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Moïse Sfez : l’irrésistible ascension de Mister Lobster

Moïse Sfez @Mauirce Midena

Lauréat de la promotion 2023 des 30 under 30 de Forbes, Moïse Sfez, 29 ans, compte parmi les acteurs importants de la street food à Paris. Grâce à son produit phare, le lobster roll, qui lui a valu un titre de champion du monde.

Un article issu du numéro 28 – automne 2024, de Forbes France

 

 

Dans la grande bibliothèque des success- stories, on apprécie particulièrement celles où le « héros » est parti de rien. Mais de moins que rien ? L’histoire de Moïse Sfez, le jeune prince du homard dans la capitale, mérite d’être contée.

Tout commence par un voyage familial à New York à l’occasion de la bar-mitsvah de son petit frère. Dans la métropole américaine où l’on passe ses journées à marcher, la street food est reine. Moïse découvre alors le lobster roll. Dès la première bouchée, coup de foudre, il adore. Ironie du sort, le homard est un aliment interdit à la consommation chez les juifs… « Cette expérience gustative restera gravée à jamais » se souvient-il.

Quelques années plus tard, un bac ES en poche, il se tourne vers une école formant aux métiers de l’hôtellerie et la restauration. Chez Vatel, il touche à tout, la cuisine, la salle, la gestion, le marketing. « Je pensais déjà créer ma propre entreprise, explique-t-il. Il était donc important que j’ai une vue d’ensemble. » Mais c’est lors de ses différents stages que le virus de la gastronomie va le gagner. Il passe par plusieurs grandes maisons, notamment le restaurant étoilé d’Alain Ducasse à Londres, où le chef exécutif le prend sous son aile. « Je travaillais 5 jours sur 7 et pendant le week-end, je venais au restaurant pour apprendre la gestion et le management », explique-t-il. Paradoxalement, il comprend aussi lors de cette expérience professionnelle très enrichissante qu’il ne travaillera plus jamais pour un patron. « Ils avaient une vision quasi militaire de la hiérarchie, assure-t-il. Ce qui était important pour eux, c’était le “comment on fait” alors que ce qui me paraît essentiel, c’est le résultat. » De retour à Paris, il enchaîne les petits boulots, commence à mettre de l’argent de côté pour réaliser son projet : créer son entreprise. Oui, mais dans quoi ? Lui revient en mémoire le choc new-yorkais. Il se lancera dans le lobster roll.

 

La claque de Rungis

Mais les débuts sont difficiles. Lorsqu’il se rend à Rungis pour dénicher un fournisseur de homard prêt à jouer le jeu d’une vente d’une tonne par an sur la base d’un prix négocié, on lui rit au nez. « Casse-toi, petit, retourne à l’école ! » Les études ? Pas question de les lâcher, mais son projet non plus.

Le jeune homme têtu est encouragé par le pâtissier Yann Couvreur, l’un de ses meilleurs amis, qui lui propose son atelier et ses collaborateurs pour mettre au point son pain brioché. En parallèle, il trouve un poissonnier prêt à lui vendre du homard à un prix acceptable et, après neuf mois de mise au point de son produit, il prend un stand sur un food court de Belleville en investissant ses 3 000 euros d’économies dans les équipements (toaster, etc.).

On est en 2017, Moïse Sfez a une vingtaine d’années, il prépare son bachelor chez Vatel et son lobster roll fait déjà des dégâts. On se bouscule sur son stand pour déguster ses petits sandwiches tout chauds, fondants et goûteux. Il ouvre un premier fast-food dans le Marais qui remporte un succès immédiat. La presse note le phénomène. Un magazine place son lobster roll parmi les meilleurs, déclenchant un coup de fil des organisateurs des championnats du monde de lobster roll qui l’invitent à participer au concours. L’événement doit se dérouler dans le Maine, à l’extrême nord des États-Unis. Fou de joie, Moïse Sfez accepte sans trop savoir ce qui l’attend. « Je pensais qu’il fallait réaliser quelques sandwiches pour un jury d’initiés, mais pas du tout ! s’amuse-t-il aujourd’hui. Il fallait préparer, en plus, 700 sandwiches pour des gens qui avaient pris leur ticket pour déguster et voter. »

 

Champion du monde !

Premier écueil, faire passer une grande quantité de pain brioché dans un pays où l’on n’a pas le droit d’apporter de la nourriture. Avec son père et son meilleur ami qui le rejoignent dans cette aventure, ils ont l’idée de dissimuler les petits pains dans des caisses de vêtements ! Les trois larrons débarquent dans le Maine tout excités mais Moïse est confronté à un nouvel obstacle : la coupe du monde de football 2018. Papa et le meilleur copain sont embarqués par l’épopée des Bleus et l’abandonnent en rase campagne. « Ils ne pensaient qu’aux matchs de foot », se rappelle-t-il. Qu’à cela ne tienne, il arrive sur les lieux du concours et se plonge dans la concoction de ses lobster rolls. Le triomphe s’avère foudroyant. Les aficionados se passent le mot, on fait la queue sur son stand. Quant au jury, il est emballé par les sandwiches de ce jeune Français enthousiaste. Moïse Sfez remporte le prix du Jury et finit 1er ex aequo pour le prix du Public. « À partir de là, tout a changé, affirme-t-il. On est dans tous les guides, mon échoppe de la rue Rambuteau est envahie. » Mieux encore, sa banque, jusqu’ici réticente à l’accompagner dans son développement, décide soudainement de lui prêter 300 000 euros pour acheter son local où il était en location- gérance. La mer s’ouvre devant Moïse… Il implante un deuxième fast food Homer à Saint-Germain- des-Prés.

Mais là, c’est la douche froide. « Ça ne décolle pas », reconnaît-il aujourd’hui. On est en 2020, le Covid s’en mêle. Terrifié par le virus, Moïse ferme boutique et se barricade chez ses parents. « Je mangeais les petits plats de ma mère tous les jours, j’ai pris dix kilos, se souvient-il. Du coup, je me suis mis à courir pour limiter la casse. On avait le droit. » Lors d’un footing, il passe devant un sushi bar où sont agglutinés des dizaines de clients qui attendent leur commande. En un éclair, il rappelle ses équipes, rouvre ses deux établissements afin de proposer du lobster roll à emporter. Carton plein ! Moïse ne lâchera plus jamais le « à emporter ». De grands hôtels parisiens réclament son produit qui se retrouve sur les cartes des bars du Royal Monceau et du Peninsula.

 

 

Allo, c’est Sarko…

Après le Covid, Moïse a besoin de nouveaux challenges. Il retourne à New York où sa curiosité s’exerce sur les delicatessen. Il déguste une multitude de pastramis et autres dindes fumées, affine ses convictions sur ces produits pas si courants sur le sol français, et fomente un nouveau coup… De retour à Paris, il ouvre Janet, qui rencontre instantanément sa clientèle. « J’ai démarré aussi rue Rambuteau car Homer et Janet sont complémentaires, estime-t-il. En termes de prix, Homer est le haut de gamme et Janet le moyen de gamme. » Puis grâce à une fiancée belge, il découvre la gaufre liégeoise. Ce gâteau fondant imprégné d’un arôme caramel hyper addictif deviendra la star d’une nouvelle enseigne, Maurice, où l’on sert des cafés de qualité, du thé matcha et des chaï latte. Succès immédiat. « Désormais, je raisonne en pôle, dit-il. J’essaye d’ouvrir les trois côte à côte car ils marchent très bien ensemble. Les clients avalent un pastrami chez Janet ou un lobster roll chez Homer puis traversent la rue et prennent une gaufre et un café chez Maurice. »

 

Aujourd’hui, Moïse Sfez est à la tête d’une quinzaine d’établissements à Paris, est présent à Dubaï via des licences et prépare une ouverture à Londres. Son entreprise réalise 9 millions de CA et franchira la barre des 10 millions en 2025. Il possède 100 % des parts de la société, s’étant toujours refusé à faire appel à des fonds extérieurs. « Je tiens à mon indépendance », souligne-t-il. Il a, cependant, failli craquer récemment lorsqu’un certain… Nicolas Sarkozy l’a appelé pour lui proposer un déjeuner avec Stéphane Courbit, le président du groupe de production audiovisuelle Banijay ! « On s’est vus deux fois, Nicolas Sarkozy était très intéressé, se réjouit Moïse Sfez. Mais finalement, on n’a pas fait affaire. Je crois que je tiens trop à ma liberté. » Qui le mènera loin, sans doute de l’autre côté de l’Atlantique, car depuis sa prime jeunesse, Moïse Sfez est habité par le rêve américain. « J’aimerais ouvrir un jour Homer à New York, confie-t-il, mais pour ça, il faudrait que je sois sur place. » Ce qui implique une autre organisation. Car pour l’instant, Moïse Sfez a bien les mains dans le cambouis et les pieds dans le Marais. « J’adore ça,lâche-t-il, c’est la vie que j’aime. »


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