Depuis plusieurs semaines, les fournisseurs d’énergies alternatifs sont pris à partie par plusieurs collectifs d’auteurs dans divers papiers d’opinion. Tantôt qualifiés de “producteurs de factures” tantôt de “profiteurs de crise”, on lit surtout que la concurrence vient bouleverser un ordre bien établi à savoir “le maintien de tarifs stables et équitables de l’électricité pour tous les consommateurs” et qu’il devient nécessaire à ce stade d’ouvrir “un grand débat européen” afin de régler la question.
Des objectifs louables auxquels les fournisseurs d’énergies alternatifs souscrivent des deux mains. Cependant, les arguments développés au sein des multiples tribunes sont basés sur une vision bien particulière de l’histoire du marché de l’électricité en France. Entre les lignes, les auteurs y appellent au retour à un monopole d’Etat conçu comme un âge d’or tandis que la concurrence y est désignée comme la principale coupable de la hausse des prix. Un récit qui demande à être contextualisé pour poser les bases d’un débat constructif, à la hauteur des enjeux qui touchent le secteur.
Le monopole est-il une garantie de stabilité des prix ?
Le monopole d’EDF sur la production et la distribution de l’électricité est décrit comme la garantie de la stabilité des prix. La libéralisation – sous-entendu le processus qui met fin au monopole économique d’une organisation, d’un secteur ou d’un marché pour l’ouvrir à la concurrence – aurait ainsi mis fin à une période marquée par des prix « stables et faiblement impactés par l’évolution des cours mondiaux des combustibles fossiles ». Une telle affirmation ignore des moments clés de l’histoire du secteur et en présente donc une version largement tronquée. Par exemple, entre 1973 et 1985, malgré le monopole, les coûts de l’électricité en France ont subi une hausse de 200% avec même des pics de +16,7% en 1974 et de +22% en 1980 à la suite des deux chocs pétroliers. Le monopole n’a donc pas mieux protégé des montagnes russes du prix des énergie fossiles que ne l’a fait le marché en 2022.
La tarification au coût marginal est-elle un produit de la libéralisation ?
Avec la libéralisation, « le mode de fixation du prix de gros européen » serait l’autre responsable. Semble ici visée la tarification au coût marginal, qui correspond au coût de production de la dernière centrale appelée, c’est-à-dire la plus chère, souvent une centrale à gaz. Or l’usage de ce mode de tarification n’a que peu de rapport avec la libéralisation. Il a été théorisé et mis en place par Marcel Boiteux, directeur général d’EDF de 1967 à 1979. L’objectif a toujours été de favoriser un équilibre entre l’offre et la demande en envoyant un signal de prix aux consommateurs et en imposant une prise en compte du caractère fini des ressources énergétiques.
Et ce mode de tarification n’aurait pas un tel effet inflationniste si le marché de l’électricité ne connaissait pas une crise de la production liée à l’indisponibilité du nucléaire, de l’hydraulique (sécheresse) ainsi qu’à l’invasion de l’Ukraine. Nier l’impact de cette pénurie de production revient à se concentrer sur les conséquences de cette crise en ignorant ses causes. Enfin, la libéralisation de la production a été bien utile : depuis 2007, date d’achèvement de la libéralisation du marché, 85% des nouveaux moyens de production ont été installés par des producteurs privés. Jusqu’à quel sommet seraient arrivés les prix si ces moyens de production « privés » n’avaient pas été déployés ?
Les intermédiaires sont-ils de purs spéculateurs ?
Les fournisseurs d’électricité alternatifs sont particulièrement ciblés, accusés de s’enrichir sans rien produire, ils seraient des profiteurs de crise. Une telle vision reflète une confusion sur le rôle de fournisseur dont le métier est bien antérieur à la libéralisation. La production et la fourniture sont deux parties différentes du marché de l’électricité. De la même façon que les agences de voyages ne font pas voler les avions ou rouler les trains, que les libraires n’écrivent ni n’impriment les livres qu’ils vendent, que les stations-services indépendantes n’extraient ni ne raffinent le pétrole qu’elles vendent, que les crémiers ne produisent pas le lait qu’ils vendent… bref que dans la majorité des secteurs les commerçants et les producteurs sont deux maillons indépendants de la chaîne, les fournisseurs ne produisent pas d’électricité. Ce sont des commerçants qui proposent des offres et des services divers, donnant ainsi du choix au consommateur. D’ailleurs pour les autres produits inflationnistes qui pense qu’un guichet unique changerait les choses ? Et comment penser qu’un acteur intégré, même public, avec un guichet unique, ne favoriserait pas la vente de ses produits les plus rentables au détriment de solutions alternatives ?
L’ouverture à la concurrence a-t-elle eu un impact purement inflationniste ?
Il est dit que la libéralisation du marché aurait eu un effet purement inflationniste du fait des frais d’intermédiation collectés par les fournisseurs. Pourtant, la réalité est différente : d’un côté l’inflation pré-crise de 2022 est due aux taxes, au coût du réseau et, à l’augmentation des coûts de production de l’électricité, et de l’autre, l’ouverture à la concurrence a permis l’arrivée de nombreux services comme les offres 100% vertes, les prix fixes sur un, deux ou trois ans, les offres en ligne, etc. Rien à voir donc avec des frais d’intermédiation.
Ils associent également l’augmentation des prix à la création du mécanisme de l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique). Or c’est ce mécanisme qui assure le droit pour chacun de bénéficier d’un pourcentage de sa consommation à un prix régulé de 42€/MWh, limitant ainsi fortement l’inflation de la facture énergétique pour les Français. Présentée comme un poison pour EDF et comme une subvention aux fournisseurs alternatifs, c’est oublier que l’ARENH n’est que le miroir des Tarifs Réglementés de Ventes (TRV), qui sont calculés eux aussi avec le prix de l’ARENH. Ces deux mécanismes sont là pour imposer à EDF une marge régulée sur la majorité de ses volumes de production. Toucher à l’ARENH, c’est en fait toucher au prix de l’électricité de tous en France. En réalité les TRV et l’ARENH, deux faces d’une même pièce, sont un choix politique pour que jusqu’à 68% du prix de l’électricité en France échappe au mécanisme de marché. Et ce, rappelons-le encore une fois, au bénéfice de tous les Français à travers les Tarifs Réglementés de Vente pour les clients d’EDF et l’ARENH pour les clients des alternatifs.
Protéger les consommateurs passe avant tout par la réforme d’un système énergétique construit sur l’époque de l’abondance d’énergie nucléaire bon marché, époque aujourd’hui révolue.
Une tribune rédigée par: Julien Tchernia, PDG et Co-fondateur d’Ekwateur
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