Rechercher

IA, télétravail, bien-être : sommes-nous plus paresseux que la génération précédente ?

Avez-vous déjà été confronté à un étudiant qui exige une augmentation quelques semaines après le début de son contrat d’alternance ? Une jeune fraichement intégrée à vos équipes qui vous demande s’il est possible de se mette en télétravail parce qu’elle a du mal à sortir du lit le matin ? Ou encore une jeune recrue qui démissionne sans raison quelques jours après son embauche ? Bienvenue en 2025 ! Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle et les transformations sociales post-COVID, sommes-nous dans une époque de rejet de l’effort et d’épanouissement au travail ? Pourquoi les jeunes d’aujourd’hui suscitent-ils autant de critiques de leurs aînés ? La génération Z est-elle vraiment paresseuse ou redéfinit-elle simplement la notion d’effort ? La France peut-elle se permettre une génération qui travaillerait moins ?

Une contribution de François Mattens

Une critique générationnelle récurrente

Chaque génération aime se croire plus vertueuse que la suivante. Dès les années 1950, les baby-boomers étaient accusés de ne pas comprendre la valeur du travail par leurs parents, traumatisés par la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale. L’ouvrage L’Allergie au travail de Jean Rousselet (1974) montrait déjà que cette critique était un mythe récurrent, résultant davantage des tensions sociales que d’une réelle évolution du rapport au travail.

Cependant, les critiques évoluent avec le temps : aux baby-boomers on reprochait l’individualisme des années 1980, aux millennials leur soi-disant « narcissisme digital » et à la génération Z leur refus des hiérarchies et leur « anti-hustle ». Cette notion récente, issue des mouvements sociaux des années 2010, reflète une opposition à la glorification du surmenage et de l’hyper-productivité. Elle prône un équilibre entre vie professionnelle et personnelle, en valorisant des choix de carrière alignés sur les valeurs individuelles et le bien-être. En 2024, un rapport conjoint de l’APEC et du think tank Terra Nova a réaffirmé ce constat : chaque époque voit ses jeunes jugés comme fainéants ou individualistes par leurs aînés. Pourtant, les chiffres contredisent ces perceptions. Les jeunes actifs accordent une place importante au travail dans leur vie. Ils ne rejettent pas l’idée d’effort mais souhaitent que celui-ci soit significatif et porteur de progression personnelle ou professionnelle. Ils ne fuient pas l’effort mais souhaitent qu’il soit aligné avec des objectifs clairs, que ce soit pour leur propre développement ou pour l’impact social ou environnemental de leur activité.

La critique en 2025 est-elle encore pertinente ?

Les transformations majeures de ces dernières décennies obligent à nuancer cette critique. La génération Z (1997-2012) a grandi dans un monde marqué par des crises multiples—économiques, climatiques et sanitaires. La pandémie de COVID-19, en particulier, a redéfini les priorités tout en les fragilisant face à la gestion de l’incertitude : 83 % des jeunes actifs ont déclaré avoir quitté un emploi pour préserver leur santé mentale (2023 Mental Health at Work Report). Quand une enquête de Santé publique France publiée en avril 2024 révèle que 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque important de dépression.

L’arrivée massive du télétravail a accéléré la remise en question de la « hustle culture », cette acceptation sociale du surmenage. En parallèle, la digitalisation et l’automatisation ont offert des alternatives aux modèles classiques de carrières : les réseaux sociaux sont devenus des tremplins pour la monétisation des passions où les jeunes ont l’impression que la réussite et la gloire est à portée de mains facilement. Plus qu’une fuite devant l’effort, il s’agit d’une recherche d’équilibre et d’alignement avec leurs valeurs. Même si parfois l’envers du décor n’est pas aussi simpliste.

La génération Alpha (2013-2025), qui suit la génération Z, se distingue par une exposition dès le plus jeune âge aux technologies avancées comme l’intelligence artificielle. Cette familiarité précoce pourrait leur permettre d’explorer des modèles de travail hybrides où la créativité et la collaboration humain-machine redéfinissent les attentes traditionnelles face à l’effort. Une génération plus efficiente que la précédente ?

L’IA va-telle rendre les prochaines générations plus fainéantes ?

L’émergence de l’intelligence artificielle suscite des inquiétudes quant à son impact sur les futures générations. En facilitant des tâches répétitives et analytiques, l’IA pourrait désapprendre aux jeunes certaines compétences de base (le calcul mental, la réflexion logique, etc.). Cependant, l’histoire montre que chaque avancement technologique a redéfini l’effort sans le supprimer (Impression, machine à vapeur, micro-ordinateur, etc.) Une étude de McKinsey prévoit que l’IA augmentera la productivité mondiale de 1,2 % par an d’ici 2035. La génération Alpha (2010-2025) pourrait devenir experte dans l’hybridation humain-machine, exploitant des outils IA pour créer plutôt que pour se reposer. Cela pourrait inclure des compétences nouvelles comme la conception collaborative avec des intelligences artificielles, l’optimisation d’algorithmes adaptatifs, ou encore l’intégration créative d’outils IA dans des environnements professionnels complexes.

La question n’est donc pas tant de savoir si l’IA rendra les jeunes fainéants, mais si nos systèmes éducatifs et sociétaux sauront les préparer à l’autonomie face à ces technologies.

La France peut-elle se permettre une génération qui travaillerait moins ?

Avec un taux de natalité en baisse, un système de retraite sous tension, un déficit qui se creuse et une dette abyssale, la France est confrontée à une question cruciale. Travailler moins signifierait potentiellement une baisse de productivité, mais ce raisonnement semble réducteur. Les gains de productivité par l’innovation technologique pourraient, partiellement, compenser une réduction du temps de travail. En 2025, la génération Z et Alpha représenteront 40 % de la main-d’œuvre mondiale, un levier immense pour transformer les modèles économiques.

Le véritable enjeu est d’investir dans la formation et de favoriser un travail de qualité—moins centré sur le temps passé et plus sur l’impact créatif et stratégique. Cela étant dit, il est indispensable que les générations Z et Alpha comprennent que la recherche de l’optimisation de son temps de travail et la réduction de l’effort sont des moyens et non pas des finalités en soi. Oui, se lever le matin même lorsqu’on est fatigué reste essentiel. Oui, savoir se mobiliser pour tirer son organisation vers le haut, même si cela implique des sacrifices ponctuels de son bien-être individuel pour atteindre un dessein qui nous dépasse. Il en va de la résilience et de soutenabilité du modèle socio-économique de notre pays.

Sommes-nous condamnés à être les « vieux cons » de la génération suivante ?

La critique de la « paresse » est un biais récurrent. Comme le montre l’étude de Boris Cheval (Nous sommes programmés pour la paresse, 2019), l’humain tend à percevoir toute divergence comportementale comme une menace à ses propres valeurs. Cependant, l’analyse des données historiques prouve que les jeunes ne sont pas moins travailleurs : ils redéfinissent simplement la notion d’effort. Alors que les baby-boomers valorisaient l’endurance, la génération Z privilégie la créativité et l’épanouissement. Certains y voient une régression, d’autres une évolution.

Charles de Gaulle nous rappelait que « chaque génération rit de ses pères, admire ses grands-pères et méprise ses enfants ». Pour éviter de tomber dans le syndrome du « vieux con », il est temps d’accepter que chaque génération adapte ses efforts à son époque, aussi bien celle qui cède sa place comme celle qui arrive dans la vie active.


À lire également : Le networking, facteur clé de l’évolution des seniors

 

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC