Rechercher

Les entreprises réinvestissent dans les dons caritatifs

dons
Les entreprises réinvestissent dans les dons caritatifs. Getty Images

Alors que les PDG réduisent leurs efforts en matière de diversité, équité et inclusion (DEI) et appellent les jeunes salariés à une plus grande neutralité politique, les dons caritatifs cofinancés par les employeurs s’imposent comme un levier permettant aux employés d’exprimer leurs valeurs personnelles sur leur lieu de travail.

 

Aux États-Unis, Donald Trump et son entourage annoncent une offensive contre le monde du travail, ciblant notamment les initiatives des employeurs en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion (DEI). Parallèlement, avec une baisse de près de 40 % des offres d’emploi depuis leur pic en 2022, même les salariés insatisfaits hésitent davantage à démissionner. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de voir des PDG, autrefois enclins à promouvoir la justice sociale pour répondre aux attentes de leurs jeunes employés, réduire aujourd’hui les programmes de DEI, adopter une posture de réserve sur les causes sociales et inviter leurs équipes à tenir leurs opinions politiques à l’écart du lieu de travail. La semaine dernière, Walmart, le plus grand employeur privé des États-Unis, a confirmé le recul de ses efforts dans ce domaine.

À la suite des manifestations contre la guerre à Gaza, certains employés ont constaté que l’activisme pouvait aller jusqu’à entraîner un licenciement. Pourtant, une exception notable à ce désengagement persiste : les dons caritatifs. Ces dernières années, bien que les contributions à Centraide aient diminué, un nouveau type de plateforme de dons s’est développé, offrant aux salariés la possibilité de soutenir les causes caritatives de leur choix, souvent avec un complément financier de leur employeur.

« Tout le monde cherche une façon de répondre aux attentes de ces jeunes travailleurs qui souhaitent désormais que leur employeur prenne position, sans pour autant exposer l’entreprise à des risques juridiques», explique Alison Taylor, professeure de responsabilité et d’éthique des entreprises à la Stern School of Business de l’Université de New York. Selon elle, « les dirigeants et cadres supérieurs font preuve d’une grande prudence, cherchant à éviter de froisser qui que ce soit. » Dans ce contexte, elle estime que « permettre aux employés de choisir eux-mêmes les causes qu’ils soutiennent par leurs dons est une décision avisée. »

C’est également une manière de répondre aux attentes de la génération Z et des jeunes milléniaux, profondément marqués par les souffrances humaines relayées sur les réseaux sociaux et dans les actualités, notamment dans des régions comme Gaza.

L’un des principaux acteurs dans le domaine des plateformes de dons est Benevity, une fintech basée à Calgary, en Alberta. En 2023, Benevity a géré 3,2 milliards de dollars de dons destinés à 265 000 causes différentes, provenant des employés de grandes entreprises telles qu’Adobe, Cisco, Merck, Microsoft, Nike, UPS et Visa. Ce montant, qui inclut les contributions des employeurs, a augmenté de 14 % et devrait afficher à nouveau une croissance à deux chiffres cette année. Bien que Benevity travaille avec des multinationales et des entreprises non américaines, 84 % des dons de 2023 ont été dirigés vers des organisations caritatives basées aux États-Unis.

Dans une analyse réalisée pour Forbes sur les dons des employés de 826 entreprises clientes au cours des deux années se terminant le 31 octobre 2024, Benevity a identifié les cinq principaux bénéficiaires : la Croix-Rouge (toutes sections et pays confondus), l’Hôpital de recherche pour enfants St. Jude, Médecins sans frontières (toutes sections confondues), la Planned Parenthood Federation of America, et le Palestine Children’s Relief Fund.

 

Comment les jeunes travailleurs orientent leurs dons caritatifs

À notre demande, Jules Dorval, responsable de la science des données sociales chez Benevity, a analysé les dons des jeunes travailleurs au sein d’un sous-échantillon de 62 entreprises pour lesquelles des données sur l’âge des donateurs sont disponibles. Sur la même période de deux ans, les groupes humanitaires, et en particulier les organisations internationales, se sont démarqués comme principaux bénéficiaires des dons des employés de moins de 30 ans.

En tête du classement figurait le Croissant-Rouge palestinien – branche de Bireh (desservant Gaza et la Cisjordanie), suivi par World Central Kitchen (2e position), UNICEF (4e position), la Croix-Rouge (5e position), et des organisations comme le Secours islamique (3e position) et le Palestine Children’s Relief Fund (6eposition). Ces trois dernières occupaient respectivement les 11e, 14e et 17e positions pour l’ensemble des tranches d’âge dans ces mêmes entreprises. Les jeunes donateurs ont également privilégié des organisations comme St. Jude (7e position), Mercy Corps (8e position), Médecins sans frontières (9e position), et Save The Children Federation (10e position).

