr. Ce que j’entends plutôt, c’est de l’anxiété. Le sentiment d’être pris entre des impératifs contradictoires.

D’un côté, la pression pour assurer l’avenir de l’entreprise. De l’autre, la logique implacable des résultats trimestriels, de la surveillance politique et de la résistance interne. Les dirigeants ne se demandent pas « comment devenir plus durable ». Ils se demandent « comment survivre en faisant cela ».

Dans de nombreuses entreprises, le développement durable est devenu un substitut à des luttes de pouvoir plus profondes. Les équipes juridiques et de conformité jouent la carte de la défense, craignant les risques de litiges ou les accusations d’écoblanchiment. Les directeurs financiers sont prudents, inquiets de l’exposition aux coûts et de l’allocation des capitaux.

Les équipes chargées de la stratégie et du marketing, conscientes de l’évolution du paysage politique, s’efforcent de plus en plus d’éviter les erreurs de réputation. Et les PDG ? Nombre d’entre eux essaient simplement d’éviter de se faire les mauvais ennemis. Dans cet environnement, les décisions en matière de développement durable ne concernent plus seulement les valeurs ou l’impact, mais aussi le contrôle.

La dimension personnelle est donc inévitable. Je pose souvent une question simple aux dirigeants : sur quoi êtes-vous personnellement prêt à prendre un coup ? La rémunération, les primes, le soutien du conseil d’administration ? L’hésitation est révélatrice. Tout le monde souhaite la durabilité. Moins nombreux sont ceux qui sont prêts à payer pour cela. Et moins nombreux encore sont ceux qui sont prêts à prendre les risques politiques ou professionnels qu’exige désormais le leadership.

 

La popularité, mais pas toujours la conviction

Nous devons également faire face à une vérité plus dure : toutes les entreprises n’ont jamais pris ce travail au sérieux. L’ESG est peut-être devenu populaire, mais la popularité n’est pas synonyme de conviction. Certaines entreprises ont adopté ce langage parce qu’il était à la mode, parce que les capitaux affluaient ou parce qu’il leur permettait de se protéger en cas de crise de réputation.

Maintenant que le contexte a changé, elles font discrètement marche arrière. Cependant, d’autres, celles qui ont intégré la durabilité dans leurs opérations, leur gouvernance et leur stratégie, maintiennent le cap. Pour elles, ce moment n’est pas confortable, mais il apporte des éclaircissements.

Toutefois, ce serait une erreur de considérer qu’il s’agit uniquement d’un problème d’entreprise. Une partie des réactions négatives provient de l’incapacité à construire une légitimité plus large. Pendant des années, le débat sur le développement durable s’est déroulé entre les régulateurs, les investisseurs et les dirigeants. Néanmoins, ce faisant, nous avons laissé de côté trop d’autres personnes. Les travailleurs, les consommateurs, les propriétaires de petites entreprises : beaucoup ont eu l’impression d’être observés de l’extérieur.

Le débat est devenu technocratique, rempli d’acronymes et d’abstractions. « Zéro net d’ici 2050 », « émissions de type 3 », « taxonomies de transition ». Ces termes sont peut-être essentiels, mais ils n’inspirent pas. Et lorsque la durabilité est présentée comme un projet d’élite, il devient plus facile pour les opposants de la présenter comme une menace pour l’emploi, la liberté ou même l’identité nationale.

Nous avons également sous-estimé la force et la sophistication du contre-récit. Les intérêts des combustibles fossiles et les agents politiques ne se sont pas contentés de rejeter l’ESG, ils l’ont recadré. Comme une imposition culturelle. Comme un sabotage économique. Comme une idéologie politique. Et pendant qu’ils racontaient cette histoire de manière cohérente, bruyante, émotionnelle, nous parlions principalement dans un langage de conformité. Nous avons facilité la désinformation. Nous n’avons pas créé les coalitions dont nous avions besoin. Et nous avons attendu beaucoup trop longtemps pour réagir.

 

Vers une « prévision stratégique »

Et maintenant, que faire ? Se replier davantage ne fonctionnera pas. L’attitude défensive non plus. Ce qu’il faut, c’est un recalibrage plus profond. L’ESG ne doit plus être considéré comme un exercice d’image de marque, mais comme une forme de prévoyance stratégique. Une manière d’anticiper les perturbations, de gérer les risques de transition et d’allouer des ressources pour une résilience à long terme.

Cela signifie qu’il faut lier plus étroitement et de manière plus convaincante le développement durable aux principaux résultats de l’entreprise, à l’innovation, à l’efficacité, au talent et à la pertinence du marché. Cela signifie également qu’il faut être plus clair sur les compromis. Toutes les initiatives ne produiront pas de résultats immédiats. Tous les publics ne seront pas persuadés. Cependant, un leadership sous pression reste un leadership.

Pour prospérer dans cet environnement, il faut un autre type de courage. Le courage de parler quand le silence semble plus sûr. Le courage de s’engager lorsque le consensus vacille. Et le courage d’agir lorsque la marée politique se retourne contre vous.

 

Après le retour de bâton

Le retour de bâton finira par passer. Il en sera de même pour les gros titres. Ce qui restera, ce sont les décisions prises en ce moment même, concernant les priorités, les éléments à protéger et les valeurs à défendre. Les entreprises qui perdureront ne seront pas celles qui reculeront le plus rapidement. Ce seront celles qui auront profité de ce moment pour clarifier leur stratégie, réaffirmer leur objectif et diriger avec résilience.

La question n’est plus de savoir si l’ESG est attaqué. C’est le cas. La question est de savoir ce que les entreprises et leurs dirigeants feront lorsque les projecteurs seront braqués ailleurs. Lorsque la pression de la performance persistera, mais que l’attention portée au développement durable s’estompera. Tiendront-elles le coup ? S’adapteront-elles sans capituler ? Rétabliront-elles la confiance avec ceux qui ne font pas partie du conseil d’administration ?

Et, ce qui est peut-être le plus important, lorsqu’il ne sera plus à la mode de parler de développement durable, quelle histoire choisiront-elles de raconter ?

 

À propos d’Ioannis Ioannou

Expert de premier plan dans le domaine du leadership en matière de développement durable et de la responsabilité des entreprises, Ioannis Ioannou fournit par le biais de ses recherches des informations précieuses sur les défis et les opportunités que les entreprises rencontrent lorsqu’elles développent des modèles durables. Ses travaux universitaires primés sur l’intégration stratégique de l’ESG, associés à l’attention qu’il porte à la communauté des investisseurs et aux marchés financiers, ont fait de lui un leader d’opinion dans ce domaine.

 

Une contribution de Ioannis Ioannou, professeur agrégé de stratégie et d’entrepreneuriat à la London Business School, pour Forbes US, traduite par Flora Lucas


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