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La jeunesse n’est pas qu’une cible à conquérir

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Students attending a lesson, sitting at their desks, in a classroom.

Réduire la jeunesse de notre pays à un groupe homogène, oublier qu’elle est plurielle, multifacettes, pointer son manque d’investissement dans la vie publique mais en faire une cible marketing, c’est à la fois se méprendre sur sa lucidité et prendre un risque : celui de créer une génération étrangère à toute forme d’engagement.

Une contribution de Rachel Guez, Directrice Générale du Don en Confiance

 

Une jeunesse scrutée… mais méconnue

Ah, la « jeunesse » ! Aucune autre catégorie de la population n’est plus sondée, scrutée, passée à la loupe, convoitée, et pas seulement à la faveur des échéances électorales. Mais de quoi la « jeunesse » est-elle le nom ? Certainement pas d’une entité monolithique, unifiée : les différences entre jeunes sont plus nombreuses que dans l’ensemble de la population, et continuent de se creuser ; comme toutes les catégories d’âge, la jeunesse est plurielle, s’incarnant différemment selon le lieu de résidence, les origines, le sexe, la religion, le niveau d’éducation, etc.

De même qu’on a tendance à faire fait fi de son caractère protéiforme, on croit connaître la jeunesse. Mais les préjugés ont la peau dure. On déplore son manque de patriotisme ? 48 % des jeunes se disent prêts à sacrifier leur vie pour défendre leur pays, nous apprend une enquête du CEVIPOF[1]. L’écologie serait leur thématique de prédilection ? Un récent sondage Viavoice montre que seuls 18 % des moins de 35 ans souhaitent que le gouvernement fasse de l’écologie un enjeu prioritaire, contre 24 % pour le reste de la population. Le progressisme serait l’apanage de cette génération ? Une enquête publiée récemment par le Financial Times révèle qu’à l’échelle mondiale, les garçons sont de plus en plus conservateurs (les filles, elles, se montrent de plus en plus progressistes).

Sermonnée, souvent méconnue dans ses nuances, la jeunesse apparaît avant tout pour ses aînés comme un public à conquérir. Entreprises, milieu caritatif, partis politiques : tous cherchent à l’instrumentaliser pour son propre bénéfice, pour plus de consommation, de dons, de votes. Mais à quel prix pour la citoyenneté ?

 

L’engager vers la réflexion plus que la réaction

Pour séduire cette population, les spécialistes du marketing imaginent des offres toujours plus personnalisées : marketing affinitaire, nudges comportementaux, etc. Le domaine de la générosité s’y emploie aussi, actionnant des leviers tels les arrondis solidaires ou les cagnottes en ligne. Lors de la campagne pour les Européennes, des événements dédiés ont été organisés en direction des jeunes pour les mobiliser.

On pourrait arguer que ces méthodes ciblées sont innovantes et même bénéfiques. Mais si gain il y a, il reste ponctuel. Les engagements impulsifs, occasionnels, individuels par essence, fruits de stratégies ciblées, ne construisent pas une citoyenneté au long cours. Sur la question du don, les sollicitations envers les jeunes induisent une logique de consommation sans engagement, créant des donateurs occasionnels, sans lendemain. En politique, les jeunes générations se sentant ignorées ou instrumentalisées par les politiques publiques se tournent vers l’abstention sur le long terme.

Ces dispositifs ciblés font figure de réponses courtermistes aux défis que pose cette jeunesse pour les entreprises, les associations, notre système politique. Les jeunes, pas dupes, risquent, à l’inverse, de faire le choix du désinvestissement.

Les jeunes sont notre avenir. Efforçons-nous de les accompagner pour en faire des moteurs de transformation de la société. A contre-courant des réseaux sociaux qu’ils affectionnent, qui poussent à la réaction et à l’indignation à bon compte plus qu’à la réflexion, nous avons tout intérêt à stimuler leur capacité à réfléchir, agir, devenir les acteurs de la société de demain.

La jeunesse, dans son hétérogénéité, n’est pas qu’une cible qu’il faudrait viser pour la pousser à réagir. Proposons-lui des espaces de réflexion non instrumentalisés, et faisons-lui confiance, pour qu’elle ne devienne pas amère. Considérons son aptitude au lien, à l’autre, au collectif et donnons-lui les clefs pour bâtir ce commun.

La stratégie de segmentation de la jeunesse au profit de la consommation, des obédiences politiques de tous bords et de la générosité ne participe ni à la construction de ce socle de valeurs communes, ni au sentiment d’appartenance à la société.


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[1] Etude sur les jeunes et la guerre réalisée par l’IRSEM, la DGRIS et le CEVIPOF, publiée en avril 2024

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