L’organisation britannique Medical Aid for Palestinians, fournissant des services de santé à Gaza et en Cisjordanie, s’est classée 11e parmi les associations soutenues par les employés de moins de 30 ans, bien qu’elle ne figure pas dans le top 200 pour l’ensemble des salariés. De son côté, American Friends of Magen David Adom, basée à New York, s’est positionnée 18e pour les jeunes donateurs, contre une 78e place pour l’ensemble des salariés.

Ces données illustrent une tendance marquée : quelle que soit leur perception du conflit entre Israël et le Hamas, les jeunes travailleurs expriment leurs convictions en soutenant des organisations caritatives liées à la région.

L’expression « I gave at the office » illustre un cliché enraciné dans une longue tradition de dons en milieu professionnel. À la fin du XIXe siècle, les élites locales ont cherché à structurer la charité en créant des sociétés de bienfaisance pour distinguer les bénéficiaires « méritants » des autres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’intensification des campagnes de collecte sur le lieu de travail a favorisé l’introduction des premières déductions salariales pour les dons.

Après la guerre, alors que les déductions pour assurances, impôts et autres prélèvements se généralisaient, les dons sur salaire ont suivi le même modèle. Une grande partie de ces contributions était dirigée vers des fonds communautaires, notamment les 1 100 sections américaines de United Way Worldwide, qui redistribuaient l’essentiel des fonds à des organisations majeures telles que le YMCA, la Croix-Rouge et l’Armée du Salut.

 

Dons caritatifs et fidélisation : un levier sous-estimé pour les employeurs

À l’origine, les salariés avaient peu de contrôle sur l’affectation de leurs dons. Mais sous la pression des campagnes de dons alternatifs, United Way Worldwide a officiellement adopté en 1990 une politique permettant aux donateurs de choisir la destination de leurs contributions, y compris vers des organisations extérieures à son réseau. Malgré cette évolution, la participation des travailleurs aux campagnes de United Way Worldwide a continué de décliner, une tendance amplifiée par la baisse des dons durant la Grande Récession.

Pour l’année se terminant en juin 2024, sur les 2,5 milliards de dollars de dons privés reçus par United Way Worldwide, seulement 1 milliard provient des contributions effectuées sur le lieu de travail, un signe des bouleversements dans les habitudes de dons en entreprise.

L’essor des plateformes de dons en ligne redynamise aujourd’hui la tradition des dons sur le lieu de travail, tout en la transformant en un avantage salarié intégré à un ensemble plus large de bénéfices visant à renforcer l’engagement et la satisfaction des employés. Selon une étude d’Artemis Strategy Group pour Fidelity Charitable, une filiale de Fidelity Investments, 78 % des employés bénéficiant d’un programme de dons en entreprise estiment que les valeurs de leur employeur sont en adéquation avec les leurs, contre seulement 56 % parmi ceux qui n’ont pas accès à ce type de programme. (En 2019, Fidelity Charitable s’est associé à la division des avantages sociaux de Fidelity Investments pour lancer Giving Marketplace, un concurrent de Benevity.)

Par ailleurs, l’enquête Artemis, menée auprès de 1 500 travailleurs, révèle que 89 % des salariés ayant accès à des programmes de dons se déclarent satisfaits de leur employeur, un score supérieur de 12 points par rapport à ceux n’en bénéficiant pas. Bien que les résultats ne prouvent pas que les dons caritatifs soient la cause directe de cette satisfaction accrue, ils indiquent qu’ils contribuent à un ensemble d’avantages présents dans les entreprises où les employés se sentent plus épanouis.

Cette tendance est particulièrement pertinente dans un contexte où, selon Gallup, les générations milléniales et Z se disent de plus en plus désengagées et enfermées dans leur travail. Un marché de l’emploi plus restreint a transformé le phénomène de « grande démission » en celui de « grande rétention », incitant les employeurs à repenser leurs stratégies pour renforcer la satisfaction et la fidélisation des salariés.

Autre indication que le don est désormais perçu comme un avantage salarié : 70 % des employeurs utilisant Benevity proposent une contribution égale à celle de leurs employés, jusqu’à un certain plafond, précise Jules Dorval. En tout, il estime que 65 % des sommes collectées via la plateforme bénéficient d’une contrepartie de l’employeur.

La plateforme permet également aux entreprises de gérer les jours de congé accordés pour le bénévolat ou même de récompenser les employés pour leur engagement en dehors du travail, en versant des contributions sur le compte d’une organisation caritative choisie par l’employé. Les dons peuvent être effectués directement par retenue sur salaire, via une carte de crédit, ou les deux.

