Lourdeur bureaucratique, manque de réactivité, de transparence ou de cohérence, les services publics ont souvent été critiqués. Pourtant, depuis les années 90, ils n’ont cessé de se transformer avec les évolutions du numérique, les attentes des usagers et des priorités politiques, comme la collecte de l’impôt aujourd’hui numérisée. En quelques années, de nombreuses démarches en ligne ont permis une meilleure personnalisation de la relation avec les usagers et favorisent la collaboration entre les différentes administrations. Mais nous sommes aujourd’hui un peu au milieu du gué, et chacun ressent la nécessité d’une nouvelle phase de simplification, d’une relation plus fluide, plus intuitive entre les citoyens et l’administration.
Une contribution de Bernard Giry, CIO et Directeur général adjoint transformation numérique, Région Île-de-France et Laurent Daudet, Directeur général et cofondateur de LightOn
Au moment où le gouvernement annonce une nouvelle phase de simplification (la presse en parlait déjà en 1976…), l’arrivée de l’IA Générative en 2023 nous a conduit, État, collectivités locales et entreprises, à nous interroger sur son pouvoir de transformation des services publics. L’IA générative n’est-elle qu’une lubie technologique de plus ou va-t-elle durablement transformer le fonctionnement même des services publics, leur offrant l’opportunité de revisiter leurs outils, leurs process et leurs métiers?
Une adoption de l’IA générative différente selon les services publics
Soucieux d’éviter de reproduire le “shadow IT” par du “shadow IA” avec un usage non contrôlé de ChatGPT, certains services interdisent à leurs agents l’utilisation d’IA, préférant se donner le temps de la réflexion. D’autres, en revanche, optent pour des expérimentations avec l’IA générative. Cette dernière démarche nous paraît utile pour inciter les agents à se saisir de cet outil, à mieux en comprendre le potentiel et ses limites, et à identifier les cas d’usage les plus adaptés aux services publics. On ne peut que saluer l’expérimentation lancée par le gouvernement auprès de 1 000 agents volontaires d’un outil utilisant l’IA générative pour les accompagner dans la rédaction des réponses en ligne aux avis et commentaires des usagers.
Toutefois, l’usage de cette technologie par les services publics reste encore très disparate, sans doute du fait de la nécessité de trouver des ressources financières complémentaires avant d’espérer pouvoir dégager des gains de productivité ou de qualité de service, mais surtout parce qu’elle n’est pas sans impacter les organisations elles-mêmes. L’IA générative nous incite à revoir nos process, nos outils, nos données.
Si nous prenons l’exemple du “tech assistant” réalisé conjointement par le pôle Transformation numérique de la Région Ile-de-France et la société LightOn, il nous a conduit à une démarche itérative pour renforcer les qualités de l’algorithme. Nous avons “nourri” le LLM (Large Language Model, ou Grand Modèle de Langue, autrement dit le moteur d’intelligence artificielle textuelle) de notre documentation technique relative à l’ensemble de nos Systèmes d’Information, services numériques, et infrastructures. Sur la base de ces données fiables et régulièrement mises à jour, le LLM est aujourd’hui capable de délivrer des réponses aux requêtes écrites en langage naturel, comme on formulerait une simple demande. Les agents ou infogérants confrontés à une problématique de panne ou de maintenance peuvent via cet assistant recueillir instantanément une réponse à leur problématique, complétée par la référence au paragraphe de la documentation comme preuve de la véracité de la proposition.
Mais pour que l’IA générative soit encore plus performante, nous nous sommes engagés dans une démarche de modernisation de cette documentation en réduisant “les zones de flou” pour l’algorithme, en les revisitant afin qu’elle soit lisible à la fois par les agents et par l’algorithme. Un travail complémentaire d’ontologie a aussi été mené pour augmenter la fiabilité de la réponse. Ces assistants intelligents qui s’appuient sur des “verticales documentaires” (RAG pour Retrieval Augmented Generation, la combinaison d’un moteur de recherche sur corpus avec l’IA générative) peuvent faire gagner énormément de temps aux agents tout en augmentant leur autonomie pour résoudre les problèmes rencontrés. Nous pouvons imaginer tout le bénéfice à utiliser ces IA dans le cadre de la relation RH, de la gestion contractuelle et juridique (rédaction d’amendements, de contrats, de mémoires administratifs…), des documents sur lesquels s’appuient tous les services publics.
L’IA générative impacte les métiers des services publics
L’IA générative, c’est aussi une opportunité pour améliorer le service AUX publics en facilitant la recherche d’informations, par exemple au sujet de subventions. Ces assistants intelligents, avec un “prompt” (texte de requête de LLM) en langage naturel, apportent une fluidité, une facilité dans la relation, dans l’interrogation des productions documentaires des services publics.
Si je peux simplement dans un prompt dire “j’habite ici, je viens d‘acheter un appartement et que peut faire la Région, l’Etat pour m’aider à économiser de l’énergie ?” et avoir une réponse simplifiée et qui m’engage dans un dialogue sur les critères d’éligibilité, nous croyons que cela renforcera la lisibilité des politiques publiques.
En simplifiant l’accès aux informations et en automatisant certaines tâches comme la rédaction de mails pour proposer des réponses à des commentaires d’usagers, l’IA générative interroge les services publics sur leurs process, leurs outils et in fine sur leur métier. En automatisant la production de synthèses ou de comptes rendus à partir de données brutes ou de documents volumineux et complexes, elle facilite la compréhension du langage administratif, le LLM sert finalement de “traducteur” entre le langage administratif et le langage naturel (avant que l’on simplifie ce langage administratif qui est un combat de longue durée) et rend l’information accessible à un plus grand nombre.
Sera-t-il encore nécessaire de mobiliser autant d’agents dédiés à la recherche de données ou à la vérification de documents ? Ne faut-il pas dès maintenant engager un dialogue avec les agents et mettre en place les plans de formation pour anticiper cette vague IA – même si sans aucun doute cette transformation prendra du temps ?
Pour que la technologie ait un impact positif, il faut que la société s’adapte. Avec l’IA générative, les services publics pourraient prendre un nouveau visage, gagner en efficacité, en fluidité en développant une relation personnalisée avec les usagers. Ce processus ne sera pas linéaire, il n’est pas aussi prévisible que l’on peut l’entendre, il sera ce que nous déciderons d’en faire, sous réserve de se l’approprier dès maintenant, au cas par cas, en fonction des besoins des services, des agents et des citoyens. L’IA générative va entraîner des allers-retours, des succès, des échecs, de nouvelles réglementations qui vont avoir en retour des effets structurels sur l’organisation de nos services publics. Ne l’oublions pas, toute transformation réussie est avant tout un processus social.
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