Alors que Vladimir Poutine vient de reconnaître l’indépendance des régions séparatistes à l’est de l’Ukraine, l’espace aérien ukrainien s’apprête-t-il à devenir aussi dangereux que Berlin en octobre 1961 ?
Les méthodes sont différentes et le lieu n’est pas le même, mais l’OTAN et la Russie sont à nouveau engagées dans une impasse qui rappelle celle du 27 octobre 1961, lorsque les chars américains et soviétiques se sont affrontés à Berlin. À l’époque, les Soviétiques n’ont pas respecté les accords conclus après la Seconde Guerre mondiale, qui garantissaient aux Alliés un accès sans entrave à Berlin-Est. Les États-Unis ont alors envoyé de chars aux postes frontières pour maintenir ces droits.
Aujourd’hui, la frontière ukrainienne est une forme de Checkpoint Charlie des temps modernes et, au lieu des chars, ce sont des plateformes de reconnaissance américaines qui affrontent les batteries de missiles anti-aériens et les avions de chasse russes. Cette fois-ci, après avoir enfreint les accords post-Seconde Guerre mondiale en 1961, la Russie s’apprête à revenir sur la garantie de la souveraineté de l’Ukraine.
À l’heure actuelle, toute erreur de calcul aura des conséquences catastrophiques. En dehors des vols de reconnaissance non armés, les États-Unis se sont efforcés d’éviter toute confrontation directe avec la Russie.
L’ambassade des États-Unis à Kiev a fermé la semaine dernière et les ressortissants américains ont été priés de quitter l’Ukraine au plus vite. Ceux qui ont décidé de rester ont été informés qu’en cas de guerre, le gouvernement américain ne serait pas en mesure de les évacuer. Le Pentagone a retiré 160 formateurs militaires d’Ukraine et le personnel américain qui aidait l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à surveiller les violations du cessez-le-feu près de la frontière ukrainienne est également parti.
Les États-Unis ont indiqué à plusieurs reprises ne pas souhaiter se laisser entraîner dans un conflit en Ukraine. Cependant, Washington ne restera pas non plus les bras croisés. Vendredi 18 février, le président américain Joe Biden a réitéré la position des États-Unis : le pays « n’enverra pas de troupes pour combattre en Ukraine, mais nous continuerons à soutenir le peuple ukrainien ».
Ces deux objectifs pourraient bien se révéler impossibles à concilier. Par exemple, si la Russie attaque un avion de reconnaissance américain non armé qui soutient l’Ukraine, cet acte pourrait bien déclencher les dispositions de défense mutuelle de l’Alliance de l’OTAN. Joe Biden l’a rappelé à plusieurs reprises, l’Alliance est « prête à défendre chaque centimètre carré du territoire de l’OTAN contre toute menace à notre sécurité collective. »
Cependant, le public n’est pas conscient des risques potentiels. Il est difficile de comprendre les enjeux à l’œuvre dans cette région de l’Europe. Par ailleurs, la situation dans l’espace aérien au-dessus de l’Ukraine est plus difficile à couvrir médiatiquement que l’impasse de Checkpoint Charlie en 1961. Les États-Unis et l’OTAN doivent être parfaitement clairs, tant vis-à-vis de Vladimir Poutine que vis-à-vis du public, sur les conséquences d’une attaque russe contre un avion de l’OTAN.
Les chars soviétiques et ceux de l’OTAN ne se prennent peut-être pas directement pour cible en ce moment, mais la situation est aussi fragile qu’en 1961.
Les vols de reconnaissance de l’OTAN ne sont pas armés et sont en danger
Depuis des mois, une flotte d’avions et de drones non armés de l’OTAN surveille en permanence les mouvements des troupes russes. Presque tous les jours, des drones RQ-4 Global Hawk, des avions de renseignement électromagnétique RC-135, des avions de gestions de bataille E-8c Joint Stars et probablement d’autres engins se sont mis à orbiter avec précaution dans l’espace aérien ukrainien pour surveiller les mouvements.
Opérant dans l’espace aérien ukrainien avec l’autorisation des autorités ukrainiennes, les moyens de renseignement aériens américains ont été incroyablement utiles. Les vols de surveillance, qui ont permis de réfuter la désinformation russe, ont fourni des preuves évidentes des activités russes au sol.
Cependant, une fois la guerre déclarée et l’espace aérien de l’Ukraine contesté, ces vols deviendront bien plus dangereux et bien plus précieux. Les militaires ukrainiens seront désespérément à la recherche d’informations en temps réel sur les positions russes, tandis que l’OTAN utilisera allègrement ces vols pour recueillir toutes les informations possibles sur les tactiques et l’équipement militaire russes. Même si un avion de l’OTAN se trouve dans l’espace aérien ukrainien et aide l’Ukraine, le statut et la disposition de ces avions non armés, et des équipages à bord, sont clairs : ce sont des avions de l’OTAN, et une attaque contre l’un d’entre eux constituera une attaque contre tous les membres de l’OTAN.
La Russie n’apprécie pas d’être observée de près. Elle a régulièrement attaqué des avions de reconnaissance non armés de l’OTAN dans l’espace aérien international. Ces confrontations se poursuivent et, début février, des avions de chasse russes ont effectué des « interceptions non professionnelles » en Méditerranée, passant à quelques centimètres des avions de patrouille maritime américains P-8A Poseidon.
Le risque est réel. Si Vladimir Poutine élargit le conflit en Ukraine, sa première mesure sera probablement de prendre le contrôle de l’espace aérien ukrainien avec peu ou pas d’avertissement. Alors que les avions et drones américains effectuent une surveillance 24/24, les appareils qui auront la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment pourraient être la cible des avions ou des systèmes de missiles russes. La perte d’un drone de surveillance hautement classifié est déjà difficile à surmonter, mais la perte d’un avion de reconnaissance avec équipage, et la perte potentielle, par exemple, d’un E-8C Joint Star avec plus de 20 membres d’équipage pourraient déclencher l’application de l’article 5 de l’OTAN. Selon cet article, une attaque contre un membre de l’OTAN est une attaque contre tous ses membres.
Jusqu’à présent, l’OTAN s’est montrée réticente à discuter de sanctions ou à détailler la manière dont elle soutiendra l’Ukraine libre en cas d’invasion. La Russie, quant à elle, est restée discrète sur ses réponses potentielles. Personne ne veut montrer son jeu. Cependant, avec la perspective d’un assaut russe imminent, les risques actuels pour les avions de surveillance non armés de l’OTAN sont urgents et tangibles. L’ambiguïté persistante est dangereuse. L’incapacité actuelle des deux parties à définir clairement les risques et les conséquences d’une erreur de calcul concernant l’Ukraine rend l’espace aérien ukrainien bien plus périlleux que lorsque les chars soviétiques et américains se sont affrontés à Berlin en 1961. Et, cette fois, personne ne semble vouloir faire marche arrière.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Craig Hooper
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