Les salariés ont également la possibilité de désigner à l’avance les organismes qu’ils souhaitent soutenir ou d’accumuler leurs fonds sur un compte de dons, leur permettant ensuite de répartir leurs contributions comme avec un fonds conseillé par un donateur. Benevity utilise un fonds principal dédié pour regrouper et gérer tous les dons effectués via sa plateforme.

La plateforme Benevity se distingue par sa flexibilité, permettant d’organiser des campagnes de collecte de fonds et des événements comme le Giving Tuesday, qui se tient le mardi suivant Thanksgiving, après le Black Friday et le Cyber Monday. Depuis 2012, cette journée est promue par les organisations caritatives comme une opportunité d’encourager les dons, profitant d’une période où les Américains sont particulièrement enclins à dépenser. Lors du Giving Tuesday de 2023, Benevity a traité 150 millions de dollars de dons via sa plateforme, soit une hausse de 22 % par rapport à l’année précédente.

 

L’essor des dons sur le lieu de travail face au recul des engagements traditionnels

Bien que les dons sur le lieu de travail ne représentent encore qu’une infime part des contributions caritatives globales, ils connaissent une croissance plus rapide que les autres canaux de dons. Selon le Blackbaud Giving Fund, environ 5 milliards de dollars sont collectés chaque année sur les lieux de travail aux États-Unis, ce qui équivaut à seulement 1 % des 557 milliards de dollars de dons totaux enregistrés en 2023, d’après le rapport annuel de Giving USA. Toutefois, si les dons individuels n’ont augmenté que de 1,6 % en 2023 (en dollars nominaux non ajustés pour l’inflation), Benevity a, pour sa part, enregistré une progression de 14 %, illustrant la dynamique particulière de ce type de contributions.

En revanche, les contributions aux fonds conseillés par les donateurs (DAF), gérés par des fondations communautaires ou des organisations à but non lucratif affiliées à des institutions financières comme Vanguard, Fidelity et Schwab, ont connu une baisse notable de 22 % l’année dernière, atteignant 59 milliards de dollars. Ces fluctuations s’expliquent en partie par le fonctionnement des DAF : pour maximiser leurs avantages fiscaux, les donateurs fortunés y transfèrent souvent en une seule fois des actions fortement valorisées après une année de gains significatifs, puis effectuent des dons aux associations caritatives spécifiques de manière échelonnée. Ce mécanisme peut entraîner une volatilité marquée d’une année sur l’autre.

Chez Benevity, bien que les travailleurs américains reçoivent les documents nécessaires pour demander des déductions fiscales, ces dons sont rarement motivés par des considérations fiscales. En effet, la réforme fiscale de 2017 sous l’administration Trump a réduit à moins de 8 % la part des Américains détaillant leurs déductions, condition nécessaire pour bénéficier d’avantages fiscaux. De plus, les dons aux associations caritatives étrangères ne sont généralement pas déductibles, mais Benevity indique que 67 % de ses clients autorisent les contributions internationales.

La plateforme met à disposition une liste de plus de deux millions d’organisations éligibles, bien que certaines entreprises choisissent d’exclure certaines catégories, comme les organisations religieuses, de leurs programmes de contribution. Cette flexibilité illustre l’adaptabilité de Benevity pour répondre aux préférences des employeurs tout en facilitant l’engagement caritatif des employés.

Les dons sur le lieu de travail semblent prêts à se développer davantage, même si les engagements en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) et l’activisme social des dirigeants d’entreprise diminuent. Une enquête récente menée auprès de 219 grandes entreprises par Chief Executives for Corporate Purpose (CECP) révèle qu’entre 2021 et 2023, 53 % d’entre elles ont réduit leurs investissements communautaires, incluant les dons directs en espèces, les dons en nature et les heures de travail des employés consacrées à des initiatives sociales.

Parallèlement, 94 % des entreprises (en hausse de quatre points par rapport à 2021) ont proposé à leurs salariés une forme de programme de dons jumelés à des œuvres de charité. Ces programmes incluent des contributions jumelées tout au long de l’année, des campagnes annuelles, des dons récompensant le bénévolat et, dans une catégorie en forte croissance, des collectes spéciales pour les secours en cas de catastrophe.

Cependant, le taux de participation reste limité. Parmi les entreprises interrogées, seuls 20 % des employés, en moyenne, ont participé aux programmes d’abondement de leur entreprise en 2023, une progression modeste d’un point par rapport à 2021. Double Your Donation, une organisation gérant une base de données des programmes de jumelage pour les associations caritatives, estime que 27 millions de travailleurs disposent de ces avantages, mais qu’entre 4 et 7 milliards de dollars de fonds de jumelage restent non réclamés chaque année. Une opportunité significative à saisir.

Un article de Maria Gracia Santillana Linares pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


À lire également : Entreprises : quels placements privilégier pour une optimisation de trésorerie ?

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC