Le nombre de jeunes apprentis a atteint 368 800 en 2019, soit une progression de 16%. Un chiffre record pour cette voie de formation qui, pourtant, souffre encore de nombreux préjugés. Les différentes réformes et mesures mises en place par le Gouvernement dans le contexte actuel ont cependant permis d’accélérer le développement de l’apprentissage. Zoom sur ce cursus – alliant cours généraux et pratique en entreprise – qui séduit de plus en plus de jeunes.
L’ancien visage de l’apprentissage
Historiquement, l’apprentissage était dédié uniquement aux métiers manuels et destiné aux jeunes en difficulté scolaire ; souvent perçu comme un signe d’échec. Cette tendance très française résulte de l’opposition entre le monde de l’entreprise et celui de l’école qui ne date pas d’hier. Dans les années 70 et dans une logique héritée de Jules Ferry, on considérait que l’école de la république ne devait former que des citoyens dotés d’un sens critique, et non pas des travailleurs, mis à disposition de la sphère économique. Une perception contradictoire entre les jeunes citoyens, armés sur le plan critique, et leur capacité à l’exercer dans l’espace de l’entreprise, partie intégrante de leur vie. Cela devrait d’ailleurs interroger profondément le système éducatif, plutôt que d’en rejeter le principe. Un mépris qui malheureusement existe toujours car l’entreprise est encore mal perçue en France, avec l’idée qu’elle exploiterait les individus dans un monde capitaliste devenu « néolibéral ». Avec 40 ans d’écart ; deux ouvrages influents se font l’écho de cette thèse : L’école capitaliste en France (Baudelot et Establet en 1971) et La nouvelle école capitaliste (en 2011, Laval, Vergne,…). La pire forme de cet asservissement étant le concept d’entreprise formatrice illustrée par le « stage » et « l’alternance » ! Des horreurs …
Mais n’oublions pas que la première formation en apprentissage touche un « métier noble » : la médecine, avec la mise en pratique au sein de l’hôpital. Les entreprises émettaient aussi des critiques assez légitimes envers les grandes écoles d’ingénieur et de commerce. Même si ces établissements prestigieux formaient des “têtes”, les jeunes diplômés n’avaient pas l’expérience du terrain. Ce phénomène s’est distillé dans la société et des écoles (HEC, Polytech, etc.) ont ouvert des formations par apprentissage. Une vraie révolution !
Un dispositif popularisé, malgré un contexte financier difficile
Au fur et à mesure, l’image de l’apprentissage s’est améliorée notamment par la loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » initiée en 2018. Cette réforme a ainsi rendu plus accessible et plus attractif cet enseignement jusque-là moins prisé et a permis d’adosser les CFA aux CFC (Centre de Formation Continue) créant un continuum d’une formation tout au long de la vie. Cette nouveauté offre l’opportunité de mettre dans le même espace des jeunes en formation initiale, des jeunes apprentis et des personnes en formation continue pour les plus âgés. La finalité ? Donner un cadre à une formation continue tout au long de la vie. Une avancée très encourageante !
Néanmoins, l’avenir de l’apprentissage s’assombrit progressivement. A travers la réforme, le financement des contrats d’apprentissage est pris en charge depuis 2018 par les organisations professionnelles avec une répartition financière gérée par l’agence France Compétences. En septembre, plusieurs médias affirmaient qu’à partir de 2022, le volet de crédits mis à disposition par cette agence serait épuisé. L’inquiétude était palpable et a conduit Jean Castex et Elisabeth Borne à annoncer le 24 novembre, que les taux ne baisseraient pas à la rentrée 2021.
Le 14 décembre, devant un parterre de journalistes spécialistes de l’info sociale, la ministre du Travail a également réaffirmé la nécessité d’un retour à l’équilibre financier de France Compétences « à l’horizon 2022 ». Victime de son succès, l’agence nationale manque de fonds que ni l’Etat ni les branches ne peuvent abonder davantage … Wait and See.
Ce qui interpelle et provoque une inquiétude pour les années suivantes où rien n’est annoncé… Ce manque d’argent est-il lié à l’explosion de l’apprentissage nécessitant plus de moyens ? Au contexte économique aggravé par la crise du Covid19 que les entreprises connaissent avec des budgets d’apprentissage qui diminuent donc, rendant impossible le financement de tous les contrats ? Dans tous les cas, ce tarissement de fond aurait des conséquences dramatiques pour les jeunes qui connaîtront des difficultés pour trouver une entreprise en apprentissage mais aussi pour les CFA, et les entreprises qui seraient obligées de contribuer au financement d’une taxe dédiée aux contrats d’apprentissage.
Un second souffle pour l’apprentissage dans le secteur agricole
La mise en place de mesures inédites de soutien à l’embauche d’apprentis dans le cadre du plan de relance est aussi un facteur de croissance de l’apprentissage en France. Par ailleurs, la crise du covid19 a également révélé une certaine reconnaissance de métiers manuels, dits “essentiels”, tels que les aides-soignants ou les agriculteurs. Si ces professions étaient peu ou mal reconnues ces dernières années, elles ont été cette année applaudies tous les soirs à 20h.
Et pourtant, ces prises de conscience qui poussent les individus à être en quête de sens ne datent pas d’hier. De plus en plus de Français décident de changer de vie et de se reconvertir personnellement mais aussi professionnellement autour des métiers de la nature et du vivant, en formation continue ou en apprentissage, une illustration de ce que l’on nomme « l’exode urbain ». Sans surprise, l’agriculture bio est le chemin le plus populaire de ces “reconvertis”. Leur profil correspond souvent à des citadins, en exode urbain, qui ont une vision assez naïve et candide de la nature, qui symboliserait le retour à l’authenticité dans la vie. Une tendance dans l’air du temps et positive qui illustre les nouveaux enjeux d’aujourd’hui, autour de la production locale, le bien-être animal et de la transition écologique.
En France, l’apprentissage a été longtemps déprécié et souffrait de son image négative. Aujourd’hui, il est en pleine ascension et est devenu un vrai levier de réussite pour les jeunes. Dopé par de jeunes générations porteuses d’aspiration et d’exigences nouvelles, cet enseignement doit préparer aux nouveaux métiers de demain, notamment dans le monde agricole. Ce dernier se transforme et repense progressivement son environnement de travail pour entrer avec élan dans l’ère du digital.
Tribune rédigée par Philippe Poussin, Secrétaire général du CNEAP
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