OPINION | Le mouvement #MeToo, lancé en 2017, a permis à des milliers de femmes de révéler les violences qu’elles avaient subies et de faire de leurs expériences une arme pour la bataille politique contre le patriarcat. Cependant, les choses semblent s’être déroulées différemment pour #MeTooGay. En effet, ce phénomène est resté principalement cantonné au contexte français et a rapidement perdu de sa portée. Il a tout de même permis à de nombreux hommes homosexuels de raconter une expérience de violence subie jamais exprimée auparavant.
Si les deux mouvements, #MeToo et #MeTooGay, ne sont guère comparables, la question de l’oppression y reste centrale. Dans les deux cas, on a observé une libération de la parole des subjectivités opprimées, le corps s’est (re)configuré comme espace de négociation pour une lutte et une forme de résistance à l’oppression, de l’intime au politique, du privé au public. En outre, même les relations homosexuelles masculines peuvent être basées sur des dynamiques patriarcales et des modes de production (en termes marxiens) typiquement hétérosexuels.
Ces dernières semaines, la France a été secouée par l’histoire tragique de Guillaume T, étudiant d’une vingtaine d’année retrouvé pendu le 9 février dernier dans la chambre de sa résidence étudiante après avoir déclaré, dans les jours précédents, avoir été victime de viol deux ans auparavant.
Dans l’océan de scandales qui secouent actuellement le pays, le cas Gabriel Matzneff est l’un des plus significatifs. Il interpelle le silence décennal et complaisant des intellectuels sur la pédophilie avérée de Matzneff, racontée au fil de ses œuvres. De même, la sortie de La familia grande de Camille Kouchner, en janvier 2021, participe à lever l’omerta qui entoure le sujet. L’auteure y raconte l’histoire de son frère, victime d’inceste perpétré par leur beau-père, le constitutionnaliste et politologue Olivier Duhamel. Les conséquences de ce type de publication atteignent les sphères les plus hautes de l’establishment parisien, amenant notamment la démission du directeur de Sciences Po Paris, Frédéric Mion, mis au courant des faits plusieurs années plus tôt (cf. l’enquête du Monde en question).
Le domaine littéraire représente depuis longtemps un exutoire pour exprimer des expériences intimes déchirantes, de l’Amour impossible d’un père incestueux raconté par Christine Angot à l’Histoire de la violence d’Édouard Louis, publié en 2016. Dans le sillage de ce dernier livre, le récit de Guillaume T. a permis de faire resurgir un discours inconfessable, auquel se sont ajoutées d’autres histoires similaires survenues au sein d’un entre-soi hermétique, la communauté homosexuelle, où le racisme, le body-shaming et le femme-shaming ne sont pas rares. Ces dynamiques s’insèrent dans une structure socio-politique patriarcale et oppressive qui normalise des rapports affectifs et personnels exclusivement orientés vers le désir masculin.
Mais les homosexuel(le)s sont également plus vulnérables et plus fréquemment victimes de violences intrinsèquement patriarcales en dehors de leur communauté, au travail ou en famille par exemple. Selon les chiffres, environ 6 % des hommes homosexuels affirment avoir été « agressés ou violés au moins une fois dans leur vie par un membre ou un proche de leur famille (en dehors du cadre du couple) ». On découvre sur internet de nombreux témoignages d’oppression en tout genre, allant des actes pédophiles aux violences sexuelles “punitives” à l’encontre des personnes se déclarant homosexuelles.
Quels enseignements devons-nous tirer ? Tout d’abord, il convient d’éviter le récit courant selon lequel la violence ne serait que celle, visible, subie par des personnalités, des lettrés, des politiques ou encore des personnes issues du monde du spectacle. #MeTooGay nous montre que ces affaires médiatisées cachent des milliers de Guillaume T., de corps violés au sein même d’une communauté LGBT+ souvent idéalisée comme un lieu de solidarité et d’accueil.
L’histoire de Guillaume T. prouve par ailleurs que la violence révélée par #MeToo dépasse les rapports de pouvoir et de subordination qui marquent les relations entre les deux sexes. La diffusion rapide du hashtag #MeTooGay dans les jours qui ont immédiatement suivi le tweet de Guillaume T. ne doit pas être trompeuse, car la violence existe, et a toujours existé, non seulement contre les personnes appartenant à la communauté LGBT+, mais aussi au sein même de cette communauté.
Nous devons enfin définitivement bannir les discours de culpabilisation qui placent les victimes en responsables des actes subis. Le système oppressif entretient ces représentations toxiques et place le doute sur toute dénonciation tardive. Des corps violés donc, mais aussi des corps cantonnés à l’ombre et au silence de l’oppression.
Ainsi, comprendre #MeToo, avec ou sans l’empreinte LGBT+, signifie essentiellement reconfigurer le discours sur les comportements sexuels et, plus précisément, libérer une voix trop longtemps étouffée pour raconter son expérience personnelle quant aux violences sexuelles subies. Il s’agit d’une forme de coparticipation : le récit de violence qui, même à la lumière de ce qu’a subi Guillaume T., devient de plus en plus indispensable et nécessaire.
Original, traduit de l’italien par Paul Sericola
Jessy Simonini, doctorant à l’Université de Nantes et Matteo Winkler, professeur associé de droit et fiscalité à HEC Paris
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