Concevoir des objets utiles, sobres, faciles à réparer : depuis peu, des écoles d’ingénieurs initient leurs étudiants aux « low techs », des pratiques visant à faire mieux avec moins, à rebours de l’image de haute technicité associée au métier.
Derrière cet anglicisme, construit en opposition aux « high-techs », se cache un mouvement né dans les années 1970 qui questionne le « tout technologie », avec en toile de fond l’épuisement des ressources naturelles. Cafetière à piston plutôt que machine à capsules, cuiseur solaire plutôt que four électrique: ces techniques englobent « des objets frugaux, qui utilisent le moins de ressources énergétiques, humaines, financières, et de place », explique à l’AFP Martina Knoop, directrice de la Mission pour les initiatives transversales et interdisciplinaires (MITI) du CNRS. A Lyon, Nantes ou encore Grenoble, concept et pratiques gagnent depuis peu les écoles d’ingénieurs, convaincues que les entreprises auront besoin de ces compétences. “Elles vont vivre dans un milieu contraint. Il n’y aura plus de ressources illimitées et les lowtechs sont une réponse à cet enjeu », explique Jean-Marc Benguigui, responsable de la formation à Centrale Nantes. Depuis 2022, 12 étudiants par promotion travaillent à un projet concret. Après l’aménagement d’un catamaran avec des technologies plus simples, la prochaine promotion se penchera sur l’habitat en milieu rural.
Des enjeux écologiques
A l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon, 88 élèves suivent l’option low tech. Un après-midi de juin, des jeunes femmes et hommes, en blouse de travail, coupent de la tôle, liment des pièces ou bricolent une fraiseuse et une imprimante 3D faites maison. « Nous sommes au 21e siècle, il est facile de fabriquer des objets. La démarche low tech amène à se demander non plus comment mais pourquoi », en questionnant le niveau de technicité réellement nécessaire pour qu’un objet fonctionne, indique Romain Colon de Carvajal, enseignant en conception mécanique. Cet enseignement, encore confidentiel, détonne dans le cursus traditionnel. « La culture ingénieur classique est une culture d’expertise, qui concentre les savoirs dans les cerveaux de quelques-uns, sans forcément demander leur avis » aux utilisateurs, analyse Sacha Hodencq, maître de conférences à Grenoble INP. Mais « on sent un renouveau avec les enjeux écologiques et la conscience que ces enjeux complexes seront difficiles à résoudre avec une approche en silo ». Pour Léa, étudiante à l’Insa, cette approche répond au « constat que les ingénieurs contribuent fortement à un système qui va droit dans le mur ». La jeune femme de 23 ans est prête à rejoindre le milieu associatif à l’issue de ses études, quitte à accepter « un salaire bien moindre que ce que peut espérer un ingénieur », autour de 37.600 euros annuel brut en début de carrière.
Et après ?
Existe-t-il des débouchés pour les jeunes ingénieurs attirés par la low-tech? « C’est là où le bât blesse », estime Romain Colon de Carvajal. Ilan Vermeren, diplômé de Centrale Nantes, est plus nuancé. « Il y a une appétence de plus en plus forte » de la part des entreprises, assure-t-il, citant l’exemple d’un emploi à pourvoir chez une filiale du géant de l’aéronautique Airbus. Les low-techs intéressent au-delà de la France. Un projet européen associe des écoles françaises à l’Université de Mons en Belgique et à l’Université de technologies de Dublin. Elles ont aussi leurs avantages dans des pays en développement. « Dans l’enseignement, on a toujours travaillé, avec des pays moins industrialisés, autour de solutions plus durables, plus robustes, plus faciles à réaliser », explique Martina Knoop du CNRS. La physicienne voit aussi dans ce concept une réponse intéressante à « l’augmentation de la demande en données ». Pour mesurer la pollution en ville par exemple, on peut « déployer à grande échelle » des capteurs plus basiques mais moins chers.
Avec AFP.
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