La crise du Covid-19 a eu des répercussions considérables sur la santé économique des pays, plongeants pour la quasi-totalité d’entre eux dans la récession en 2020. Parmi les sujets les plus inquiétants, révélés et exacerbés par la crise, la hausse des inégalités à l’échelle mondiale pose de multiples questions sur la manière dont vont être réparties les richesses dans les années à venir.
De nombreux économistes anticipent ainsi une reprise économique en forme de K, signifiant une reprise rapide de certains secteurs tant dis que d’autres domaines d’activité continueront à se détériorer. Cette tribune vise à mettre en lumière différents types d’inégalités entre secteurs, individus, et régions qui pourraient naître à l’issue de la crise et qui auraient des conséquences sociales catastrophiques pour les mois et années à venir.
Les différents secteurs d’activité ont été touchés de façon très disparate pendant la crise. Depuis le début du premier confinement en France, l’Insee établit des points de conjoncture, présentant les pertes de valeur ajoutée dans les différentes branches. Les conséquences de la crise sont très hétérogènes. Certains secteurs comme l’hôtellerie/tourisme, la restauration, le transport ou les services marchands ont été très fortement touchés en raison des restrictions sanitaires qui ont fortement ou totalement bloqué leur production et pesé sur la consommation des particuliers tandis qu’à l’inverse, les activités immobilières, les services non marchands ou de l’information et de la communication ont été particulièrement résistants au cours des confinements successifs.
Cette déformation des revenus par branche d’activité va de pair avec un accroissement des inégalités entre les types de salariés. En effet, selon une étude de novembre 2020, réalisée par l’Institut des Politiques Publiques (IPP), la crise a majoritairement touché les ménages à revenus modestes, qui sont les moins enclins à télétravailler (et ainsi plus touchés par la maladie que dans les classes sociales favorisées, d’après le laboratoire J-Pal, codirigé par Esther Duflo) et le plus souvent dans des branches d’activité les plus affectés par les confinements. Aussi, le chômage partiel – d’un montant total désormais estimé à plus de 27 milliards d’euros pour 2020, selon la Dares – a permis de garantir les revenus de salariés actifs en emploi uniquement. Dans cette situation, les difficultés ont majoritairement touché les foyers les plus modestes qui sont les moins protégés par des contrats de travail, majoritairement en contrats à durée déterminée et d’intérim. En effet, selon l’IPP, il y a moins de 50 % de CDI chez les plus défavorisés (10 premiers centiles de niveau de vie), tandis qu’ils sont plus de 70 % chez les plus favorisés (10 dernières centiles). Parallèlement, la hausse du taux de chômage attendue est palpable : d’après les prévisions de la Banque de France, celui-ci devrait augmenter à hauteur de 11 % début 2021 contre 7,9 % fin 2019. Les aides de soutien n’ont que peu ciblé les personnes n’ayant pas bénéficié du chômage partiel, qui se sont retrouvées au chômage ou qui ont demandé le RSA (Revenu de solidarité active). Au total, plus de 100 000 foyers ont demandé le RSA alors qu’ils n’en bénéficiaient pas auparavant entre décembre 2019 et juin 2020, d’après la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).
Autres victimes majeures de la crise : les jeunes et les femmes. Pour les jeunes diplômés tout d’abord, le marché du travail s’est fortement détérioré, conduisant à une réduction des postes pour ces nouveaux entrants. La précarité étudiante s’est également très fortement multipliée : d’après l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), 36 % des étudiants qui travaillaient en parallèle de leurs études ont arrêté leur activité rémunérée, ce qui aurait conduit à une baisse moyenne mensuelle de revenus de près de 280€, d’après le « Repères conditions de vie – 2020 » de l’ONE. Aussi, plus de 30 % des étudiants ont évoqué présenter les signes d’une détresse psychologique, dont majoritairement des étudiantes (37 %) et boursiers (34 %). En effet, les femmes sont globalement perdantes de la crise : comme le précise Esther Duflo, prix Nobel d’économie et spécialiste de la pauvreté, les femmes auraient vu se réduire de manière considérable leur participation au marché du travail, afin de se reconcentrer dans la « sphère domestique » principalement. Aux États-Unis, la charge du foyer dispensée par les femmes se serait particulièrement alourdie depuis le début de la crise : à cause de la fermeture des écoles entre autres, le travail domestique des femmes s’est accru de manière beaucoup plus importante que celui des hommes, conduisant à un accroissement des inégalités dans le partage des tâches au sein des familles.
Autre élément fondamental, l’épargne des ménages a évolué de manière disparate entre les niveaux de revenu des ménages. En effet, les données du Conseil d’Analyse Économique (CAE) affichent une hausse de l’épargne à la fin de l’année 2020 (par rapport au début de l’année) de 2,5 % pour les 10 % les plus riches, parallèlement à une diminution de 2,8 % pour les 10 % les plus pauvres. Autrement dit, « 70 % du surplus d’épargne [a été] accumulé par 20 % des ménages » selon Vie publique. Cet accroissement de l’épargne pourrait avoir des conséquences majeures, dont l’une serait un accroissement des inégalités de revenus entre classes sociales. En effet, les populations les plus favorisées, qui ont accumulé une grande quantité d’épargne pendant la crise pourraient réinvestir cet argent dans des biens immobiliers ou dans des actifs financiers, dont la valeur a fortement augmenté depuis le début de la crise. Cela conduirait à une dynamique différente des revenus d’autant plus important et une aggravation des inégalités entre salaire et patrimoine, sujet déjà traité en 2013 par Thomas Piketty dans son ouvrage, Le capital au XXIème siècle. Cela est d’autant plus important que l’excès de liquidité émise par la banque centrale avec ses politiques non-conventionnelles aurait tendance à accroître les inégalités de patrimoine.
Indéniablement, les politiques publiques qui seront mises en œuvre à la suite de la crise et les plans de relance respectifs doivent prendre en compte cette question primordiale qui concerne les inégalités entre secteurs d’activité, classes sociales et générations. Un ciblage et calibrage précis dans les dispositifs doit être mis en place, sans quoi des erreurs à la fois d’exclusion de certaines personnes (absence d’aides pour des publics nécessiteux) que d’inclusion (gaspillage de subventions pour des personnes déjà « favorisées ») pourraient être grandement problématiques.
Par ailleurs, à l’échelle mondiale, la Banque mondiale alerte d’ores et déjà sur la hausse exceptionnelle de la pauvreté et des inégalités : la pandémie aurait conduit à faire tomber plus de 100 millions de personnes dans la pauvreté en 2020, alors que des progrès sans précédent avaient été faits au cours des 25 dernières années. Dans ses Perspectives de l’économie mondiale d’octobre 2020, le FMI prévoit, dans les prochaines années, une importante détérioration de l’indice de Gini principalement dans les pays en développement, indicateur permettant de rendre compte du niveau d’inégalité pour une population donnée.
Ainsi, l’accroissement des inégalités, quel que soit le niveau d’observation, relève d’un constat effrayant. Il s’agit DU défi majeur pour les différents États et pour la communauté internationale, autant à court terme, que sur un temps plus long, comme le décrivait déjà Joseph Stiglitz dans son ouvrage Le Prix de l’inégalité, en 2012. Si des réponses adéquates ne sont pas apportées, les conséquences sociales de la pandémie seront destructrices pour les décennies à venir…
Article rédigé par Arno Fontaine, BSI Economics
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