Si vous avez tendance à guetter les moindres sautes d’humeur de votre partenaire, à peser chaque mot pour ne pas le froisser ou à vous sentir responsable de ses émotions, vous êtes peut-être en train de pratiquer ce qu’on appelle la surveillance émotionnelle.
La surveillance émotionnelle est un mécanisme insidieux, souvent inconscient, qui pousse à observer, décrypter ou réguler en permanence les émotions de son partenaire. Elle se manifeste parfois par cette sensation de marcher sur des œufs en période de tension, par la volonté d’apaiser une mauvaise humeur avant même qu’elle n’éclate, ou encore par un malaise persistant tant que l’autre ne semble pas « aller bien ».
Née d’une forme d’attention, de sollicitude ou d’un besoin de préserver l’harmonie, cette posture peut pourtant, à la longue, déséquilibrer la relation. L’un endosse alors le rôle de régulateur émotionnel, pendant que l’espace de partage sincère et d’expression personnelle se réduit peu à peu.
Avec le temps, la surveillance émotionnelle peut faire basculer l’équilibre d’une relation. Ce qui reposait sur la confiance et la présence partagée glisse alors vers une forme de vigilance constante, presque imperceptible. On ne partage plus simplement une relation avec l’autre : on en prend la charge, comme s’il fallait en assurer la régulation constante.
Ce qui rend ce schéma particulièrement pernicieux, c’est sa discrétion. Il ne s’exprime pas forcément par des disputes ou des tensions visibles. Au contraire, il peut prendre les traits de l’amour, du dévouement ou du sens des responsabilités. Pourtant, derrière cette façade, il fragilise peu à peu l’autonomie émotionnelle et creuse un fossé dans l’intimité.
Voici trois façons dont la surveillance émotionnelle peut fragiliser votre relation :
Elle vous enferme dans un rôle d’hypervigilance, plutôt que dans une posture d’amour
Quand la surveillance émotionnelle devient un réflexe, votre partenaire cesse d’être simplement un compagnon de vie : il devient une source constante de signaux à décrypter. Vous vous surprenez à analyser ses silences, ses expressions, son ton de voix… toujours à l’affût du moindre indice annonciateur d’un malaise, d’une tension ou d’un changement d’humeur.
Cette forme d’hypervigilance prend souvent racine dans des expériences passées : avoir grandi dans un environnement instable, ou connu des relations marquées par une insécurité affective, peut amener à développer une stratégie de survie basée sur la lecture permanente de l’autre.
Des études publiées dans Personality and Individual Differences montrent d’ailleurs que la solitude émotionnelle renforce ce mécanisme. Plus on se sent seul, plus on devient tendu, craintif, sur le qui-vive – un cercle vicieux qui pousse à se protéger en se tenant constamment en alerte. Et même dans une relation, cette distance intérieure peut alimenter un besoin de contrôle affectif, au point que la peur de la déconnexion prenne le pas sur la spontanéité du lien.
Rester en état de vigilance constante finit par altérer la qualité du lien. Ce qui, au départ, relevait d’une attention bienveillante peut peu à peu se transformer en tension diffuse. La proximité laisse place à une forme de crispation, et l’on ne se sent plus vraiment présent dans la relation — seulement occupé à prévenir les tempêtes, à limiter les dégâts émotionnels.
À force, cette posture peut mener à une forme d’épuisement invisible, ce sentiment d’en faire beaucoup sans jamais se sentir pleinement reconnu, ni soutenu, dans le rôle silencieux qu’on endosse au quotidien.
Mais il ne s’agit pas de cesser de se soucier de l’autre. L’enjeu, c’est de remplacer le réflexe de contrôle par une posture de curiosité. Plutôt que de traquer les signaux d’alerte, il s’agit de ralentir, de se reconnecter à ce que l’on ressent soi-même, et de se poser une question simple mais puissante : « Est-ce que je suis en train de réagir à l’autre, ou est-ce que j’essaie de protéger une part de moi ? »
Renforcer la sécurité émotionnelle dans le couple commence par cette prise de conscience. C’est en reconnaissant les moments où l’on bascule dans l’hypervigilance qu’on peut, en douceur, choisir de revenir à la connexion — une connexion fondée sur la présence, et non sur le contrôle.
Elle donne l’illusion d’un contrôle qui rassure
À première vue, la surveillance émotionnelle peut ressembler à de l’attention ou de la prévenance. En réalité, elle naît souvent d’une forme d’anxiété — ce besoin de garder la main sur ce qui pourrait déraper. Vous tentez peut-être d’éviter les conflits avant qu’ils n’émergent, de calmer une tension naissante ou de faire disparaître la tension avant même qu’elle ne s’installe. Sur l’instant, cela peut sembler protecteur pour la relation. Mais à long terme, cette posture crée une tension invisible et installe une dynamique déséquilibrée.
Les recherches montrent que les personnes ayant un attachement anxieux ont tendance à adopter des stratégies de rumination ou de contrôle émotionnel, souvent sous-tendues par la peur de perdre l’autre. Ces schémas — pensées obsessionnelles, suspicieuses ou intrusives sur le comportement du partenaire — sont parfois associés à des formes de contrôle plus larges, qu’elles soient psychologiques ou numériques.
Cela souligne un point essentiel : derrière le contrôle émotionnel, il n’y a pas seulement une volonté d’aider ou d’apaiser, mais souvent une tentative de calmer une inquiétude intérieure en prenant en charge les émotions de l’autre.
Progressivement, l’un des partenaires peut se transformer en régulateur émotionnel, pendant que l’autre se sent observé, ajusté, voire inconsciemment bridé. Cette dynamique nourrit le ressentiment : d’un côté, celui qui porte trop ; de l’autre, celui qui se sent trop regardé. L’intention était de préserver la paix — le résultat, c’est une pression diffuse, où chacun peine à se sentir libre d’être pleinement lui-même.
Pour réduire la surveillance émotionnelle, il est essentiel d’abandonner le besoin de prédire ou de gérer chaque fluctuation émotionnelle de votre partenaire. Apprenez à rester simplement présent à ses émotions, sans en assumer la responsabilité. Une connexion authentique se construit lorsque chacun se sent libre d’être soi-même, plutôt que de jouer un rôle pour préserver l’harmonie.
Elle érode la résilience émotionnelle des deux partenaires
Lorsqu’un partenaire prend en charge la gestion des émotions de l’autre, aucun des deux n’apprend à faire face à l’inconfort émotionnel de manière autonome. Au fil du temps, le partenaire surveillé peut réprimer ses sentiments, perdant ainsi le contact avec ses émotions authentiques. De son côté, celui qui surveille se focalise davantage sur le contrôle de l’environnement émotionnel que sur le développement de sa propre tolérance aux fluctuations naturelles des émotions.
Des recherches publiées dans le Journal of Social and Personal Relationships sur la « contagion émotionnelle » (le phénomène où l’on adopte inconsciemment l’état émotionnel de son partenaire) et la régulation émotionnelle dyadique (la manière dont les couples gèrent ensemble leurs émotions) montrent que ce type de dynamique nuit à l’autonomie émotionnelle. En devenant trop attentifs aux émotions de l’autre, que ce soit de manière inconsciente ou par surveillance active, les partenaires perturbent leur capacité à réguler leurs propres émotions de façon indépendante.
Bien que la surveillance émotionnelle puisse naître d’une attention sincère ou d’une volonté de prendre soin de l’autre, elle peut discrètement installer un cercle de codépendance. Plutôt que de favoriser un espace d’épanouissement personnel, elle enseigne aux deux partenaires à s’appuyer l’un sur l’autre pour réguler leurs émotions, ce qui finit par fragiliser leur capacité à s’adapter individuellement.
Une approche plus saine consisterait à remplacer cette vigilance émotionnelle par des vérifications intentionnelles et bienveillantes. Au lieu de supposer ou de chercher des signes de réconfort, demandez à votre partenaire ce qu’il ressent, en toute simplicité. Cela ouvre un espace d’expression authentique et nourrit la confiance, plutôt que la dépendance.
En privilégiant la présence au contrôle, les couples peuvent renforcer leur résilience émotionnelle, non pas par une surveillance incessante, mais en respectant l’intimité émotionnelle de l’autre et le temps nécessaire pour traiter ses sentiments.
Au fond, le contrôle émotionnel découle souvent d’une volonté de protéger l’amour. Cependant, pour que cet amour se développe, il doit avoir la liberté de respirer. En arrêtant de gérer chaque fluctuation émotionnelle de votre partenaire, vous offrez à chacun la liberté de grandir et de s’exprimer authentiquement.
Au lieu de vous demander « Comment puis-je faire pour que tout se passe bien ? », essayez plutôt de vous interroger sur « Comment pouvons-nous tous les deux nous sentir en sécurité et authentiques, même lorsque les choses ne vont pas bien ?». La véritable intimité émotionnelle ne se construit pas en apaisant artificiellement les tensions ou en faisant semblant que tout est calme, mais en apprenant à naviguer ensemble à travers les vagues émotionnelles – même lorsqu’elles sont agitées, imprévisibles ou accablantes.
En relâchant l’emprise de la vigilance émotionnelle, vous ouvrez la porte à quelque chose de bien plus puissant : une relation fondée sur la sécurité émotionnelle, l’honnêteté et la croissance partagée.
Une contribution de Mark Travers pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
À lire également : Extra Mind : de l’importance des marges de manœuvre pour des meilleures relations au travail
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits