Education | La polémique autour de la nouvelle ministre de l’Education, Amélie Oudéa-Castéra, a relancé le débat sur l’efficacité de l’école privée par rapport à l’école publique. Si beaucoup voient dans le privé le nec plus ultra de l’éducation, la réalité est beaucoup plus nuancée.
Il aura suffi de quelques mots pour raviver un débat en forme de serpent de mer scolaire. « [Mon premier fils] a commencé à l’école publique. Et puis, [il y a eu] la frustration de ses parents. Mon mari et moi […] avons vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées », s’était justifiée la nouvelle ministre de l’Education nationale, Amélie Oudéa-Castéra, le 12 janvier dernier, après les révélations de Mediapart sur la scolarisation de ses trois enfants au collège-lycée Stanislas.
Si la polémique a depuis pris une ampleur bien plus importante, la question de l’efficacité relative de l’école privée par rapport à l’école publique est revenue sur le devant de la scène. Certains, comme le président de l’institut Sapiens, un think tank libéral, Olivier Babeau, ont pris la défense de la ministre expliquant sur X (anciennement Twitter) qu’on « ne peut pas reprocher à un ministre de l’Education de vouloir l’excellence pour ses enfants dans le privé ».
Derrière ce message, on retrouve une idée largement diffusée dans le débat public : l’enseignement privé serait supérieur au public. C’est même l’un des principaux arguments avancés par les parents pour justifier le choix de ne pas scolariser son enfant à l’école publique. Pour autant, cette croyance ne semble pas se vérifier vraiment dans les faits.
Croyance
Pourtant, à première vue, les statistiques pourraient sembler dire l’inverse. Chaque année, les établissements privés obtiennent de meilleurs résultats au brevet et au baccalauréat. « Si on compare les résultats bruts, il y a un avantage très fort pour le privé, remarque Julien Grenet, directeur de recherche au CNRS et co-auteur d’un rapport de l’institut des politiques publiques sur la démocratisation des grandes écoles. Mais ces chiffres ne peuvent être utilisés pour attester d’une efficacité moindre dans le public car cela ne prend pas en compte les différences de composition sociale entre ces établissements. »
Pour le moment, les deux seules études qui existent à l’échelle nationale se concentrent uniquement sur l’enseignement primaire. Leurs conclusions – peu ou prou similaires -, permettent néanmoins d’obtenir un éclairage sur la question. La plus récente a été réalisée en 2017 par quatre chercheurs et publiée dans la revue Education & Formations.
Dans celle-ci, les universitaires ont analysé les résultats scolaires obtenus par des milliers d’élèves du public et du privé, entre le CP et le CE2. S’ils constatent un écart de niveau au test de français et de mathématiques, celui-ci s’expliquerait par le milieu social plus élevé dont proviennent les élèves du privé.
En neutralisant ces différences sociologiques, les experts concluent que l’écart « disparaît si on tient compte du niveau scolaire et social en moyenne plus élevé des élèves scolarisés dans le privé. Il peut alors même s’inverser et faire apparaitre un avantage apparent pour les élèves du public ».
Différence de composition sociale
L’économiste Julien Grenet s’est quant à lui intéressé à la réussite au brevet et au bac des collèges et lycées publics et privés à Paris. Si ces travaux ne permettent pas d’établir de conclusions générales, ils témoignent d’une certaine tendance : la capitale accueillait en 2022, les dix lycées français avec un taux de mentions de 99% ou 100% à l’examen de fin d’études secondaires. Parmi eux, huit étaient du ressort du privé.
Pour mener à bien son étude, le chercheur a pris en compte tous les établissements comptant au moins 50 candidats au baccalauréat général en 2019. Lors de cette année scolaire, la note moyenne y était de 12,8/20 pour les lycées publics et de 14,3/20 dans les lycées privés. Soit un écart de 1,5 point en faveur du privé.
« Cet écart de performances s’explique à 80 % par les différences de composition sociale entre lycées publics et lycées privés », souligne Julien Grenet. Et d’ajouter : « On s’est rendu compte que les lycées privés les moins socialement favorisés obtiennent de meilleures performances au bac général à Paris. » En clair, plus un lycée est mixte… plus il est efficace. Le phénomène est encore plus marqué pour le brevet. Les écarts de performance proviennent intégralement de leurs différences de composition sociale entre privé et public.
Fracture
Mais comment expliquer cette fracture sociale qui se dessine ? Frais de scolarité, filtrage des dossiers, établissements éloignés du domicile sont autant de repoussoirs pour les élèves défavorisés. A contrario, la sélectivité a un effet attractif chez de nombreux parents de catégories sociales supérieures à inscrire leur progéniture dans le privé.
« Dans les grands centres urbains, notamment à Paris, il y a eu ce phénomène de métropolisation avec une arrivée massive de cadres supérieurs qui ont placé leurs enfants dans le privé, explique Bruno Poucet, historien spécialiste de l’école. Ces derniers ont rejoint des congrégations prestigieuses, comme les jésuites et les maristes, habitués de ce type d’établissement depuis le XIXe siècle. »
L’incontestable concentration des élèves les plus favorisés dans les établissements privés relève cependant de fortes disparités territoriales. « En Bretagne, en Vendée, où dans le Nord, les compositions sociales entre publics et privés se ressemblent », souligne le chercheur. Un exemple sur lequel le ministère de l’Education pourrait s’appuyer même si le sujet de la mixité sociale ne semble plus être la priorité.
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